Immigration : L’accueil rapide, essentiel pour une intégration réussie

2023/04/12 | Par Anne Michèle Meggs

Déplaçons-nous dans le temps. Revenons en arrière à l’année 2010. Votre plan de vie d’immigrer au Québec est sur le point de se réaliser. Vous avez fait votre demande d’immigration à partir de votre pays d’origine, vous avez été sélectionné selon la grille de sélection du Québec, et vous avez reçu votre certificat de sélection du Québec (CSQ) et votre document de résidence permanente.

Vous arrivez enfin à l’aéroport de Montréal, en parcourez les corridors jusqu’à la file d’attente dédiée aux postes de l’Agence des services frontaliers canadiens. Vous attendez que soient effectuées les vérifications diverses du gouvernement canadien, vous recevez votre carte de résidence permanente et un responsable fédéral vous dirige à un comptoir adjacent.

En arrivant à ce comptoir, vous vous trouvez devant une personne portant l’uniforme d’Immigration Québec, qui vous accueille avec un beau « Bienvenue au Québec ».

Vous êtes enfin arrivés!

À ce comptoir, on met à jour, au besoin, vos coordonnées et on vous offre de l’information et des services sur le champ.

On vous rappelle que vos enfants vont être inscrits à une école française. Si vous craignez que votre connaissance du français ne soit pas la hauteur, on vous propose de fixer un rendez-vous pour une demande d’admission à des cours de français gratuits et on vous réfère à un organisme communautaire, situé pas trop loin de votre nouvelle adresse, qui pourra vous accompagner dans vos démarches d’installation.

Si vous comprenez bien le français, on vous invite à fixer un rendez-vous dans moins de cinq jours pour une séance de groupe sur les premières démarches d’installation. On vous offre aussi de fixer un rendez-vous pour obtenir votre carte de la RAMQ. On vous fournit une trousse d’information sur le Québec et les services gouvernementaux, notamment un dépliant (disponible dans plusieurs langues) de la Commission des normes du travail sur vos droits comme travailleuse ou travailleur au Québec, et même des renseignements sur les démarches à suivre pour vous procurer un numéro d’assurance sociale. Si vous avez des questions, l’équipe est là pour y répondre. Tout ça avant même d’aller prendre possession de vos bagages.
 

Déclin drastique de l’accueil à l’arrivée1

En 2019, 57 % des résidents permanents arrivant au Québec ont vécu cette expérience. En 2022, ce chiffre avait fondu à 14 %.

Un nombre significatif de jeunes arrivant de l’étranger pour étudier au Québec étaient aussi accueillis par le Service d’accueil à l’aéroport (SAA), soit autour de 11 000 en moyenne par année entre 2014 et 2019. En 2022, 1 898 étudiantes et étudiants ont été accueillis par le SAA. Pourtant, pour l’année 2021-2022, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a délivré plus de 109 000 Certificats d’acceptation du Québec (CAQ) pour les études !

Les personnes détenant un permis de travail temporaire n’ont jamais fait partie de la clientèle du SAA. C’est toujours le cas. Pourtant, le nombre de postes, approuvé dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) l’année dernière, était presque de 67 000, une augmentation de 87 % par rapport à 2021. De plus, au 31 décembre 2022, plus de 73 000 personnes étaient au Québec avec un permis de travail délivré dans le cadre du Programme de mobilité internationale (PMI). Le triple du nombre de 2010.

Les demandeurs d’asile ne sont pas non plus accueillis par le SAA. Il y en a presque 12 000 qui sont arrivés à l’aéroport de Montréal en 2022.
 

Des services d’accueil le plus tôt possible

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a publié, en février dernier, un rapport intitulé « Mesures d'introduction pour les migrants nouvellement arrivés ». Il s’agit d’une étude comparative des services d’accueil et d’intégration offerts par les pays membres de l’Organisation.

