Retraites : Quand la CAQ prétend connaître nos besoins

2023/02/17 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste

Des consultations publiques concernant l'avenir de notre régime public de retraite – le RRQ – ont commencé ce mois-ci. Elles ont lieu tous les six ans et sont très importantes pour l'avenir de notre régime de retraite collectif. La dernière s’est tenue en 2017 et a mené, entre autres, à la bonification – bien qu'insuffisante – tant attendue de notre régime public.

 

Trois piliers

Il faut se rappeler qu'en plus du programme de la Sécurité de la vieillesse du fédéral, le système de retraite est construit au Québec sur trois piliers. Le premier, qui est à la base de nos rentes de retraite, est le régime public, le RRQ. Ce régime assure un taux de remplacement du revenu qui, depuis le 1er janvier 2019, passe graduellement de 25 % à 33 %. Ce régime public est accessible à toute la population.

Le deuxième pilier est l'accès à des régimes privés qui sont divisés en trois grandes familles. Il y a d’abord les régimes à prestations déterminées (PD). Ce sont des régimes qui permettent d'avoir une rente garantie à la retraite. Peu de travailleuses et de travailleurs ont accès à ce type de régime.

Ensuite, il y a les régimes à cotisations déterminées (CD). Ce sont des régimes dont les rentes de retraite ne sont pas garanties, parce qu’elles suivent les aléas du marché financier. Par exemple, en 2022, toutes les personnes détenant ce type de régime ont vu leur capital investi fondre comme neige au soleil. C'est le type de régime le plus souvent offert par les employeurs aux travailleuses et travailleurs.

Depuis peu, il existe aussi, dans la famille des PD, des régimes à prestations cibles. Ce sont des régimes à prestations déterminées qui garantissent une rente aux retraités et aux futurs retraités, mais à certaines conditions. Entre autres, que le régime atteigne une cible de rentabilité d'où le nom de régime cible. La rente promise par ce type de régime aux retraités et aux futurs retraités peut être réduite selon les aléas du marché.

À mon avis, les régimes cibles vont graduellement remplacer les PD « conventionnels ». En fin de compte, les travailleuses et travailleurs qui ont accès à un régime privé n’auront accès qu'à des régimes dont la rente n'est pas garantie.

Le dernier pilier du système de retraite québécois est l'épargne personnelle. Ce sont les sommes d'argent que nous tentons de mettre de côté en vue de notre retraite dans des placements comme les REER ou encore dans un CELI.

L'investissement dans immobilier peut également servir à se créer un patrimoine pour la retraite. Peu de gens ont réellement accès à de l'épargne personnelle pour la retraite. En fait, seuls les mieux nantis peuvent espérer mettre suffisamment d'argent de côté pour leurs vieux jours.

 

L’âge de la retraite

Comme vous pouvez le constater, le seul régime qui offre une rente garantie accessible à tout le monde, c'est notre régime public. D'où l'importance de s'y intéresser et de ne pas laisser le gouvernement décider seul de son avenir.

Parmi les propositions à l'étude, lors de la consultation publique de 2023, il y a le rehaussement de l'âge minimal requis pour commencer à percevoir une rente de retraite. Le gouvernement de la CAQ, par la voie du ministre des Finances Éric Girard, propose de faire passer l'âge minimal requis de 60 ans à 62 ans. Ici, il faut noter que le régime québécois ne souffre d'aucune difficulté financière. Tous les observateurs, y compris le ministre Girard, s'accordent pour dire qu'il y a actuellement assez d'argent dans le régime pour financer la retraite des Québécoises et Québécois pour les 50 prochaines années, et ce, sans même hausser le taux de cotisation actuel.

Alors, pourquoi notre bon gouvernement propose-t-il de hausser l'âge minimal pour accéder à notre régime public de retraite ? Au cours des audiences publiques, le ministre Girard a soutenu que faire passer l'âge minimal de 60 ans à 62 ans représenterait un coût pour le régime. Ce n'est donc pas par souci de la santé financière du régime qu'une telle proposition est faite.

La préoccupation première du ministre des Finances concernerait plutôt le sort des personnes pensionnées. M. Girard a présenté son raisonnement, comme l'économiste qu'il est et à la manière de la CAQ « paternaliste ». « Je sais ce qui est bon pour vous et je vais vous l'expliquer afin que vous puissiez comprendre. »

L'espérance de vie étant de 83 ans, une personne qui décide aujourd'hui de prendre sa retraite à 60 ans aura une rente de 836 $ par mois alors que, si elle était âgée de 65 ans, elle aurait droit à une rente de 1416 $ par mois. À partir de ce constat, le ministre Girard a fait inscrire dans les documents de consultation : « La hausse de l'espérance de vie augmente le risque que les revenus de retraite d'une personne soient insuffisants pour maintenir son niveau de vie. » Sa solution ? Augmenter l'âge minimal requis pour prendre sa retraite, de sorte que les futurs retraités auront droit à une rente plus généreuse et, du même coup, à un maintien amélioré de leur niveau de vie. Avouer qu'il fallait y penser !

 

Pour une réelle consultation publique

On reconnait bien là le gouvernement de la CAQ, qui aime nous dire ce qui est bien pour nous, sans tenir compte de la réalité. Monsieur Girard, ce qui risque le plus d’empêcher une personne retraitée de maintenir son niveau de vie une fois à la retraite, c'est notre système de retraite actuel au Québec.

Nous avons un système de retraite qui fait en sorte que seules les personnes qui peuvent avoir accès à un régime privé à prestations déterminées ont le plus de chance de maintenir leur niveau de vie. Il en va de même pour les mieux nantis parce qu'ils ont la capacité financière de mettre de côté les sommes d'argent nécessaires en vue de leur retraite. Tous les autres, soit la grande majorité des Québécoises et des Québécois, ont accès à des régimes qui ne garantissent pas leur rente de retraite ou, pire encore, ont accès seulement au régime public.

Monsieur Girard, si vous avez réellement le souci des personnes pensionnées, actuelles et à venir, organisez une réelle consultation publique. Vous allez peut-être apprendre que, comme je l'ai décrit plus haut, le véritable problème est un système de retraite basé sur des régimes privés plutôt qu’un régime public, qu'une bonne partie des travailleuses et travailleurs peinent à se rendre à leur retraite à cause de la pénibilité de leur emploi, que les personnes qui travaillent au-delà de l'âge normal de la retraite le font souvent à cause de soucis financiers et non par amour de leur travail, et qu'une espérance de vie à 83 ans ne fait pas en sorte que vous avez la capacité physique de suivre le rythme effréné du mode du travail actuel.
 
Il est légitime pour un gouvernement de mettre au jeu ses préoccupations concernant la vie de ses citoyens comme, par exemple, la santé financière des retraités actuels et futurs. Mais il faut cesser de nous dicter ce qui serait bon pour nous. Un bon gouvernement, comme son nom l’indique « gouverne ». Et gouverner implique d’écouter les experts avant de prendre une décision. Dans le cas de la retraite, les experts sont les travailleuses, les travailleurs, les retraités et leurs représentants. Il est à souhaiter que ce soit ce que fera notre bon gouvernement et qu'il agisse pour que les retraités actuels et futurs aient droit à une réelle sécurité financière.