Quand, après le dépôt de son budget, on a interrogé la ministre des Finances Chrystia Freeland sur l’absence de nouvelles mesures pour les Forces armées canadiennes, elle a répondu que le budget reprenait essentiellement des annonces effectuées avant la venue du président Biden, dont l’achat de chasseurs F-35 au coût de 19 milliards $ et un investissement de 39 milliards $ dans le NORAD au cours des 20 prochaines années.
Elle aurait pu ajouter que l’ensemble de son budget, bien que présenté sous le vocable de plan « vert » de transition énergétique, a pour véritable objectif la mise en place d’une économie de guerre pour un affrontement éventuel avec la Chine.
Le découplage des économies
La somme astronomique de 82,7 milliards de dollars de divers crédits d’impôt d’ici 10 ans pour les projets d’énergie verte, d’hydrogène propre, de technologie propre et de captage du carbone et la filière des batteries pour voitures électriques du budget Freeland constituent la réponse canadienne aux 375 milliards de dollars US de subventions et de crédits d’impôt de l’Inflation Reduction Act du président Biden.
Caractérisé de plan « vert » pour la transition énergétique, le plan américain a pour objectif avoué le découplage de l’économie américaine d’avec l’économie chinoise. Finie l’interpénétration des deux économies. Fini le libre-échange. Vive le protectionnisme.
L’objectif est la constitution d’une forteresse économique en Amérique du Nord en renforçant la chaîne d’approvisionnement entre les deux pays dans les secteurs stratégiques. Ce que la ministre Freeland appelait récemment le « friend-shoring ».
Aux Européens qui craignaient de voir leurs entreprises migrer vers les États-Unis pour profiter de l’IRA, John Kerry, l’envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, avait eu à Davos ces mots : Faites comme nous ! C’est le même message qu’a reçu le Canada et dont la réponse est le budget Freeland.
L’implantation d’une méga-usine de fabrication de batteries de Volkswagen en Ontario est un exemple de cette délocalisation des entreprises européennes vers l’Amérique du Nord. Le coût des subventions allouées à VW n’a pas encore été dévoilé, mais la ministre Freeland a déclaré qu’il était inclus dans son budget. Nul doute qu’il fera bondir. En Europe, l’entreprise a déclaré qu’on lui avait fait miroiter des subventions de l’ordre de 10 milliards de dollars. Une somme mirobolante.
Le ministre Fitzgibbon a laissé entendre que le projet de VW a échappé au Québec parce qu’on ne pouvait répondre à ses besoins en électricité. Il aurait fallu construire une ligne de haute tension pour amener l’électricité dans la région de Montréal. On est curieux de savoir comment l’Ontario va répondre aux besoins énergétiques de VW. Par une minicentrale nucléaire? Un approvisionnement en gaz naturel de l’Ouest?
Pour nous consoler, Fitzgibbon affirme que des entreprises québécoises pourraient être des sous-traitants de VW. Pour ce faire, il faudra allonger des millions pour concurrencer l’Ontario et les États-Unis, qui seront aussi sur les rangs.
Pour le Québec et le Canada… les mines
Le président Biden a clairement spécifié que le rôle principal du Canada dans la nouvelle chaîne d’approvisionnement sera la production de minerais stratégiques. Les mines ne peuvent pas être délocalisées. Les États-Unis constatent qu’ils sont trop dépendants de la Chine à cet égard. Ainsi, la Chine concentre aujourd’hui 60 % des capacités de raffinage de lithium. Les quatre cinquièmes des sulfates et oxydes de cobalt utilisés pour produire les indispensables cathodes des batteries lithium-ion sont raffinés en Chine. C’est la même proportion pour la production des terres rares. La Chine est aussi le premier consommateur mondial de minerai de nickel. En République démocratique du Congo (RDC), qui assure plus des deux tiers de la production mondiale du cobalt, la quasi-totalité des mines est sous contrôle chinois. Ce sont là des minerais qui entrent dans la production de batteries et qui sont présents dans le sol canadien. La Chine produit aujourd’hui les trois quarts des panneaux solaires et des batteries et les deux tiers des véhicules électriques.
L’appétit est tel pour ces minerais que l’Oncle Sam a autorisé le Pentagone à investir dans des minières canadiennes. Pourquoi le Pentagone ? Parce que ces minerais entrent dans la fabrication, non seulement de batteries, mais également des armements.
Le budget Freeland accorde d’importants crédits d’impôt pour l’exploitation minière, mais surtout pour la production d’électricité. Les deux politiques sont complémentaires. Aujourd’hui, les mines sont gourmandes en électricité. D’ailleurs, le Devoir du 30 mars nous apprend que des citoyens s’opposent au tracé de la ligne de transport que projette Hydro-Québec pour alimenter la première mine à ciel ouvert électrique au monde, celle de Nouveau Monde graphite (NMG) à St-Michel-de-Saints dans Lanaudière. Le graphite, un minerai essentiel pour la production de batteries.
On peut déjà parier que l’alimentation en électricité des mines aura préséance sur la décarbonation des industries au Québec. Et des projets miniers, il y en aura, subventions fédérales, provinciales et du Pentagone à l’avenant. Les minières ont déjà flairé la bonne affaire. Les claims miniers ont augmenté de 408 % dans Lanaudière, de 211 % en Outaouais et de 71 % dans la région des Laurentides. Les claims permettent à une entreprise d’avoir le droit exclusif d’explorer le sol. Il y a actuellement 280 000 claims miniers actifs au Québec. À Québec solidaire qui réclame un moratoire sur les claims miniers, la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, a répondu que cette mesure enverrait le mauvais message à la communauté internationale, qui s’attend à ce que le Québec participe… à la décarbonation de l’économie !
L’opposition viendra également des Premières Nations. Le Globe and Mail du 30 mars rapportait qu’une importante délégation d’Autochtones de la « Ring of Fire », région riche en minerais, qui se trouve à environ 550 kilomètres au nord-est de Thunder Bay, sont venus manifester au Parlement ontarien pour exiger qu’on les consulte sur les projets en cours. Ces projets comprennent la construction d’une route évaluée à deux milliards de dollars. Les Autochtones protestent aussi contre le fait que des individus et des compagnies claiment leur territoire sans leur consentement.
Le Globe rapporte que deux Premières Nations de la Colombie-Britannique contestent devant les tribunaux un système similaire de prospection dans leur province. Ils affirment que le système est anticonstitutionnel et viole l’obligation du gouvernement de les consulter. La Cour suprême de la province doit se prononcer sur la question au mois d’avril.
Les opposants aux projets miniers et à la construction de lignes de transports d’électricité se feront accuser de s’opposer à la décarbonation de l’économie. Cet argument est frelaté et doit être repoussé, rejeté, combattu. La frénésie pour l’exploitation minière et la filière batteries n’a rien à voir avec une soi-disant « transition énergétique ». Elle s’inscrit dans la reconfiguration des chaines d’approvisionnement à l’échelle mondiale pour mettre fin à la dépendance de l’ouest à l’égard de la Chine. Elle prépare la transformation de l’actuelle Guerre froide en éventuelle Guerre « chaude ». Pacifistes, environnementalistes et progressistes doivent s’unir dans cette lutte pour la paix et l’environnement.
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