Avortement - Ne touchez pas à ce qui fonctionne bien

Claire Aubin est administratrice de l’organisme Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)
 

« Droit à l’avortement : la ministre Biron veut ouvrir le débat sur l’accès à la pilule abortive » titrait Le Journal de Québec le 3 mai dernier. Ouvrir un débat? Il se trouve que la pilule abortive est non seulement autorisée au Québec depuis plusieurs années, mais, en juillet 2022, le Collège des médecins a suspendu officiellement toutes les restrictions d’accès, soit l’échographie et la formation obligatoire des médecins (voir La Presse le 14 juillet 2022). Au moins 300 médecins au Québec demandaient au Collège des médecins de se rallier à la position de Santé Canada concernant l’accès à la pilule abortive. La chose est faite.
 

Quelle devrait être la prochaine étape? Ouvrir un débat? 

N’en sommes-nous pas plutôt à divulguer largement l’information au public en ce qui concerne la pilule abortive?

Récemment, je me trouvais dans une assemblée où étaient invités deux membres du corps médical québécois spécialisés en IVG (Interruption volontaire de grossesse). Je leur demandais pourquoi, au Québec, si on compare aux autres provinces canadiennes, on n’utilisait pratiquement pas la pilule abortive. Un spécialiste en IVG tardive m’a répondu : parce que nous sommes très bien équipés au Québec pour faire des IVG chirurgicales. Je comprends. Mais la majorité des IVG au Canada se font à l’intérieur de 12 semaines. L’âge gestationnel indiqué pour prendre la pilule abortive est autour de 10 semaines.
 

La pilule abortive : une grande inconnue des Québécoises

La plupart des femmes d’ici (même des journalistes de la Société d’État) à qui j’ai parlé de la pilule abortive ignorent de quoi je parle. Elles confondent en général la pilule abortive avec la « pilule du lendemain ». La pilule du lendemain est un médicament utilisé pour prévenir une grossesse, elle est efficace jusqu’à 120 heures suivant le rapport sexuel à risque. La pilule abortive est un médicament utilisé pour mettre fin à une grossesse précoce (10 semaines). Elle bloque l’action de la progestérone, ce qui provoque l’arrêt du développement de la grossesse; elle provoque aussi des contractions utérines pour expulser l’embryon. Quand j’explique en quoi elle consiste et comment elle est largement utilisée partout dans le monde, on me demande si elle est aussi sécuritaire, si ça fait mal, etc. Bref, on veut de l’information. Il est fort probable que les médecins et les infirmières au Québec ont aussi besoin d’informations exactes et non biaisées sur la pilule abortive.

Personnellement, en 1970, j’aurais vraiment désiré y avoir accès. À cette époque, l’avortement était illégal et alors considéré comme un acte criminel, alors qu’aujourd’hui, il est légal et accessible gratuitement au Québec. Je tremble à l’idée que la ministre Biron veuille l’encadrer, i.e. légiférer pour établir des limites entourant l’avortement : les limites, on désire, en général, soit s’en affranchir, soit les ériger. Les groupes antiavortements militent en faveur de les ériger, alors que jusqu’à présent les femmes d’ici en sommes affranchies. L’avortement ne pose plus de difficulté au Québec. La sagesse populaire dit bien: si ça fonctionne, n’y touchez pas.
 

Oser agir maintenant pour les femmes

Le Dr Morgentaler a fait 10 mois de prison pour nous libérer du carcan médicoreligieux entourant l’avortement au Québec. 50 ans plus tard, d’autres méthodes moins invasives existent et nous en sommes à nous demander si nous devrions en débattre.

Non, madame la ministre! Ce qu’il faut faire dès aujourd’hui et depuis un bon bout de temps, c’est une campagne publicitaire dans tous les médias pour informer la population à propos de cette avancée formidable de la science qui permet dorénavant aux femmes qui désirent interrompre une grossesse de découvrir l’efficace succédané à la chirurgie qu’est la pilule abortive.

Quels sont ces tabous autour de l’avortement? Lorsqu’il s’agit de médicaments pour réduire le stress, l’anxiété, le taux de cholestérol, la pression sanguine, pour contrer le diabète avec pilules, moyens et autres Ozempic, personne ne songe à faire un débat social. On s’empresse plutôt de faire connaître les médicaments à grand renfort de publicité et de les rendre accessibles, et cela, par tous les moyens possibles. Pourquoi, lorsqu’il s’agit de moyens qui touchent la santé reproductive des femmes, devrait-on envisager d’en débattre? Il est grand temps d’agir à propos de la pilule abortive!