L’idéologie de l’intersectionnalité est devant les tribunaux!

2023/03/01 | Par Christiane Pelchat

L’autrice est l’avocate de PDF Québec, partie à l’appel de l’invalidité de la loi 21.
 

Le débat sur la place publique au sujet de l’idéologie intersectionnelle doit se faire avec réserve en ce moment tant que la Cour d’appel du Québec n’a pas rendu son jugement sur la validité de la loi 21 (sub judice). Pourquoi ? Parce que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes (FAEJ) demandent l’invalidation de la loi 21, qui violerait le droit intersectionnel des femmes musulmanes qui souhaitent porter leurs signes religieux durant leurs heures de travail (voir le mémoire de la FFQ et du FAEJ sur le site Web de la FFQ).

Comme avocate de PDF Québec dans cette cause, je défends qu’il n’en est rien puisque la loi 21 permet à l’État de respecter son devoir de neutralité de l’État et de se distancier des religions et du prosélytisme religieux sous toutes ses formes et que, ce faisant, il protège le droit des femmes à ne pas être traitées inférieurement comme le prescrit le dogme patriarcal intégré dans les religions monothéistes. En outre, j’ai expliqué que l’idéologie intersectionnelle, qui nous vient des États-Unis, ne fait pas partie du droit canadien et québécois et que nous devons distinguer notre droit du droit des États-Unis, où le droit à l’égalité entre les sexes n’est pas protégé dans la Constitution américaine.

Aujourd’hui, l’idéologie de l’intersectionnalité réapparaît par la porte «politique» pour faire son entrée à l’Assemblée nationale du Québec. Est-ce que l’on tente par cette porte de légitimer l’idéologie intersectionnelle que la FFQ invoque comme argument pouvant invalider la loi 21 devant la Cour d’appel, en vue de recours ultérieurs ? C’est le propre du FAEJ co-intervenant de la FFQ dans la contestation de la loi 21 de faire de l’activisme juridique afin de s’assurer que les législateurs, les avocates, les avocats et les juges adoptent l’idéologie intersectionnelle.

De plus, comme ancienne présidente du Conseil du statut de la femme du Québec, je suis surprise qu’on laisse entendre que, sans l’idéologie intersectionnelle, on écarte les discriminations croisées, ou discriminations multiples que vivent les femmes du Québec. Affirmer que, sans cette idéologie, nous excluons certaines femmes, relève du discours partisan et frôle la démagogie.

Vous vous imaginez bien que l’on n’a pas attendu cette nouvelle idéologie pour combattre la discrimination de toutes les femmes, quelles que soient leurs origines ou classes sociales. Les féministes universalistes que je côtoie depuis 40 ans luttent contre le patriarcat, la violence sexuelle pour toutes les femmes, contre le racisme et contre tous les systèmes d’oppression. Rappelons que c’est justement pour cette raison que le gouvernement du Québec a adopté l’analyse différenciée entre les sexes pour ces politiques publiques.

L’idéologie intersectionnelle peut présenter un danger pour le droit à l’égalité des femmes, quand ses revendications refusent la séparation du religieux et l’État, banalisent la prostitution et donc la violence sexuelle faite aux femmes, soutiennent la marchandisation du corps des femmes et favorisent le rejet du droit à la dignité des femmes. Certaines tenantes de cette idéologie exigent que les préceptes autocratiques de leur communauté soient priorisés aux dépens des principes démocratiques comme l’égalité des sexes.

Je comprends les motivations partisanes pour embêter le gouvernement, mais les raccourcis sont dangereux. La Cour d’appel a encore à se prononcer sur l’invalidité de la loi 21 au regard de l’intersectionnalité (entre autres arguments) tel qu’invoqué par la FFQ.

Laissons la Cour effectuer son travail sans pressions de la part du débat politique et reconnaissons que le droit des femmes à l’égalité est un droit collectif auquel on ne peut renoncer sans atteinte à la dignité de toutes les femmes.