Révolution syndicale en cours au Mexique

2023/05/17 | Par Luc Allaire

Le mouvement syndical mexicain vit actuellement un moment historique. Les travailleuses et travailleurs mettent en place des syndicats indépendants du gouvernement et du patronat dans de nombreuses usines à travers le pays. Ils remettent en question le contrôle des vieux syndicats corrompus dominés par les patrons. Ils demandent le droit de négocier des conventions collectives qui amélioreront les salaires et les conditions de travail.

Cette démocratisation du mouvement syndical est rendue possible grâce à une réforme du droit du travail mise en œuvre par le gouvernement mexicain à la suite de la renégociation de l’accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique. Cependant, il reste de nombreux défis à relever, car les syndicats corrompus disposent d’énormes moyens et de puissants appuis. « Ils ne laisseront pas facilement aller leur influence, usant de menaces, de manipulations et de violence pour asseoir et maintenir leur emprise », souligne Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO).

Une délégation mexicaine au Québec  

Une délégation formée de quatre représentantes et représentants du mouvement syndical mexicain est venue au Québec au début de mai pour expliquer cette réforme grâce à un projet intersyndical d’appui à la réforme du droit du travail au Mexique coordonné par le CISO, le CTC, le SCFP, l’AFPC et le Fonds humanitaire des Métallos. Cette délégation a participé à une conférence le 6 mai au Conseil central de Montréal métropolitain de la CSN.

« Nous vivons un changement du panorama syndical après 70 ans de corruption et de violence dans le milieu syndical », affirme Mme Rosario Ortiz du Réseau des femmes syndicalistes. « Auparavant, nous devions lutter contre un appareil bureaucratique très lourd. Il était impossible d’avoir des informations sur le fonctionnement des syndicats. Maintenant, les syndicats sont tenus de consulter leurs membres sur le contenu des conventions collectives avant de les signer. »

Cela peut sembler évident, mais au Mexique les patrons déterminaient le contenu des contrats de travail qu’ils faisaient signer à des représentants syndicaux qui, souvent, ne travaillaient pas dans l’entreprise, et les travailleurs n’étaient pas au courant du contenu.

Ces contrats dits de droit patronal ont fait l’objet de plaintes à l’Organisation internationale du travail (OIT). Toutefois, déplore Rosario Ortiz, « il existe encore 120 000 contrats collectifs qui ne sont pas légitimes. Il y a encore des millions de travailleurs qui n’ont aucune protection légale. Ils font face à une armée d’avocats et de patrons qui tentent de s’approprier la réforme du droit du travail. Nous devons faire des campagnes pour faire reconnaitre les droits des travailleurs ».

Rosario Ortiz dit apprécier la solidarité des organisations syndicales québécoises dans le combat mené au Mexique pour l’obtention de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. « C’est la première fois que nous avons cette perspective de démocratisation syndicale. On nous a toujours imposé nos conditions de travail. »

Julia Quiñonez du Comité frontalier des ouvrières fait partie d’une organisation qui a été créée au moment où se sont implantées les maquiladoras. Ces zones franches ont été implantées à la frontière entre les États-Unis et le Mexique afin d’empêcher l’émigration des Mexicains vers les États-Unis. « Les femmes qui travaillent dans ces entreprises étaient décrites comme des petites mains, ce qui signifiait qu’elles étaient plus faciles à manipuler, explique-t-elle. Mais, aujourd’hui, elles réclament de meilleurs salaires, car ceux-ci ne suffisent pas avec l’inflation. Certaines travailleuses gagnent seulement 45 dollars par semaine. »

Cependant, quand ces femmes s’organisent, on les accuse de vouloir la fermeture des entreprises. « Évidemment, ce n’est pas le cas, répond Mme Quiñonez. Notre travail consiste à informer toute la population de la réforme du droit du travail, par la radio, des tracts, etc. Personne ne peut défendre des droits qu’on ignore. »

Elle note que l’émigration vers les États-Unis n’a pas été enrayée par l’implantation des maquiladoras. « Des milliers de personnes tentent toujours de traverser le Rio Bravo, même si c’est très dangereux. Ces personnes ont travaillé dans la maquilas, mais devant des conditions de travail aussi déplorables et des salaires aussi faibles, elles décident de partir. »

Des parlements ouverts pour favoriser le dialogue social

Aldo Morales du Syndicat Los Mineros rappelle que cette réforme est en cours depuis quelques années. Le gouvernement a organisé des parlements ouverts afin de consulter les parties prenantes à cette réforme.

« Face aux caméras, les patrons et le gouvernement disent qu’ils sont pour la réforme, mais en réalité c’est tout le contraire. Il est vrai que le gouvernement actuel est plus conscientisé et ouvert aux droits des travailleurs, mais il y a toujours des résistances. »

Au cours des débats entourant cette réforme, ses adversaires affirmaient que si les travailleurs exigeaient de meilleurs salaires, les entreprises déménageraient vers des pays où la main-d’œuvre est mal payée et qu’il y aurait des pertes d’emplois.

Ce à quoi Aldo Morales répond : « Actuellement, au Mexique, les salaires sont très faibles, les conditions de travail sont mauvaises, les mesures de santé et sécurité au travail insuffisantes. Il y a beaucoup d’accidents de travail, des mineurs perdent la vie, il y a des déversements de produits toxiques dans l’eau qui entrainent des conséquences néfastes pour la santé des gens et occasionnent des cancers. »

« Notre mission au Canada nous permet de mieux connaitre le fonctionnement syndical ici, poursuit-il. Avant, les travailleurs ignoraient le contenu des conventions collectives, plusieurs ne savaient même pas le nom de leur syndicat. La situation s’améliore, les gens viennent nous voir pour connaitre leurs droits, mais le chemin sera long. »

Des contrats de travail signés sans consultation des travailleurs

Jaime Aguilar, du Front authentique du travail (FAT), abonde dans le même sens. « Dans le secteur du textile où de nombreuses manufactures sont implantées dans les maquiladoras, les conditions de travail sont déplorables. Les travailleuses sont soumises à des syndicats corrompus. Mais, maintenant, nous voyons des travailleuses et travailleurs prendre le contrôle de leur syndicat. Le processus de démocratisation est sur la voie du succès. Ces travailleuses et travailleurs ne bénéficiaient pas de protection syndicale, car l’employeur discutait avec des représentants syndicaux qui n’étaient pas des travailleurs, mais qui signaient tout de même des ententes sans consulter qui que ce soit. »

Cette manière de faire est en train de changer, explique Jaime Aguilar. Les directions syndicales savent qu’elles doivent consulter leur base, que les projets de convention doivent être soumis à un vote des travailleurs. Si la majorité est contre, les travailleurs poursuivent les négociations et ont la possibilité de déclencher une grève. Nous avons enfin la liberté syndicale, les travailleurs peuvent se syndiquer avec le syndicat de leur choix, ils peuvent refuser le syndicat choisi par le patron. »

La loi garantit le droit à la négociation collective démocratique avec un processus de consultation. Tout cela n’existait pas auparavant.

« Nous vivons une véritable révolution démocratique, de conclure Jaime Aguilar. Les syndicats doivent rendre des comptes, ouvrir leurs livres à leurs membres. Nous allons nous battre pour que la réforme s’implante sur le terrain. Pour y arriver, nous avons besoin de la solidarité internationale. »