Ce texte est le premier d’un dossier intitulé « Hydro USA »
Pour lire le second « Michael Sabia : l’homme des partenariats public-privé », cliquez ici.
Hier, Sophie Brochu, la PDG d’Hydro-Québec, prônait «l’efficacité énergétique» et voulait utiliser les surplus d’électricité pour décarboner le Québec. Aujourd’hui, selon le tandem Legault-Fitzgibbon, nous sommes à l’ère de la «transition énergétique» et le Québec se dirigerait vers un important déficit énergétique, qui nécessiterait la construction de nouveaux barrages. Comment expliquer ce spectaculaire retournement?
La réponse se trouve au sud de la frontière. Washington a décidé de réagir à la montée en puissance de la Chine qui remet en question son hégémonie mondiale. L’administration Biden investit des milliards de dollars dans la «transition énergétique» : 400 milliards dans l’Inflation Reduction Act (IRA) et 52 milliards dans le Chips and Science Act pour la production de semi-conducteurs.
Sans l’ombre d’un débat sur la pertinence de ces programmes, le Canada et le Québec ont décidé d’emboîter le pas. Ainsi, Ottawa et Queen’s Park versent une subvention de 16,3 milliards $ à Volkswagen pour la construction d’une méga-usine de batteries en Ontario. Ottawa et Québec viennent d’annoncer une subvention de 300 millions $ à GM-Posco pour la construction d’une usine de fabrication de cathodes à Bécancour. Pour souligner le caractère éminemment écologique de cette subvention, le premier ministre Legault a posé devant un Hummer, le véhicule auquel est destinée cette production.
Le portrait
Dans le contexte de la soi-disant « transition écologique », Washington a récemment réalisé son retard et son extrême dépendance à l’égard de l’économie chinoise. Un article publié dans le New York Times – « Can the World Make an Electric Car Battery Without China? », 16 mai 2023 – rend la pleine mesure du défi que constitue la Chine dans cette filière.
La Chine a la mainmise sur l’extraction et le raffinage des minerais entrant dans la production des batteries, de même que dans l’assemblage et la vente des voitures électriques. La Chine produit 60% des terres rares, six fois plus présentes dans les voitures électriques que dans les voitures conventionnelles. Elle contrôle 28% de la production mondiale de lithium et en raffine 67%, elle domine 78 % de la production du graphite et elle en raffine 70%. Elle détient 41% des mines de cobalt et 73% de son raffinage. Elle possède la plupart des mines de cobalt au Congo, où se trouve la plus grande partie de la ressource. Elle ne possède que 5% du manganèse, mais raffine 95% du minerai. Elle raffine 63% du nickel.
La Chine domine largement la fabrication des composantes des batteries : 92% des anodes, 77% des cathodes, 82% des électrolyses, 74% des séparateurs. Elle assemble 66% des cellules de batteries. En 2030, la Chine fabriquera deux fois plus de batteries que l’ensemble de tous les autres pays. Un nouveau procédé de fabrication de batteries a vu le jour, mais la Chine fabrique 73% de ces NMC cathodes et 99% des LFP cathodes. Les experts affirment qu’il est presque impossible pour un autre pays de devenir autosuffisant dans la chaine de production de batteries sans partenariat avec la Chine. De plus, elle peut fabriquer des batteries à la moitié du coût de fabrication en Amérique du Nord ou en Europe.
La Chine produit 54% des voitures électriques dans le monde. C’est en Chine qu’on retrouve le plus grand nombre de voitures électriques et elles ont presque toutes été fabriquées localement. Pékin dépense plus de 130 milliards $ dans différents programmes reliés à l’industrie automobile.
L’article du New York Times rappelle que l’extraction des minerais et le raffinage des minerais requis pour la fabrication des batteries demandent beaucoup d’énergie, de trois à quatre fois plus d’énergie que la production d’acier ou de cuivre. De plus, le raffinage est extrêmement polluant.
Washington convoite les minerais stratégiques canadiens
Les États-Unis sont donc à la recherche de pays amis – le friend-shoring – possédant les richesses naturelles permettant de constituer leur filière de «transition énergétique» sans avoir à recourir à la Chine. Pour ce faire, le Département de la Défense a publié une carte identifiant les principaux minerais stratégiques en Amérique du Nord. Le Pentagone s’est même engagé à contribuer au financement de projets miniers au Canada pour en accélérer la mise en exploitation. Il faut dire que plusieurs de ces minerais seront affectés à l’industrie militaire, mais le tout est présenté sous le chapeau du grand projet environnemental : la voiture électrique.
