Une dévalorisation sans fin

2023/02/24 | Par Luc Allaire

« Pouvez-vous me dire ce que je dois faire pour aller enseigner au Québec ? » Cette question revient sans cesse lorsque des membres du Conseil exécutif de la CSQ, ou moi-même, avons l’occasion de participer à un congrès ou un colloque organisé par un syndicat de l’éducation en France.

Des enseignantes et enseignants viennent nous voir et s’informent des conditions de travail et du salaire du personnel enseignant au Québec. Leurs yeux s’arrondissent quand ils en prennent connaissance, et plusieurs nous demandent quelles démarches ils doivent entreprendre pour venir travailler au Québec.

On a beau leur répondre que la CSQ dénonce les conditions de travail difficiles du personnel de l’éducation et qu’un enseignant sur cinq quitte la profession dans les cinq premières années, ils nous répondent : seulement un sur cinq ! Ici, c’est un sur deux !

En France, ajoutent-ils, les enseignantes et enseignants ont subi un déclassement majeur au fil de trente ans de réformes imposées par les gouvernements successifs.

En quelques décennies, la rémunération du personnel enseignant a plongé, comme le rapporte le journal Le Monde paru le 16 février dernier. « Au début des années 1980, un enseignant gagnait l’équivalent de 2,3 fois le SMIC (le salaire minimum interprofessionnel de croissance). Cette rémunération est tombée à 1,2 fois le salaire minimum début 2022. Cette statistique révèle, à elle seule, le déclassement subi par les enseignants. »

Les enseignantes et enseignants français sont les moins bien rémunérés de l’Union européenne. Le salaire d’un enseignant est de 1 698 euros par mois en début de carrière, soit environ 2 440 dollars canadiens par mois ou 29 280 dollars par année. Une directrice d’une école primaire en Normandie avec 20 ans d’ancienneté syndiquée au SNUipp FSU me disait qu’elle gagnait 2 000 euros par mois, soit 2 870 dollars canadiens par mois, ou 34 400 dollars par année.

Aucune négociation collective en éducation

Les syndicats de l’éducation français, affiliés à la FSU et à l’UNSA, déplorent le fait que les salaires des enseignants ont été gelés pendant de nombreuses années. Il y a bien eu une augmentation en 2022 liée à l’inflation, mais elle était insuffisante.

Ce qui surprend un observateur étranger, c’est que les syndicats français de l’éducation ne négocient pas de convention collective. Et ce, même si cela va à l’encontre de l’un des quatre droits fondamentaux de l’Organisation internationale du travail : la liberté d’association et la reconnaissance du droit de négociation collective.

Le ministère de l’Éducation nationale consulte les syndicats de l’éducation au travers de mécanismes de dialogue social assez sophistiqués, mais cela ne débouche pas sur la signature d’une convention collective. Par conséquent, il n’y a aucune obligation pour le gouvernement français de s’entendre avec les syndicats des services publics. En contrepartie, comme il n’y a pas de convention collective, les syndicats peuvent faire grève n’importe quand, et ces grèves peuvent être décidées par les conseils exécutifs des syndicats.

La situation est différente dans le secteur privé où les syndicats peuvent signer des conventions collectives.

Des promesses non tenues

Lors de la dernière campagne électorale, le président Emmanuel Macron a promis une hausse des salaires des enseignants de 10 % en janvier 2023. Toutefois, les syndicats d'enseignants ont regretté n'avoir pas observé cette hausse de salaire en janvier. Le ministre de l'Éducation, Pap Ndiaye, a démenti cette promesse. Durant la campagne présidentielle, le chef de l'État avait bien évoqué janvier 2023, mais ses propos comportaient une part de flou.

Le ministre de l’Éducation a plutôt présenté, en janvier, deux scénarios de revalorisation des salaires des enseignants aux syndicats. Les hypothèses prévoient notamment un salaire autour de 2 000 euros net mensuels pour les nouveaux titulaires et une hausse de rémunération par la suite, mais plus importante pour les débuts et milieux de carrières.
Concrètement, les enseignants passant d’un à deux ans d'ancienneté gagneraient 153 euros net de plus par mois par rapport à janvier 2023, et ceux ayant entre six et 11,5 ans d'ancienneté entre 281 et 292 euros de plus, selon le scénario. Mais ceux ayant 18 à 22 ans d'ancienneté ne gagneraient que 85 à 114 euros de plus, et ceux ayant plus de 22 ans de carrière que 36 à 78 euros de plus.

Des propositions jugées inacceptables

Les syndicats de l’éducation ont accueilli ces scénarios avec scepticisme, jugeant les hausses de rémunérations prévues trop faibles pour les deuxièmes moitiés de carrière.

Pour Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa (Syndicat des enseignants affiliés à l’Union nationale des syndicats autonomes), le ministère « fait des propositions volumineuses sur certaines étapes de la carrière, mais ignore tout le reste de la profession. Cela provoquera beaucoup de déception, voire de la colère, estime-t-il car, pour certains, la perte de pouvoir d'achat due à l'inflation n'est pas rattrapée. »

« Le ministère privilégie la dimension attractivité, au détriment de la revalorisation inconditionnelle pour tous les personnels », a regretté Laetitia Aresu, secrétaire nationale du Sgen-CFDT (Syndicat général de l’éducation nationale affilié à la CFDT).

Les discussions sur la revalorisation salariale se sont poursuivies le 15 février. Le ministère de l’Éducation a alors enfin accédé à la demande de la FSU de revaloriser toute la carrière et pas seulement les vingt premières années. Si la FSU peut se satisfaire d’avoir fait avancer les choses pour que l’ensemble des enseignantes et enseignants puissent bénéficier d’une augmentation, celle-ci reste insuffisante avec un budget qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Le SNUipp-FSU continue de revendiquer une augmentation de 300 euros nets par mois pour toutes et tous sans contrepartie comme première étape de revalorisation.