L’excellent documentaire « Parizeau et son pays imaginé », de Jean-Pierre Roy et André Néron sur la carrière politique de l’ancien premier ministre permet de tirer des leçons pour l’avenir du mouvement indépendantiste.
Dans le documentaire, le sociologue Guy Rocher rappelle le choc qu’a constitué pour Monsieur Parizeau le scandale de l’extrême pauvreté de la scolarisation des Québécois au début des années 1960. En économiste qu’il était, Monsieur Parizeau en tirait, selon Rocher, la conclusion suivante : « Nous n’avons pas la main-d’œuvre et les entrepreneurs pour le développement économique qui s’en vient. » De là s’est imposée la nécessité d’une réforme majeure du système d’éducation et sa démocratisation.
Aujourd’hui, les acquis de la Révolution tranquille sur notre système d’éducation sont loin derrière nous. Avec l’explosion de l’école à trois vitesses, notre système est redevenu la plus ségrégationniste au Canada.
Dans ses Mémoires, Guy Rocher regrette que la commission Parent, dont il était membre, ait permis le maintien d’écoles privées. De marginales à l’époque, elles recrutent maintenant près de 40 % des élèves du secondaire dans les grands centres. Pour la concurrencer, l’école publique n’a rien trouvé de mieux que d’instaurer des programmes particuliers sélectifs.
Rocher déplore également dans ses mémoires que les dispositions de la loi 101, dont il a été un des rédacteurs, n’aient pas été étendues au réseau collégial. Là aussi, la brèche s’est élargie et plus de la moitié des étudiants fréquentant le réseau des cégeps anglophones sont francophones ou allophones.
Cette popularité n’est pas sans lien avec les projets particuliers d’anglais intensif aux niveaux primaire et secondaire, qui en constituent la grande majorité. Les élèves de l’anglais intensif d’aujourd’hui sont les étudiants du cégep anglais de demain.
Dans les années 1960, il y avait un large consensus pour une réforme fondamentale du système d’éducation. Aujourd’hui, ni la CAQ ni les libéraux ne remettent en question l’école à trois vitesses ni ne prônent l’extension de la loi 101 au cégep. Le PQ milite pour la loi 101 au cégep, mais est tiède sur l’abolition de l’école sélective. QS est pour l’abolition de l’école à trois vitesses, mais contre la loi 101 au cégep.
Libre-échange et Lac Meech
Jean Royer, le chef de cabinet de Monsieur Parizeau, raconte que deux événements politiques majeurs laissaient entrevoir à Monsieur Parizeau un avenir favorable pour le projet indépendantiste : le traité de libre-échange et l’Accord du Lac Meech.
Le traité de libre-échange brisait la dépendance économique du Québec à l’endroit du Canada. « Nous avons l’association avant la souveraineté », déclarait Monsieur Parizeau, selon Royer. « Si le premier ministre du Manitoba déclare : “Jamais on ne négociera avec le Québec”, on fera affaire avec le Wisconsin voisin. »
Quant à l’Accord du Lac Meech, Monsieur Parizeau en tirait « deux certitudes », raconte Royer. « Ce n’est pas suffisant pour le Québec, mais c’est trop pour le Canada. » La suite des événements lui a donné raison. Avec ces deux éléments en poche, Monsieur Parizeau pouvait affirmer : « J’ai ce qu’il faut pour amener les Québécois à se prononcer sur la souveraineté. »
Aujourd’hui, quelle est la situation ? Il est possible que des jugements éventuels de la Cour suprême invalidant des dispositions de la loi 21 sur la laïcité et de la loi 96 sur la langue produisent une onde de choc semblable à l’échec de Meech. Nous verrons.
Cependant, le portrait économique est fort différent. Le libre-échange est battu en brèche. Le protectionnisme triomphe. Les États-Unis vont consacrer la somme pharaonique de 465 milliards $ US en subventions pour la voiture électrique et la production de semi-conducteurs. Le protectionnisme américain a pour objectif la réindustrialisation des États-Unis dans le cadre d’un découplage avec la Chine. Mais cette politique touche aussi les pays alliés des États-Unis.
