Nos médias nationaux n’ont cessé de souffler sur le feu de la controverse politique, aidant M. Poilievre à tomber à bras raccourcis sur M. Trudeau et à lui infliger ce qui pourrait être la pire raclée qu’il ait reçue en tant que Premier ministre.
Cet article de la journaliste Linda McQuaig est tiré du site Rabble.
Traduction : Johan Wallengren
Pour une foire d’empoigne, c’en est une belle, mais le « scandale de l’ingérence chinoise dans nos élections » justifie-t-il vraiment une attention médiatique aussi dévorante ?
Je m’avance peut-être, mais je suis d’avis que nous avons amplement assez de recours pour faire la lumière sur tout acte répréhensible (y compris des audiences publiques, comme celles déjà annoncées) et pour sanctionner tout fautif (y compris l’expulsion de diplomates étrangers, mesure déjà prise).
Or, le chef conservateur, Pierre Poilievre, n’en a cure, allant jusqu’à lancer des accusations inconsidérées selon lesquelles le Premier ministre Justin Trudeau aurait collaboré avec une puissance étrangère hostile et agi contre les intérêts des Canadiens. Reste que M. Poilievre n’a apporté aucune preuve pour étayer son accusation de trahison. Ce qui est sûr, c’est que, tirant à hue et à dia, celui-ci est parti sur un destrier fou dont il espère qu’il le mènera à la victoire aux prochaines élections.
Le rôle des médias est plus intéressant. Nos médias nationaux n’ont cessé de souffler sur le feu de la controverse politique, aidant M. Poilievre à tomber à bras raccourcis sur M. Trudeau et à lui infliger ce qui pourrait être la pire raclée qu’il ait reçue en tant que Premier ministre.
Ce qui n’a rien de répréhensible en soi, bien sûr : le rôle des médias est de demander des comptes aux puissants, et en particulier au Premier ministre. Reste que l’intensité de la couverture médiatique pourrait induire le public en erreur et lui faire croire qu’il y a bel et bien anguille sous roche.
David Johnston, rapporteur spécial du gouvernement sur ce dossier, a fait l’objet de critiques incessantes de la part des médias pour avoir conseillé au gouvernement de procéder avec des audiences publiques – plutôt que de lancer une enquête publique en bonne et due forme.
Ce qui est frappant, c’est de voir les médias en faire tout un plat, alors qu’ils avaient modéré leurs ardeurs en 2008, lorsque le même David Johnston avait conseillé à un précédent gouvernement de limiter la portée d’une enquête portant sur une affaire où le portrait de la situation était autrement plus accablant.
Cette affaire, on s’en souviendra, concernait des allégations selon lesquelles l’ancien Premier ministre conservateur Brian Mulroney avait secrètement accepté des centaines de milliers de dollars en espèces d’un marchand d’armes étranger avec lequel il avait eu à traiter alors qu’il était Premier ministre.
Ces accusations peu reluisantes ont provoqué un tollé dans l’opinion publique et les gens, piqués au vif, ont exigé d’en savoir plus. Comme il n’y avait aucun moyen d’étouffer l’affaire, le Premier ministre conservateur de l’époque, Stephen Harper, a nommé M. Johnston pour le conseiller sur la portée de l’inévitable enquête.
M. Johnston a quand même fait de son mieux pour noyer le poisson en conseillant à M. Harper de ne pas autoriser la commission d’enquête à se pencher sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire sur la question de savoir si les paiements étaient liés à l’achat, pour 1,8 milliard de dollars, de jets Airbus par Air Canada alors que M. Mulroney était Premier ministre, comme l’a affirmé la journaliste d’investigation Stevie Cameron dans son livre « On the Take », publié en 1994.
M. Mulroney avait nié avec véhémence être coupable de corruption et avait même réussi à obtenir un règlement de 2,1 millions de dollars d’Ottawa après que la GRC eut enquêté sur lui – et l’eut disculpé – en lien avec le contrat d’Airbus.
Mais en 2008, cette exonération a été profondément remise en cause en raison de nouvelles preuves montrant que M. Mulroney avait effectivement reçu des centaines de milliers de dollars en espèces – livrés dans des valises dans des chambres d’hôtel – de Karlheinz Schreiber, le marchand d’armes avec lequel il était accusé d’avoir pris un arrangement concernant Airbus.
Difficile de faire plus suspect. Et le conseil de Johnston (de veiller à ce que l’enquête évite de se porter sur tout lien avec Airbus) avait beau être ridicule, il a été utile aux conservateurs, soucieux d’atténuer le scandale. Par la suite, M. Harper a nommé M. Johnston gouverneur général.
La commission d’enquête, présidée par le juge Jeffrey Oliphant, en est finalement arrivée à la conclusion que M. Mulroney avait reçu l’argent de Schreiber – ce que le principal intéressé, acculé, a dû admettre.
Or, limitée par son mandat restreint tel que recommandé par M. Johnston, l’enquête n’a pas cherché à élucider pour quelle raison ces versements avaient été effectués. L’éventualité qu’un premier ministre en exercice ait accepté des pots-de-vin (à verser une fois qu’il serait revenu dans le civil) n’a jamais été examinée. Fin de l’histoire.
Les médias sont libres d’enquêter sur ce qu’ils veulent et peuvent être aussi inquisiteurs qu’ils le désirent. Et je suppose qu’il n’est pas surprenant que les grands médias – qui appartiennent à de riches conservateurs – soient plus intéressés à ce qu’on creuse les scandales ayant un impact négatif sur les gouvernements qu’ils n’aiment pas.
On aurait tort, cependant, de conclure que nos grands médias nationaux se contentent d’essayer de vendre leur salade ; pas de raison non plus de leur faire confiance pour toujours tenir leurs chiens en laisse dans ce genre d’affaires.
Une version de cet article a été publiée dans le Toronto Star.
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