Éducation : Pour une discussion nationale

2023/05/17 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste
Au lendemain de sa réélection, le premier ministre Legault déclarait que l’éducation était une priorité. Avec un gouvernement super majoritaire comme le sien, tous les espoirs étaient permis. Pour être honnête, toutes les craintes aussi ! On peut s’attendre à tout avec une coalition populiste à tendance de droite comme la CAQ au pouvoir.

Six mois plus tard, le ministre de l’Éducation dépose le projet de loi 23, projet de loi qui se veut plus une réforme de la gouvernance scolaire qu’une réforme du réseau scolaire. C'est un peu décevant de constater que M. Legault avait en tête une réforme de la gouvernance scolaire quand il déclarait que l’éducation était une priorité pour lui.

Dans sa réforme, le ministre propose, entre autres, de créer un Institut national de l’excellence en éducation, dont l’objectif sera de cibler à partir de données probantes les meilleures pratiques d’enseignement; de mettre en place un tableau de bord afin de colliger en temps réel les données sur la réussite éducative; de se donner le pouvoir de nommer ou destituer les directrices et directeurs généraux de centres de services scolaires (CSS) et même de pouvoir casser leurs décisions qui iraient à l’encontre de celles de monsieur le Ministre.

Le ministre Drainville se donne également un droit de regard sur la formation en continu de 30 heures que les enseignantes et enseignants doivent suivre chaque année. Le ministre nous donne, comme exemple, qu’il pourrait exiger que chaque enseignante et enseignant ait 5 heures de français sur les 30 hures prévues.

On reconnait encore une fois la signature de la CAQ dans ce projet de loi. « On sait ce qui est bon pour vous et on va vous le rentrer dans la gorge. » Le tout, bien entendu, avant toute consultation des acteurs du milieu.

Gérer l’État comme une entreprise

De plus en plus, on constate que, pour M. Legault, gouverner un État veut dire le gérer comme une entreprise privée. Ses ministres sont ses directrices et directeurs de département. Ils doivent détenir un maximum de pouvoir et se donner la capacité de faire de la microgestion afin de s’assurer que tout le monde rame dans la bonne direction, c’est-à-dire celle du PDG de la compagnie.

La bonne et, surtout, vieille méthode de direction, soit du haut vers le bas. Une méthode qui, comme tout le monde le sait, atteint vite ses limites parce qu'elle fait fi de tous les apports positifs que les acteurs du milieu pourraient apporter à l’organisation.

De plus, tout comme son collègue de la Santé l’a fait avec son projet de loi, M. Drainville fait peu de cas que les acteurs du secteur de l’éducation soient actuellement en négociation pour le renouvellement de leur convention collective et il dépose un projet de loi qui vient affecter les conditions de pratique de leur profession. Comme mépris envers des travailleuses et travailleurs, c’est difficile de faire mieux.

En résumé, lorsque M. Legault décrète une priorité, on centralise les pouvoirs dans les mains du ministre, sans consultation des acteurs du milieu, et lorsque ceux-ci s’insurgent ou posent des questions légitimes, on leur dit de se calmer et de cesser d’être toujours négatifs.

Personnellement, je m’attendais à plus d’un premier ministre qui décrète que l’éducation est une priorité. Tout le monde sait que notre réseau scolaire souffre depuis plusieurs années. Tout comme ailleurs dans la société, il y a un manque criant de main-d'œuvre en éducation, ce que le milieu ne cesse de proclamer haut et fort. Nos établissements sont pour la plupart désuets, résultat en partie des politiques néolibérales et du sacro-saint équilibre budgétaire imposé par les gouvernements précédents.

Avec le temps, notre réseau s’est transformé en un système à trois vitesses, avec le réseau public « régulier », le réseau « privé » pour les mieux nantis et le réseau public « avec concentration » en sport, en art ou les écoles dites internationales.

Trois axes prioritaires

Depuis des années, on assiste à des réformes à la pièce de notre système d’éducation. En fait, la dernière fois que le Québec s’est réellement interrogé sur ce que nous voulions comme système d’éducation remonte à 1964 avec la Commission Parent. Il est plus que temps de refaire l’exercice!

Avec un gouvernement détenant une super majorité et un premier ministre qui déclare, au lendemain de sa réélection, que l’éducation est une priorité, nous sommes en droit de nous attendre à mieux qu’une centralisation des pouvoirs comme réforme. La CAQ a les coudées franches pour entreprendre une réelle discussion nationale sur le système d’éducation que nous voulons au Québec, mais encore faut-il qu’elle le veuille.

Une discussion nationale avec tous les acteurs du milieu pourrait se tenir autour de trois axes.

Les lieux d’apprentissage. Nos établissements scolaires sont vétustes. Il faut aller plus loin que la façade que  le projet de Lab-école proposé par la CAQ. Oui, il est vrai que ces écoles actuellement en construction seront des lieux d’apprentissage de choix, mais il faut se demander : que fait-on des autres lieux d’apprentissages, doit-on les rénover, les relocaliser, en avoir plus, moins ? Est-ce que nous voulons des lieux d’apprentissage où les enfants pourront également être nourris convenablement? Quel échéancier serait réaliste pour mettre à niveau tous ces établissements ? Comment se donne-t-on, collectivement, les moyens afin de pérenniser cette mise à niveau?

Les apprentissages pour nos enfants. Voulons-nous un système scolaire public, accessible, sans frais, où toutes les personnes qui le fréquentent ont une chance égale de s’instruire, s’éduquer et de s’épanouir comme être humain sans égard à leur richesse, leur milieu socio-économique ou leur lieu de naissance ?

Voulons-nous un système scolaire qui forme et éduque en vue de faire en sorte qu’au terme de leur parcours scolaire les étudiantes et étudiants soient des personnes avec une ouverture d’esprit, doté d’une pensée critique et soucieuse et capable de participer activement dans leur vie en communauté et d’en assurer son avenir?

Les personnes qui dispensent l’apprentissage. Quelle place voulons-nous donner aux enseignantes et enseignants? Voulons-nous collectivement qu’elles soient élevées au rang de pierre d’assise de notre société? Voulons-nous leur donner le support, les outils, le respect et la confiance auxquels elles doivent s’attendre pour mener à terme les tâches d’apprentissage qu’on leur confie? Quel rôle les parents doivent-ils jouer dans notre système scolaire?

Voulons-nous, collectivement, affirmer que les parents doivent et peuvent, dans la mesure de leurs capacités, participer activement à tous les niveaux du système scolaire, voulons-nous les supporter dans le rôle qu’ils désirent jouer?

Ce ne sont là que quelques questions qui pourraient être posées dans le cadre d'une discussion nationale sur l’avenir de notre système d’éducation.

Comme je l’ai mentionné plus tôt : encore faudrait-il que notre bon gouvernement veuille la faire. Malheureusement, je crains que M. Legault et son ministre de l’Éducation n’aient pas l’étoffe des grands bâtisseurs qu’il faut pour réaliser un tel projet. M. Legault nous répète souvent qu’il veut créer de la richesse pour le Québec. Moi, M. Legault, je vous dis que la richesse collective d’une société se crée à partir de ses enfants et que le système d’éducation d’un État y est pour beaucoup. Une discussion nationale sur l’avenir de notre système scolaire avec tous les acteurs s’impose. Il ne manque que le courage et la volonté politique de le faire.