Nadia El-Mabrouk et Fatima Aboubakr, Najia Lfarouk, Mandana Javan, Radhia Ben Amor, Mina Bouchkioua et Leila Lesbet, citoyennes de culture musulmane.
Plusieurs sont tombés des nues en apprenant que des écoles secondaires réservaient des locaux pour permettre à des élèves musulmans de prier. L’école publique au Québec n’est-elle pas laïque?
Le droit à des services publics laïques tel qu’enchâssé dans la loi 21 exige le respect de la neutralité religieuse, non pas dans le sens de représenter toutes les religions, mais dans celui de n’en représenter aucune. Par ailleurs, la Loi sur l’instruction publique modifiant le statut des commissions scolaires a mis fin aux services d’animation spirituelle dans les écoles.
Comment se fait-il alors que les directions d’écoles continuent à se plier à des demandes de lieux de prière? C’est qu’en vertu de la loi visant à encadrer les demandes d’accommodements religieux (mieux connue sous le nom de loi 62), les institutions publiques sont tenues d’accorder des accommodements religieux à certaines conditions, notamment respecter le principe de neutralité religieuse de l’État, l’égalité entre les hommes et les femmes, et ne pas nuire au bon fonctionnement de l’établissement.
C’est dans ce contexte législatif que les directions d’établissement, comme l’école secondaire Mont-De-La Salle de Laval dont il a été question cette semaine, tentent d’« acheter la paix » en acquiesçant aux demandes des élèves musulmans sur la base de la liberté religieuse, tout en respectant la loi 21 et les obligations imposées par la loi sur les accommodements religieux. Mais à l’impossible nul n’est tenu.
Neutralité religieuse
Dans le cas de l’école de Laval, le directeur général du centre de services scolaire (CSS), Yves-Michel Volcy, explique qu’il ne s’agit pas d’un lieu de prière, mais d’un local « non confessionnel » ouvert à tous. Or, dans les faits, l’unique raison pour laquelle le local de « ressourcement » a été rendu disponible est qu’une soixantaine d’élèves musulmans priaient dans les cages d’escaliers, les sorties de secours et les stationnements. Il s’agit donc bien d’un lieu de prière exclusif aux musulmans, ce qui contrevient à la neutralité religieuse de l’école.
Égalité des femmes
Selon l’information obtenue par Cogeco Nouvelles, les filles ont été refusées à l’entrée du local de prière. Cette information a été contredite par M. Volcy, qui explique cependant que les garçons et les filles « ne se sont pas mélangés ». Comment accepter cette situation et soutenir, du même souffle, que c’est un local mixte ouvert à tous? Qu’il s’agisse d’y interdire l’accès aux filles, d’y faire alterner successivement les garçons et les filles ou, comme il est de mise dans la religion musulmane, de laisser les filles prier derrière les garçons, tout cela contrevient au principe d’égalité des sexes et n’a pas sa place à l’école.
Liberté de religion et vivre-ensemble
En 2016, dans le cadre du départ d’une dizaine de jeunes du cégep Maisonneuve pour le djihad en Syrie, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) a produit un rapport très instructif sur le climat de radicalisation qui s’y était installé. Afin de répondre à une demande de lieu de prière, la direction du cégep avait mis à la disposition des étudiants un lieu de ressourcement ainsi qu’une salle pour les prières du vendredi. Loin de contribuer au mieux vivre-ensemble, cela n’a fait qu’alimenter un climat de radicalisation, de repli communautaire et de méfiance réciproque à l’intérieur du cégep.
Même si la situation actuelle est différente, les pressions religieuses sur les jeunes de certaines communautés se poursuivent. Plusieurs d’entre nous peuvent témoigner de la stigmatisation que subissent les enfants musulmans s’ils refusent de se plier aux préceptes de l’islam tels qu’imposés par certains élèves.
La pression est particulièrement forte lors du mois de ramadan, ceux qui ne jeûnent pas s’exposant à l’accusation d’être de « mauvais musulmans ». C’est ainsi que de jeunes écoliers passent la journée sans manger, au détriment de leur santé et de leurs études.
La présence de lieux de prière dans les écoles ne fait que renforcer ce contrôle en donnant la possibilité à certains de surveiller qui fait sa prière, et qui ne la fait pas.
Bon fonctionnement de l’établissement
L’information obtenue par Cogeco Nouvelles pour l’école secondaire de Laval fait état d’un climat de peur. On mentionne notamment que des enseignants musulmans ayant fui l’islamisme dans leur pays s’inquiètent de retrouver « la même chose » dans leur école.
Le directeur général du CSS de Laval note d’ailleurs que le nombre d’élèves priant dans les couloirs et autres lieux inappropriés de l’école est sans précédent. Cette information est corrélée par d’autres témoignages relatant une intensification, dans les derniers mois, des demandes de lieux de prière, comme si un mot d’ordre avait été lancé.
Or, cet excès de religiosité ne peut que s’accentuer si l’on cède aux revendications. Loin de conclure que l’octroi d’un local de prière a contribué à améliorer le vivre-ensemble, le rapport du CPRMV de 2016 relate plutôt une situation qui n’a fait que s’envenimer.
En tant que citoyennes de culture musulmane, nous nous inquiétons de l’augmentation de telles revendications religieuses déraisonnables, non justifiées par la religion musulmane elle-même, préjudiciables pour l’image des musulmans au pays et qui mettent nos jeunes en danger de radicalisation.
Pour toutes ces raisons, nous saluons la décision du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, d’interdire les locaux de prières dans les écoles, y compris ceux dissimulés sous le vocable de « local de ressourcement ». Il est tout simplement impossible de concilier de tels accommodements religieux avec l’exigence d’assurer le droit de la population à une école publique laïque.