L’autrice est anthropologue et membre fondatrice de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)
La ministre responsable de la condition féminine, Martine Biron, a raison : il n’y a pas de consensus concernant la vision du féminisme au Québec. Nous voulons saluer le courage de la ministre pour s’être opposée à la motion présentée par la députée de Québec solidaire (QS), Ruba Ghazal, voulant que, désormais, ce soit l’idéologie intersectionnelle qui devrait dominer l’analyse et les pratiques féministes.
En 2018, un texte publié dans la revue Argument « Censurer au nom d’une idéologie intersectionnelle dévoyée » montre les reculs quant aux droits des femmes depuis que l’intersectionnalité « sévit » à l’intérieur du mouvement des femmes. Voici quelques exemples de reculs en matière de droits que le mouvement féministe avait mis des décennies à conquérir : décriminaliser les agissements de proxénètes qui vivent de l’exploitation sexuelle de femmes vulnérables, rendre légal le fait de commander un bébé et louer un utérus grâce à la commercialisation du recours aux mères porteuses, défendre le port du niqab dans les institutions publiques, prôner le respect absolu de religions patriarcales à l’intérieur du « défunt » cours Éthique et culture religieuse, permettre à des hommes qui se sentent femmes d’être transférés dans des prisons pour femmes, y compris à des agresseurs sexuels, ou de participer à des épreuves sportives réservées aux personnes de sexe féminin, ces hommes proclamant leur ressenti de femmes, ce qui leur permet de remporter les premières places sur les podiums.
L’importance de faire des Analyses différenciées selon les sexes (ADS)
Il faut voir clair dans ce débat : l’ADS ou l’analyse différenciée selon les sexes permet l’analyse de tout projet de loi ou règlement selon son impact sur les femmes. C’est un outil majeur et important pour tout législateur. Une telle analyse permet de combattre les discriminations subies par toutes les femmes, De plus, lors d’une telle analyse, il est tout à fait possible de conclure qu’une loi peut avoir un impact disproportionné sur un groupe de femmes en particulier (par exemple, les femmes monoparentales, autochtones, handicapées ou faisant partie de minorités visibles). Des dispositions spéciales peuvent alors être mises en place pour protéger ces femmes.
Le féminisme universaliste soutenu par PDF Québec est tout à fait en accord avec la pratique de l’ADS telle que prévue par le législateur québécois. PDF Québec veut combattre les discriminations subies par l’ensemble des femmes, parce que femmes et parce que victimes de discriminations, et cela quelles que soient leur origine ethnique, leur couleur de peau, leur religion, leur classe sociale, leur âge, leur situation de handicap ou non, leur orientation sexuelle.
Cependant, ce que Québec Solidaire propose, en liant les ADS au concept du féminisme intersectionnel développé par l’avocate Kimberly Crenshaw aux États-Unis et exporté au Québec, est de donner préséance aux marqueurs identitaires que sont la race (voire la couleur de la peau), l’identité de genre ou encore l’appartenance ethnoreligieuse. Ainsi, ce type de féminisme accorde une priorité aux droits de certaines femmes en particulier. D’autant plus que l’idéologie intersectionnelle doit être lue en relation avec une analyse de décolonisation qui oppose « blancs » et personnes de couleur, sans égard à la condition sociale des personnes, les « blancs » étant tous vus comme des privilégiés et les personnes de couleur comme des victimes et des opprimées.
Un féminisme universaliste
Dans un article du Devoir de février 2020, « Pour un féminisme universaliste », trois féministes québécoises universalistes (Nadia El-Mabrouk, Leila Lesbet et Michèle Sirois) avaient expliqué que la fracture du mouvement féministe au Québec n’était pas récente et avait conduit plusieurs féministes à quitter la Fédération des femmes du Québec (FFQ) pour fonder PDF Québec en 2013, il y a déjà dix ans. Des positions contradictoires se profilent ainsi dans le débat public en ce qui a trait à la laïcité, la prostitution/pornographie ou l’auto-identification du genre menant à la présence d’hommes biologiques dans les espaces réservés aux femmes pour assurer leur sécurité ainsi que l’équité entre les femmes et les hommes.
Les mêmes fractures entre le féminisme universaliste et le féminisme intersectionnel ont lieu aussi en France, en Europe et en Amérique. C’est ce qui a donné naissance le 8 mars 2022 à la création du Front féministe regroupant plus de 70 associations féministes, dont PDF Québec.
Voilà pourquoi nous sommes heureuses de constater que le ministère responsable de la condition féminine ne soit pas tombé dans le piège de l’intersectionnalité.
Pour mieux connaître et adhérer à Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) www.pdfquebec.org ou nous écrire à pourlesdroitsdesfemmes@pdfquebec.org
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