Bien qu’il ait réussi, avec le Mexique, à faire élargir à l’Amérique du Nord, des dispositions protectionnistes conçues à l’origine pour les seuls États-Unis, le Canada est aussi touché. On a calculé que, pour rivaliser avec Washington, le gouvernement canadien devrait allonger la somme astronomique de 80 milliards $ en subventions ! Sinon, le Canada ne récoltera que des miettes de la filière électrique (voitures, batteries, etc.). Nous disons le Canada, mais il serait plus juste de dire l’Ontario. Et le Québec risque de devoir se contenter de l’exploitation minière.
Tout cela dans un contexte mondial de guerre en Ukraine et de fortes tensions entre la Chine et les États-Unis, où le Canada abandonne toute velléité de politique internationale indépendante pour devenir le toutou des États-Unis. Malheureusement, la très grande majorité des indépendantistes emboîtent le pas ! Sans grande réflexion préalable. Est-ce la voie qui va nous conduire à l’indépendance ?!
L’homme « providentiel »
Au sortir du visionnement du documentaire, nous imaginons facilement les propos que tiendront nombre d’indépendantistes. « Quel grand homme que ce Parizeau ! Un véritable homme d’État ! Il n’y a personne de cette stature aujourd’hui ! »
Tout cela est vrai. Mais, attention de ne pas tomber dans l’attente du « héros providentiel » avec ces nouveaux intellectuels conservateurs à la Bock-Côté. N’oublions pas que Monsieur Parizeau était le produit d’une époque, d’un mouvement indépendantiste en pleine ascension, d’une mobilisation syndicale et populaire sans précédent. Les mouvements populaires progressistes produisent des leaders progressistes et il faut entendre, dans le documentaire, Monsieur Parizeau, le soir du référendum de 1995, mettre en garde contre une éventuelle montée de la droite.
Aujourd’hui, la droite et l’extrême-droite mènent le bal. Des mouvements de droite et d’extrême-droite ne peuvent engendrer que des dirigeants de droite et d’extrême-droite.
Un référendum, ça se prépare
« Pourquoi ai-je promis un référendum dans les huit à dix mois lorsque nous avons pris le pouvoir ? Parce que ça faisait quatre ans que je travaillais là-dessus ! Ce n’est pas quand on prend le pouvoir qu’on se dit : “qu’est-ce qu’on va faire ?” », déclare Monsieur Parizeau, invité à prendre la parole à une assemblée d’Option nationale.
Selon son conseiller Éric Bédard, interviewé dans le documentaire, Monsieur Parizeau accordait la plus grande importance à la transition entre un référendum gagnant et une déclaration d’indépendance. Nous savons aujourd’hui qu’il y avait le Plan O au point de vue financier, mais aussi qu’il avait fait préparer dans le plus grand secret un projet de constitution initiale et un projet de traité économique avec le Canada. L’aut’journal a publié récemment ces deux documents inédits sous le titre Référendum 1995.
Devant les militants d’Option nationale, Monsieur Parizeau revient sur le Renvoi de la Cour suprême sur l’indépendance du Québec. Si la question est claire, si la réponse est claire, le fédéral a l’obligation de négocier et s’il y échec de la négociation, il revient à la communauté internationale de trancher. C’est aussi simple que cela, explique-t-il.
D’où l’importance, ajoute-t-il, de préparer la reconnaissance internationale du Québec en précisant qu’il y a deux pays importants : la France et les États-Unis. Et qu’il faut des années pour préparer cette reconnaissance.
Enfin, la leçon fondamentale de ce documentaire : ce que toutes les personnes interviewées dans ce documentaire soulignent à grands traits comme étant la caractéristique principale de Monsieur Parizeau, c’est qu’il avait une « vision » de l’avenir du Québec et que tout était orchestré en fonction d’un but : l’indépendance du Québec.