Le Canada a répondu à l’appel de Washington. Ottawa a produit une liste priorisant 31 minéraux, dont plus particulièrement le cobalt, le coltan, le cuivre, le graphite, le lithium et les terres rares. Le Québec est bien pourvu en matériaux stratégiques (graphite, cuivre, lithium, niobium, zinc, nickel, cobalt, terres rares). Il détient 25% des réserves de lithium en Amérique du Nord et d’importants gisements de graphite.
Le Québec, batterie de l’Oncle Sam
L’exploitation minière et la fabrication des batteries sont extrêmement gourmandes en énergie. C’est ce qui fait exploser la demande, d’où le déficit appréhendé et la nécessité de construire de nouveaux barrages. Aussi, l’intégration à la filière énergétique américaine dépasse l’extraction des minerais.
Une étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) est révélatrice à cet égard des ambitions américaines. Intitulée « New England Renewables + Canadian Hydropower, A pathway to clean electricity in 2050 », January 12, 2022 »1, son autrice, Nancy W. Stauffer, prône une interconnexion entre les réseaux d’Hydro-Québec et de la Nouvelle-Angleterre, le Québec se spécialisant dans l’hydro-électricité et la Nouvelle-Angleterre dans l’éolien et le solaire.
Le Québec exporterait de l’électricité au sud lorsque l’éolien et le solaire ne produiraient pas suffisamment, à cause de la faiblesse des vents ou de l’absence de soleil. Lorsque, à l’inverse, la N-A produirait plus que nécessaire pour sa consommation, elle exporterait de l’électricité vers le nord, ce qui autoriserait Hydro-Québec à réduire sa production et à remplir les réservoirs de ses barrages. Cette capacité de stockage permettrait d’emmagasiner de l’énergie comme une immense batterie, selon l’expression de l’autrice de l’étude. Dans ce scénario, souligne-t-elle, le Québec n’aurait plus à construire de parcs d’éoliens ou de panneaux solaires, ceux-ci pouvant être construits à meilleur coût en N-A.
Cette étude n’est sans doute pas étrangère au recours par François Legault de l’expression « batterie énergétique du Nord-Est américain » pour décrire le modèle d’affaires québécois en matière énergétique.
Boucler la boucle
Dans cette perspective, la renégociation du contrat de Churchill Falls prend une autre dimension. Facile d’imaginer que les États-Unis auraient intérêt au renouvellement de l’entente, accompagnée de la mise en chantier du projet de barrage Gull Island, et de boucler la boucle avec une ligne d’interconnexion du Labrador jusqu’à la Nouvelle-Angleterre en passant par Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, transportant l’électricité des centrales de Churchill Falls, Gull Island… et Muskrat Falls !
Pour mener à bien un tel projet, qui de mieux que Michael Sabia, qui prône des barrages privés (sans doute pour les grandes minières), des partenariat public-privé (PPP) (sans doute avec la Banque de l’infrastructure du Canada) et qui a déjà fait adopter dans le dernier budget fédéral, dans son rôle de sous-ministre des Finances, une déduction fiscale de 15% pour les projets hydroélectriques.
Le Québec et les consommateurs perdants
En 2009, lors de la transaction avortée qui aurait permis à Hydro-Québec d’acquérir Énergie Nouveau-Brunswick, plusieurs s’inquiétaient qu’en s’aventurant à l’extérieur des frontières québécoises, la société d’État tombe sous la compétence de l'Office national de l'énergie d'Ottawa et s'expose à être déclarée à l'avantage général du Canada, selon les termes de l'article 92(10) de la Constitution de 1867, repris en 1982.
Aujourd’hui, le projet qui vient d’être évoqué ferait tomber Hydro-Québec sous la coupe économique et commerciale des États-Unis dans le cadre de leur grand projet de « transition énergétique ».
Cette intégration à la « transition énergétique » américaine va coûter cher et peser lourd sur le compte des abonnés d’Hydro-Québec. Le ministre Fitzgibbon nous y prépare en évoquant la « sobriété » énergétique et une modulation de la tarification selon les heures de la journée.
Les économies d’énergie nécessaires à la décarbonation du Québec évoquée par Sophie Brochu auraient pu facilement se réaliser avec un vaste programme d’isolation des maisons. Ce qui se ferait au bénéfice de milliers de petits entrepreneurs. Mais les grandes firmes d’ingénierie salivent déjà devant la perspective de construction de grands barrages. Devinez qui le duo Legault-Fitzgibbon va privilégier !?
(1) Nos remerciements à l’IRÉC pour avoir attiré notre attention sur ce document.
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