Je vous le dis, c’est à reculons, le cœur gros et la larme à l’œil que libéraux et caquistes vont se voter une hausse immédiate de salaire de 30 pour cent. C’est par la force des choses qu’ils vont faire grimper de façon aussi indécente leurs émoluments.
Ce n’est que justice en effet que de se faire justice soi-même, en étant juge et partie. Quand le vote sera tenu dans quelques jours, on pourra voir sur leur visage à quel point ils sont contrariés de devoir se voter une telle augmentation, dite de rattrapage, alors que le gouvernement ne bouge pas sur son offre de 9 pour cent sur cinq ans aux travailleuses et travailleurs des secteurs public et parapublic.
On avait été moins gourmand le 11 janvier 1988. Les députés s’étaient alors voté une augmentation, dite de rattrapage elle aussi, de 21 pour cent seulement. Mais l’inflation, vous savez…
Aujourd’hui comme hier, force est de constater que c’est le sens du devoir, autant que celui de la justice, qui a constamment animé nos parlementaires. Leur abnégation devient palpable quand a sonné l’heure des grandes décisions et qu’il leur faut trancher dans les grandes questions. Parce que, voyez-vous, aucun sacrifice ne saurait les faire reculer quand vient le temps d’affirmer cette conviction, largement partagée dans leur cénacle, selon laquelle ils et elles ne sont rien de moins que les meilleurs. C’est justement en s’appuyant sur cette conviction que nos députés vont devenir les mieux rémunérés de toutes les provinces canadiennes. À l’exception bien sûr des députés fédéraux. Mais comme on le sait aussi, le Canada est très riche…
Même au prix de l’impopularité, ils passent aux actes. Un sondage a indiqué que cette augmentation est décriée par 74 pour cent des personnes sondées. « Il faut du courage pour voter des choses impopulaires», a dit le premier ministre, confondant manifestement courage et arrogance.
Les députés n’ont pas amputé leur salaire de 20 pour cent, comme la chose s’est déjà vue… Que non ! Fonçant dans le tas, ils vont s’accorder, en un an seulement, une hausse au moins trois fois plus élevée que celle déposée par la présidente du Conseil du Trésor à la table de négociation, sur une période de cinq ans celle-là !
Serait-il possible que, sans que nous nous en soyons rendu compte, nous serions devenus, d’un coup de baguette magique, plus riches qu’en Ontario, objectif répété comme un mantra par François Legault ?
Bien sûr, il s’est trouvé quelques esprits chagrins pour susurrer que le geste manquait singulièrement d’élégance. Insistant lourdement, ces mêmes esprits chagrins sont venus souligner qu’il n’y avait pas que le salaire dans la rémunération des députés. Dans son édition du 3 juin, Le Journal de Montréal a fait la démonstration que seulement neuf députés, sur 125, recevaient le salaire minimum de 131, 766 $. Les autres qui ne sont pas ministres touchent quelques dizaines de milliers de dollars supplémentaires en s’étant vu octroyer qui une vice-présidence de commission parlementaire, qui un poste d’adjoint parlementaire, qui un poste de whip. Sans compter sur leur caisse de retraite, qu’on a déjà comparée à une Ferrari…
À ce sujet, François Legault s’est déjà montré davantage vertueux…
En novembre 2014, alors dans l’opposition, il avait déposé une motion qui aurait forcé les députés à cotiser à hauteur de 50 pour cent à leur caisse de retraite. Or près de dix ans plus tard, ce qui avait été décrié dans un rapport de la juge Claire L’Heureux-Dubé est toujours en place, les députés ne cotisant que 21 pour cent. À cette époque, les employés municipaux avaient été forcés par une loi de fixer leur contribution à 50 pour cent. « C’est une question d’équité ! », avait clamé le chef de la CAQ, ajoutant que « la classe politique devait prêcher par l’exemple ».
Il faut souligner que seul le Parti Québécois a tenu une ligne cohérente durant ce débat. Québec solidaire s’est en effet enfargé dans des propositions dont l’une préconisait une hausse de … 20 pour cent, Nadeau-Dubois indiquant par ailleurs que ce ne sont pas tous les députés de son parti qui verseraient cette augmentation à des organismes soutenant des causes sociales. Ce qui s’appelle parler des deux côtés de la bouche en même temps.
Enfin, la vertu de nos députés n’étant plus à démontrer, on doit constater qu’elle est de celle qui se perd dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer, comme l’estimait en son temps le moraliste La Rochefoucauld.
Ils sont vraiment impayables. Même si c’est nous qui payons.
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