Canada et Palestine, une profonde illusion

2023/06/09 | Par Rachad Antonius

Le Canada se présente toujours comme un acteur honnête qui respecte le droit international et les droits de la personne. En ce qui concerne la Palestine, il y a là une profonde illusion.

Cela fait trois quarts de siècle que la Nakba, c’est-à-dire l’expulsion de la majorité des Palestiniens de la terre qu’ils habitaient, a été la conséquence inévitable de la partition de la Palestine. Commencée dès 1947, avant l’établissement du nouvel État, l’opération de nettoyage ethnique s’est poursuivie après la partition.

La destruction systématique de plus de 450 villages palestiniens, vidés de leurs habitants, en a été la conséquence logique. Autrement, comment établir un État pour les juifs alors que le territoire était peuplé, depuis des siècles, d’une majorité de non-juifs?

La partition de la Palestine n’était pas la seule solution possible aux tensions résultant de l’arrivée massive de réfugiés juifs européens fuyant la persécution, les pogroms et le génocide. La solution d’une confédération unissant les réfugiés juifs européens et les Palestiniens, qui constituaient la société hôte, avait été proposée par des pays arabes. Ils avaient demandé à l’ONU de s’adresser à la Cour internationale de justice pour que celle-ci se prononce sur la légalité de l’imposition d’une partition que la majorité de la population du territoire refusait.

La solution d’une confédération écartée

L’action combinée de deux Canadiens, Lester B. Pearson et le juge Ivan C. Rand, au sein de l’UNSCOP (le Comité spécial des Nations unies sur la Palestine), a été déterminante pour écarter la solution d’une confédération, et pour que seule la solution de la partition soit soumise au vote de l’Assemblée générale de l’ONU. La partition a eu comme conséquence immédiate l’expulsion des Palestiniens de leur terre et, à plus long terme, un système que beaucoup d’observateurs n’hésitent plus à qualifier d’apartheid. Le Canada a la lourde responsabilité d’avoir contribué directement à cette injustice.

Les accords d’Oslo de 1993 ont renouvelé l’espoir d’une issue pacifique au conflit. Conscients du fait que les pays occidentaux ne corrigeraient jamais l’injustice qu’ils ont créée, les Palestiniens ont fait un énorme compromis historique : se contenter des 22 % restants de la Palestine, soit la Cisjordanie et Gaza. Cette solution n’était pas juste pour eux, mais elle mettrait fin au conflit en consacrant la suprématie israélienne.

Même injustes, les accords d’Oslo n’ont été qu’un leurre. Israël voulait encore grignoter dans ces 22 % restants. Sous prétexte de redonner graduellement le contrôle des territoires occupés aux Palestiniens, ces accords ont permis l’intensification majeure de la colonisation dans les zones sous contrôle israélien, soit la majorité du territoire de la Cisjordanie.

Durant les négociations dites « de paix », le nombre de colonies de peuplement israéliennes a augmenté de façon rapide, de même que le nombre de colons. Les interdictions de construire et la destruction de maisons palestiniennes déjà construites se sont poursuivies. La judaïsation de la partie arabe de Jérusalem s’est intensifiée de façon agressive, et nombre de familles palestiniennes, à Jérusalem et à Hébron, ont été expulsées de leurs maisons pour faire place à des familles juives. Les centaines de postes de contrôle israéliens en Cisjordanie ont paralysé l’économie palestinienne et ont rendu le quotidien des Palestiniens pénible et humiliant.

Où est le problème?

La politique canadienne a été relativement constante sur le fond. Bien que les libéraux aient eu tendance à vouloir aider les Palestiniens économiquement et sur le plan du développement, les gouvernements successifs, sans égard à leur couleur, ne se sont jamais opposés sérieusement aux politiques israéliennes d’apartheid, tout en prétendant qu’ils reconnaissent le droit international.

En effet, l’énoncé sur la Politique canadienne sur les aspects clés du conflit israélo-palestinien est légèrement modifié de temps en temps, mais il maintient un cap constant : le respect du droit international est proclamé, la Quatrième Convention de Genève de 1949 est reconnue comme s’appliquant aux territoires occupés, les colonies israéliennes en Cisjordanie sont considérées comme illégales, de même que l’annexion de Jérusalem. Le désir de voir un État palestinien est aussi affirmé.

Le problème est qu’après avoir affirmé son respect pour le droit international, le Canada estime que la solution sera réalisée par « la négociation directe entre les parties ». Or, compte tenu de l’énorme différence de pouvoir politique, économique et militaire entre les deux parties, sans pressions directes et fortes sur Israël par ses alliés et amis, ce n’est pas le droit international qui va être appliqué. C’est le rapport de force brut qui va dicter les termes de la solution. Les Palestiniens n’ont pas le pouvoir d’imposer une solution juste. Mais ils ont celui de refuser de signer des accords qui consacrent l’injustice. Ils ont le droit international de leur côté, mais ils n’ont ni la force de le faire appliquer ni les alliés qui peuvent les aider.

Aucun gouvernement canadien n’a jamais posé le moindre geste concret qui pousserait la puissance occupante à se retirer des territoires occupés. Un bras de fer non symétrique oppose depuis trente ans un État, qui intensifie ses politiques d’occupation avec l’appui direct des puissances occidentales, et une Autorité palestinienne dépourvue de moyens.

La stratégie choisie consiste plutôt à exercer toutes les pressions possibles sur les Palestiniens pour qu’ils signent des accords dits « de paix » qui consacrent et légitiment leur dépossession, en corrompant leurs élites si nécessaire.

De cette façon, la fiction du respect du Canada envers le droit international est préservée, mais la situation d’apartheid se perpétue. Les deux principaux partis qui se partagent le pouvoir au fédéral multiplient les gestes d’amitié et d’éloge envers la puissance occupante. Le silence du gouvernement canadien sur la Nakba à l’occasion de la célébration du 75e anniversaire de la création de ce qui est devenu un État d’apartheid est très significatif à cet égard.

Tant que cette stratégie de courte vue n’est pas remise en question, il n’y a rien à attendre de positif du gouvernement canadien sur cette question. Sans une stratégie de sanctions réelles et d’arrêt de la coopération politique, économique, scientifique, industrielle et sécuritaire avec Israël, la situation politique ne fera qu’empirer, avec des conséquences probables désastreuses pour l’ensemble des peuples de la région. À long terme, ce sont aussi les intérêts du Canada et sa crédibilité internationale qui sont menacés.

L’auteur est professeur honoraire (UQAM). Il a publié cette année l’essai Islam et islamisme en Occident (PUM) en collaboration avec Ali Belaidi.