Urgence climatique et municipalités

2023/05/31 | Par Jacques Benoit et Marc Brullemans

Du 3 au 5 mai dernier avaient lieu à Gatineau les assises de l’Union de municipalités du Québec (UMQ). Invité à y prendre la parole, le premier ministre François Legault s’y est montré vraiment désolé des inondations en cours alors dans 89 municipalités.

Mais face à la demande de l’UMQ d’un fonds de 2 milliards $ par année pendant 5 ans permettant aux municipalités du Québec de mieux s’adapter aux impacts climatiques inévitables, il refusait net de s’engager dans un tel pacte fiscal. Sa raison ? Les Québécois seraient les plus taxés en Amérique du Nord et auraient atteint leur capacité de payer! 

La veille, il avait pourtant visité des sinistré.e.s dans Charlevoix, leur souhaitant du courage et promettant de les aider. Croyait-il qu’avec des baisses d’impôt de 370 $ en moyenne par année, leur capacité d'adaptation serait rehaussée?...

Quelques jours plus tard, il en rajoutait en disant que le gouvernement ne pouvait assumer seul tous les coûts, il fallait que les municipalités fassent leur part !

Ces réponses ne sont pas sans rappeler le proverbe « Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt ! »

La question du réchauffement planétaire ne peut être considérée comme un problème parmi tant d’autres dont on négocie le coût des dommages sur un coin de table. Le réchauffement climatique en cours va augmenter la fréquence des événements météo extrêmes, dont celles des crues et des inondations. Faut-il rappeler ici que chaque degré supplémentaire de chaleur fait augmenter de 7% le taux d’humidité dans l’air et que l’on prévoit d’ici la fin du siècle une augmentation d’au moins 4 degrés pour le sud du Québec ?...Faut-il rappeler encore que les gaz à effet de serre (GES) émis maintenant ou demain ne feront que hausser notre dette climatique?

C’est pourquoi les municipalités sont en droit de demander aux gouvernements supérieurs les moyens et les ressources pour s’adapter.

Mais ça ne suffira pas.  

Comme le disait l’ancien maire de Saint-Bruno-de-Montarville, Martin Murray : « La lutte aux changements climatiques, ça devrait être englobant : la lutte veut dire « je prends des mesures pour réduire, et en même temps, je prends des mesures pour m’adapter ». Ça va donc prendre des règlementations et des lois pour changer nos façons de répondre à nos besoins en société, pour d’abord réduire notre consommation en général et notre consommation d’énergie en particulier, et pour réduire drastiquement nos émissions de GES qui sont la cause de ces événements extrêmes qui vont nous assaillir de plus en plus. Parce que ça va empirer.

L’Accord de Paris de 2015 précisait qu’il fallait contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et même limiter l'élévation à 1,5 °C « étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques. »

En 2021, des scientifiques utilisant des modélisations climatiques les plus complètes (voir le tableau qui suit) écrivent que le seuil de +1,5 °C serait atteint dès 2026 dans un scénario élevé. Quant à +2 °C, il pourrait être atteint dès 2039, le tout nous amenant à + 5 °C avant la fin du siècle. 
 


 

Le 20 mars dernier, le GIEC, en déposant son 6e rapport, nous avisait qu’il ne reste que 6 ans pour maintenir l’augmentation de la température planétaire sous le seuil de 1,5 °C, sinon, on va y goûter !

Ici même, jusqu’aux inondations, en moins d’un an, on a eu droit :

  • au derecho du mois de mai l’an dernier: du sud de l’Ontario jusqu’à l’ile d’Orléans ; des vents de 150 km/h, des pannes de courant dans 550 000 foyers ; ça a coûté 70 millions $ à Hydro-Québec;

  • à une forte tempête de vents les 23 et 24 décembre, dans plusieurs régions québécoises, 640 000 foyers sans électricité ; le rebranchement a pris jusqu’à 10 jours ; 55 millions $ pour Hydro-Québec; et

  • au verglas du début avril: 1 100 000 ménages en panne d’électricité dans les régions de l’Outaouais, Montréal, Montérégie et Estrie. Plusieurs ont pensé au verglas de 1998; au 15 mai, Hydro-Québec évaluait les coûts à environ 50 millions $.

Et on ne parle pas des chaleurs record et de la sécheresse à la base des feux de forêt dévastateurs actuels dans les provinces de l’Ouest et dans les maritimes. "A mari usque ad mare"…

Le 17 mai dernier, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) soulignait que la période 2023-2027 sera la plus chaude jamais enregistrée sur la planète, et que le réchauffement annuel atteindra 1,5 degré au cours de cette période. Le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas a insisté sur la nécessité de se préparer parce que «les répercussions sur la santé, la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau et l’environnement seront considérables».

Breakthrough National Centre for Climate Restoration estime que nous devons nous préparer au pire des scénarios, parce que la gestion des risques en matière de climat n’est pas comme dans d’autres domaines : en cas d’échec, on ne pourra se reprendre. Soyons conscients que le nombre des crises climatiques qui vont nous assaillir sera inversement proportionnel à nos chances de survie.

C’est pourquoi nos gouvernements doivent cesser de se fermer les yeux sur la réalité des impacts qui vont nous frapper et qui ne pourront être corrigés par des digues ou des barrages. Ils doivent aussi cesser de considérer le réchauffement planétaire comme une occasion d’affaires et de développement économique : ce n’est pas de prospérité dont nous avons besoin, mais de sobriété. Ils doivent également cesser de nous présenter des plans de réduction comme des exercices de calcul mathématique ou de comparaisons de nature arbitraire.

Les cibles de réductions fédérales et provinciales sont insuffisantes, les plans pour les atteindre ne sont pas assez ambitieux, et ce qu’il y a à faire ne relève pas seulement des finances : notre société a besoin d’un sérieux coup de barre dans ses façons de faire et d’être, avant qu’il ne soit trop tard.

Les municipalités doivent rappeler au fédéral et au provincial l’urgence de leurs engagements à réduire les GES, et les coûts exorbitants des événements climatiques actuels et à venir. De concert avec les gouvernements, elles doivent aussi expliquer à leurs populations les conséquences climatiques, sanitaires et environnementales de notre mode de vie qui nous met déjà en danger et, conséquemment, la nécessité impérative d’en changer.

Le réchauffement climatique va beaucoup plus vite que ce que l’on voulait nous faire croire et on oublie de nous dire qu’il s’accélère ! Non seulement l’adaptation presse, mais la réduction drastique est obligatoire et incontournable : elle sera même décisive, si on ne veut pas trop en souffrir. Vouloir s’adapter sans réduire est une cause perdue.

Chaque retard, chaque atermoiement, chaque non-action”, chaque “non-réduction” nous coûtera très cher, de plus en plus cher avec le temps qui passe.