Le Comité permanent sur les Langues officielles examine en ce moment la mise en application de la politique fédérale visant à augmenter l’immigration francophone hors Québec. Depuis la dernière fois que le Comité s’est penché sur le sujet, des événements et des décisions ont modifié le portrait global.
Du côté fédéral, le projet de loi C-13 modifiant la Loi sur les langues officielles a été adopté par la Chambre des communes. Il est en attente d’adoption par le Sénat.
Du côté québécois, la réforme de la Charte de la langue française a été adoptée et est en voie d’être mise en application. Dernièrement, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration a annoncé des mesures concernant l’immigration et la langue française.
Concernant le projet de loi C-13, il est pertinent de prêter attention à un engagement particulier, durement gagné par le Bloc québécois, qui stipule que «le gouvernement fédéral, reconnaissant et prenant en compte que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, s’engage à protéger et à promouvoir le français».
Le projet de loi reconnaît même la « nécessité de protéger et promouvoir le français dans chaque province et territoire ». Il souligne que « les institutions fédérales devraient éviter ou, à tout le moins, atténuer les impacts négatifs directs » de leurs politiques sur cet engagement dans la réalisation de leur mandat.
D’importants accords
S’il y a un domaine où la reconnaissance de l’importance de la protection du français au Québec est claire et évidente depuis plus de cinquante ans, c’est celui de l’immigration. Le préambule de l’entente Couture-Cullen signée en 1978 par le Canada et le Québec reconnaissait que l’immigration doit contribuer à «l’enrichissement socioculturel du Québec compte tenu de sa spécificité française».
L’Accord du lac Meech incorporait les principes de cette entente et allait même plus loin. Il incluait un engagement d’une entente entre le Canada et le Québec en matière d’immigration qui ferait en sorte que le Canada retire les services fédéraux d’intégration linguistique et culturelle des personnes immigrantes s’établissant au Québec lorsque le Québec en fournissait.
L’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991 et toujours en vigueur est la mise en application de cet engagement. L’immigration étant une compétence partagée dans la Constitution, l’Accord énonce le rôle de chaque gouvernement en la matière. Il a un statut quasi constitutionnel, en ce sens qu’il ne peut être modifié sans le consentement des deux gouvernements.
Nous avons donc maintenant une réforme de la Loi sur les langues officielles qui stipule que les institutions fédérales doivent éviter les initiatives qui pourraient avoir un impact négatif sur l’engagement de protéger le français dans chaque province. On a également depuis plus de trente ans l’Accord Canada-Québec sur l’immigration qui vise clairement à protéger la spécificité française de la province.
Avantage à l’anglais
Au-delà du contexte législatif, un dernier point complète le portrait.
L’usage de l’anglais n’est pas seulement prédominant au Canada et en Amérique du Nord. Le nombre de locuteurs anglais dans le monde (1,3 G) est presque cinq fois plus important que le nombre de locuteurs français (277 M). Le bassin de recrutement à l’étranger des personnes qui parlent français est donc cinq fois plus petit. Il ne sera jamais facile d’en attirer assez avec les autres caractéristiques recherchées pour maintenir le poids démographique des francophones, que ce soit au Québec, hors Québec ou dans l’ensemble du Canada.
De plus, il sera toujours plus facile d’obtenir la résidence permanente dans une autre province que le Québec. Compte tenu de son statut de province, la sélection des immigrants par le Québec sera toujours suivie par l’admission par le fédéral.
Il y a cependant des politiques et des décisions administratives du gouvernement fédéral en matière d’immigration qui nuisent encore plus à l’attractivité du Québec ou qui ont le potentiel d’attirer des personnes immigrantes francophones à statut temporaire du Québec vers une autre province pour faire leur demande de résidence permanente.
Parmi ces décisions, citons le taux élevé de refus des demandes de permis d’études en provenance de l’Afrique francophone, les programmes de régularisation des titulaires de permis temporaires applicables hors Québec sans aucun plafond pour les demandes de francophones, et des privilèges accordés aux employeurs hors Québec qui embauchent des travailleurs temporaires francophones, privilèges qui ne sont pas accordés aux employeurs du Québec.
Deux fois plus cher à Ottawa
Lors de l’étude des crédits, le porte-parole libéral en immigration, Moncef Derraji, a révélé à la ministre que les personnes sélectionnées par le Québec paient les mêmes frais pour le traitement de leur demande de résidence permanente que les personnes qui font la demande ailleurs au Canada. Notons que le fédéral n’a pas à traiter le dossier d’une personne qui détient un Certificat de sélection du Québec (CSQ). Il n’a qu’à vérifier le bilan de santé et le dossier criminel de la personne.
De plus, les tarifs du fédéral pour un visa de résidence permanente sont plus de deux fois plus chers qu’au Québec pour un CSQ. Le tarif au Québec pour traiter une demande pour une personne est 860 $. Il s'agit d'un bon prix parce que le coût du traitement est estimé à 1 115 $. Le MIFI demande 1 418$ pour le traitement d’une demande pour une famille de quatre. Cette même famille doit par la suite faire une demande de résidence permanente auprès du gouvernement canadien impliquant des frais de 3 230 $!
Ces politiques fédérales vont peut-être aider à atteindre les cibles d’immigration francophone hors Québec, mais de telles mesures vont à l’encontre de l’esprit et de la lettre du projet de loi C-13 et certainement contre l’esprit et les objectifs de l’Accord Canada-Québec.
L’immigration francophone est critique pour l’ensemble de la francophonie canadienne.