Selon ce rapport, « une intégration réussie sur le marché du travail est souvent considérée comme essentielle au maintien de l'État-providence (principalement dans les pays européens), et l'emploi est largement considéré comme une voie vers l'intégration et la cohésion sociales. Ces dernières années, l'intégration sociale a également fait l'objet d'une attention croissante, l'objectif étant de veiller à ce que les immigrants nouvellement arrivés soient conscients des valeurs fondamentales de la société du pays d'accueil et qu’idéalement, ils les partagent. Le moment le plus judicieux pour faire le point sur les compétences existantes d'un migrant et d’élaborer un plan pour en acquérir de nouvelles est celui de son arrivée dans le pays d'accueil. » (traduction)

Le rapport lie étroitement une connaissance de la langue du pays d’accueil à l’intégration sur le marché du travail. Les compétences linguistiques sont donc parmi celles à évaluer dès l’arrivée.

Quand la majorité des personnes immigrantes se présentaient avec leur autorisation de résidence permanente, le Québec en rejoignait un bon nombre dès leur arrivée à l’aéroport et était en mesure d’assurer un suivi. Avec la décision de mettre l’accent sur l’immigration temporaire, le MIFI a perdu ce levier important permettant d’évaluer rapidement les besoins de la plupart des personnes immigrantes et de les diriger vers les services les plus utiles et les plus importants.

Aujourd’hui, la personne immigrante est invitée à s’inscrire à une application qui s’appelle « Accompagnement Québec » pour des informations et des conseils utiles et, au besoin, pour prendre un rendez-vous téléphonique avec un agent d’aide à l’intégration. Il passera avec elle à travers un questionnaire permettant de déterminer ses besoins et il la référera à l’organisme communautaire ou aux services gouvernementaux pertinents.

Si le nombre de personnes en entrevue a augmenté dans les deux dernières années de 6 041 en 2021-2022 à 7 152 au cours des trois premiers trimestres de 2022-2023, nous sommes encore très loin des dizaines, sinon des centaines de milliers de personnes qui sont arrivées, l’année dernière, au Québec en provenance de l’étranger et qui étaient admissibles aux services d’accueil, d’intégration et de francisation.
 

Les inconnus en matière d’arrivées

En fait, les processus actuels d’immigration au Québec créent plusieurs obstacles à la mise en place par le MIFI d’un système d’accueil rapide, efficace et systématique des personnes immigrantes.

Presque tous les processus prévus pour les personnes arrivant au Québec incluent les deux gouvernements. Après avoir obtenu un CSQ ou un CAQ pour les études ou pour le travail, la personne fait sa demande au gouvernement canadien pour l’obtention de la résidence permanente ou d’un permis d’étude ou de travail.

Dans les cas du Programme de mobilité internationale et des demandes d’asile, le Québec ne participe aucunement au processus préalable. Le résultat est que, sauf pour les quelques personnes sélectionnées qui se présentent au SAA, le MIFI ne sait pas exactement qui a réussi son passage auprès de la bureaucratie fédérale ni quand la personne est arrivée sur le territoire.

Toutes ces personnes sont perdues de vue jusqu’à ce qu’elles s’inscrivent à « Accompagnement Québec » ou à un programme d’intégration ou de francisation du ministère, ce qui peut prendre plusieurs semaines, mois ou même années après leur arrivée, ou pas du tout.
 

Des enjeux au-delà des chiffres et les discours

Dans le chapitre traitant des efforts devant être déployés pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans le récent budget du ministre des Finances Éric Girard, le gouvernement propose de dépenser 509,6 millions de dollars sur cinq ans pour «appuyer l’intégration socio-économique des personnes immigrantes». Presque 42 % de ce montant est destiné à Francisation Québec. Il y a aussi un accent clair sur l’immigration temporaire avec 33,5 M$ du total pour « favoriser l’attraction et la rétention de travailleurs, notamment par l’accélération du traitement des demandes des travailleurs étrangers ».

Le nouveau porte-parole pour l’immigration et la francisation de Québec solidaire, Guillaume Cliche-Rivard, promet un discours rassembleur dans ce dossier. C’est une bonne nouvelle. Cela suppose des mesures d’intégration socio-économique, linguistique et culturelle auprès des personnes arrivant au Québec. Il s’agit d’un autre enjeu fondamental à débattre lors des consultations à venir sur la capacité d’accueil de l’immigration pour les prochaines années.

Les données présentées viennent de plusieurs sources officielles, notamment des Rapports annuels de gestion du MIFI, des documents budgétaires du Budget du Québec 2023-2024, des données d’immigration et des demandes d’asile du Gouvernement du Canada et d’une demande d’accès à l’information.