Le dédale de l’impôt minier

2023/06/09 | Par Marc Nantel

L’auteur est porte-parole du Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue (REVMAT)

Au Québec, les redevances minières (impôts miniers) sont passées de 113 millions de dollars en 2014 à un record de 936 millions de dollars pour l’année 2021. Il est fort probable que les versements seront à la même hauteur pour 2022-23 puisque le prix des métaux est très élevé. Cette augmentation est principalement due à la hausse du prix de l’or et du fer ainsi qu’à la diminution des déductions possibles sur la valeur au puits à mesure que le projet prend de l’âge.

Sur le site gouvernemental, on prend soin d’indiquer que « ce régime a été élaboré afin d’assurer aux Québécois une juste part des bénéfices provenant de l’exploitation des ressources non renouvelables du domaine public, et ce, sans compromettre la compétitivité des exploitants ».

Avons-nous notre juste part? Force est de constater qu’il est très difficile d’évaluer les retombées financières vu la multitude de programmes qui permettent de réduire les impôts des entreprises et les redevances minières.

Comme toujours, le gouvernement craint de nuire à la compétitivité de l’industrie minière sur le marché mondial et de se voir déclasser par l’institut Fraser qui nous a encore assigné une place dans le TOP 10 mondial en 2023. Ce classement met énormément de pression sur les différents États producteurs de métaux afin qu’ils n’exigent pas de normes et de règlements environnementaux plus stricts ou des redevances et des impôts supplémentaires.

Le régime de l’impôt minier

Commençons par examiner ce régime de l’impôt minier qui a été voté par le Parti Québécois en 2013.

Dans ce nouveau cadre financier, quelques nouveautés permettent de collecter plus d’argent pour l’exploitation de nos ressources minières non renouvelables. Tout d’abord, une redevance minimale de 1 % pour les premiers 80 millions $ de revenus d’une minière a été ajoutée.  Ensuite, ce montant de 80 millions dépassé, une redevance de 4 % est exigée.

Malheureusement, le gouvernement a glissé quelques subtilités dans la loi afin de réduire le montant des redevances. Par exemple, on note que dépassé 80 millions, le calcul de 4 % s’effectue sur la valeur au puits et non sur la valeur brute. Qu’entendons-nous par valeur au puits plutôt que valeur brute?  La valeur au puits est la valeur brute moins les dépenses engagées pour la production de cette valeur. On déduit donc les dépenses des activités minières (concassage, tamisage, transport…), les dépenses administratives, les dépenses de commercialisation, les amortissements des biens utilisés.

L’État s’est donné une marge de sécurité afin de tenir compte de la variation des prix des métaux en ajoutant une autre forme de calcul. C’est le plus avantageux entre la valeur au puits et l’impôt minier sur le profit annuel qui sera retenu comme base de paiement pour chaque minière. Les taux applicables sur le profit annuel varient de 16 à 28 % en fonction de la marge bénéficiaire. Si la marge est inférieure à 35,01 %, c’est un taux de 16 % qui s’applique ; au-dessus de 35 %, c’est 22 %. Finalement, une marge bénéficiaire de 50,01 % et plus se voit appliquer un taux de 28 %. Toutefois, ce mode de calcul accorde encore plus de déductions fiscales, ce qui réduit les retombées.

Afin de maximiser les redevances, les calculs devraient être basés sur la valeur brute du métal exploité et non sur la valeur au puits. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une ressource non renouvelable. Elle devrait donc engendrer des revenus maximums à l’État. En agissant autrement, c’est un cadeau de plusieurs millions de dollars, annuellement, qu’on octroie à l’entreprise minière.

Après dix ans d’application, on constate que le nouveau calcul des redevances permet à l’État de récolter plus d’argent. C’est donc une amélioration.

On ne peut toutefois pas avoir un portrait réel des retombées en ne tenant compte que des redevances. Il faut regarder l’ensemble du jeu fiscal, ce qui est très difficile, car le processus est opaque.

À titre d’exemple de manipulation fiscale, on note que les redevances versées annuellement peuvent être appliquées comme une dépense pour la société minière. Les redevances annoncées annuellement n’indiquent donc pas les vraies valeurs versées. On donne d’une main et on reprend de l’autre.

Les cadeaux fiscaux

D’un autre côté, le gouvernement cherche, par ses politiques de développement minier, à encourager l’industrie à venir investir au Québec. Il offre donc des mesures fiscales incitatives additionnelles.

Au niveau de l’exploration minière, les entreprises bénéficient de capitaux provenant des actions accréditives. Cette mesure date de plusieurs dizaines d’années au provincial et au fédéral. Ce sont des actions émises par des sociétés minières. En phase d'exploration, ces sociétés ont souvent de faibles revenus. Pour les augmenter, les compagnies d’exploration vendent leurs actions à des acheteurs qui obtiennent des avantages fiscaux de la part des deux paliers gouvernementaux. Même si l’action prend rarement de la valeur, les déductions fiscales permettent aux acquéreurs d’engranger des profits. Ce sont des sommes importantes dont les gouvernements se privent. C’est une forme de dons indirects non comptabilisés.

En vue de soutenir les entreprises dans les différentes phases du cycle minier, le gouvernement offre aussi des allocations : pour l’exploration, pour l’aménagement et la mise en valeur avant production, pour la consultation auprès des communautés, pour des études environnementales, pour la certification en développement durable, pour l’amortissement et pour le traitement. De plus, les compagnies se voient offrir une panoplie de crédits d’impôt aux différents stades des opérations; l’objectif annoncé du gouvernement étant de pouvoir orienter les travaux dans le sens de ses politiques.

La dernière politique (2020 au Québec) sur les métaux critiques et stratégiques, au provincial comme au fédéral, a ouvert la porte à une autre énorme allocation pour la mise en valeur de ceux-ci. Cette allocation a été ajoutée dans le régime de l’impôt minier en 2021 au Québec. Le fédéral en a ajouté à son tour afin de concurrencer les Américains.

Malheureusement, plusieurs autres éléments ne sont pas calculés par l’État. Nous n’avons qu’à penser aux routes que nous avons construites pour permettre aux minières de se rendre sur les lieux des opérations, à la destruction de nos infrastructures routières par les transports miniers, aux multiples recherches universitaires sur les dossiers miniers financées par l’État, ou encore à la vente de notre électricité à un prix dérisoire.

Aucun calcul n’a été entrepris pour évaluer la perte de la valeur sociétale du décrochage scolaire causé par l’attractivité des minières qui offrent des emplois bien payés sur un court laps de temps. Il n’y a pas eu non plus d’évaluation des coûts engendrés par la destruction de notre territoire.

Avec tous ces investissements publics, serait-il pensable de nationaliser la première transformation? Une réflexion s’impose.