Il est difficile d’imaginer qu’un coup d’État qui a renversé un président élu démocratiquement reçoive l’appui massif de la population d’un pays, en particulier des personnes représentant la société civile et les organisations syndicales.
C’est pourtant ce qui est arrivé au Niger après le coup d’État du 26 juillet dernier qui a renversé le président Mohamed Bazoum, qui avait élu le 2 avril 2021. L’élection de cet ex-enseignant de philosophie, qui s’était investi dans le syndicalisme au sein du Syndicat national des enseignants du Niger (SNEN) avant d’intégrer le Bureau exécutif de l’Union syndicale des travailleurs du Niger (USTN), avait pourtant été accueillie favorablement par les organisations syndicales et par la société civile.
Mais la lune de miel a été brève, affirme Issoufou Arzika, ex-secrétaire général du SNEN. « Cela fait deux ans que toute voix discordante est muselée. La population se sentait asphyxiée, tous ceux qui s’opposaient au régime étaient marginalisés. Le régime a procédé à des emprisonnements massifs des opposants. »
Compromissions avec les jihadistes
De plus, la situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée au cours des dernières années. Les attaques djihadistes ont forcé la fermeture de plus de 800 écoles dans les régions de Tillabéry, Maradi, Tahoua et Diffa, privant de scolarisation plus de 850 000 enfants en âge d’aller à l’école. C’est ce que j’ai constaté personnellement lorsque je suis allé au Niger en avril 2023 dans le cadre d’un projet de coopération entre la Centrale des syndicats du Québec et les syndicats de l’éducation réunis au sein de l’Internationale de l’Éducation Section Niger (IESNI).
J’ai alors rencontré les secrétaires généraux des principaux syndicats de l’éducation qui déploraient que depuis 2017, il n’y avait eu aucun recrutement d’enseignants dans la fonction publique ni possibilité d’avancement de carrière pour les professeurs titulaires.
«On a pensé qu’avec l’arrivée du président Bazoum, la situation s’améliorerait», souligne Almoustapha Moussa Ide, président de la coalition nigérienne pour une éducation de qualité pour tous (ASO EPT) et coordonnateur de l’IESNI. «Mais cela n’a pas été le cas. Le protocole sur lequel nous nous étions entendus lors des élections professionnelles a été violé, rien n’a été respecté. Sur le plan social, tout a été politisé, le gouvernement agissait dans l’impunité totale.»
Selon M. Moussa Ide, c’était une démocratie de façade. « Ce qui a fait déborder le vase et provoqué le coup d’État, c’est le recrutement dans la garde républicaine de chefs terroristes qui avaient été capturés par les militaires nigériens. Le gouvernement a voulu intégrer ces chefs terroristes soi-disant repentis. »
Les chefs militaires ont refusé l’intégration de ces chefs terroristes et ont renversé le gouvernement Bazoum. « Ce fut un coup d’État civilisé, sans mort d’hommes, sans effusion de sang, aucun coup de feu n’a été tiré, constate Almoustapha. L’armée a eu le soutien de la population de Niamey et de l’ensemble du Niger. Le coup d’État a libéré le peuple, tout le monde a salué le Conseil national de la sauvegarde de la patrie (CNSP). »
Des sanctions contre le peuple
Toutefois, les sanctions prises envers le Niger entraînent des conséquences très graves pour la population. «Le prix des denrées de base a beaucoup augmenté, il est très difficile de retirer de l’argent à la banque, il y a de nombreuses coupures d’électricité, les frontières sont fermées, on ne peut plus sortir du pays», affirme Issa Kassoum ex-secrétaire général du SNEN.
L’Unité d’Actions syndicales du Niger (UAS) a émis un communiqué de presse dans lequel il fustige et condamne avec véhémence les sanctions prises par l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). « Ce comportement inhumain de ces deux organisations vise à étouffer le peuple et le pousser à la révolte. Le jeu est connu de tous et nous rappelons que le peuple digne et guerrier du Niger ne cèdera à aucune manipulation, à aucune pression d’où qu’elles viennent et de quelque nature que ce soit. » L’UAS regrette également l’instrumentalisation de la CEDEAO par la France à des fins criminelles.
Selon Issoufou Arzika, ex-secrétaire général du SNEN, la population nigérienne fait preuve de résilience et demeure stoïque devant les sanctions. « Le peuple nigérien est en train de se mobiliser, car ce coup d’État est perçu comme une libération. Si ces sanctions sont le prix à payer pour obtenir notre indépendance face à la France, ce n’est pas cher payé, dit-il avec fierté. Les Nigériens se rendent compte que leur pays occupe une place stratégique, eux dont le pays est l’un des plus pauvres au monde. »
Issa Kassoum déplore toutefois le régime de deux poids deux mesures appliqué par la CEDEAO. Celle-ci n’a appliqué aucune sanction contre le Mali, le Burkina Faso ou la Guinée qui ont subi des coups d’État militaires. De plus, la CEDEAO ne tient pas compte du fait que le Niger accueille un très grand nombre de personnes réfugiées de ces trois pays ainsi que du Nigéria.
Le spectre d’une intervention militaire
Il ajoute qu’une attaque armée contre le Niger ne pourra pas rétablir la démocratie. « L’histoire récente en Libye et dans d’autres pays nous enseigne qu’aucune intervention armée étrangère n’a réussi à rétablir la démocratie. »
Face aux menaces d’une intervention militaire étrangère au Niger, le représentant de la Coalition des centrales syndicales des travailleurs de la région de Zinder, Souleymane Abdou Djibo, a tenu une conférence de presse, le 20 août, au cours de laquelle il a condamné sans réserve la violation par la France de l’espace aérien nigérien et l’attaque perpétrée sur des positions des forces de sécurité dans la zone des trois frontières dans le sombre dessein de déstabiliser le Niger et la sous-région.
« La coalition exige de la CEDEAO la levée immédiate et sans condition de toutes les sanctions illégalement infligées au peuple nigérien, a-t-il ajouté. Elle exige le départ immédiat et sans condition de toutes les bases militaires étrangères, et particulièrement celles de la France, de notre territoire. Elle réaffirme son opposition à la réactivation de la force d’attente de la CEDEAO pour une éventuelle intervention militaire dans notre pays et met en garde la France, l’Union européenne et la CEDEAO contre toute agression militaire dans une affaire purement nigérienne. »
S’adressant au CNSP, cette coalition syndicale demande le paiement des salaires et pécules à terme échus ainsi que la réduction et le contrôle des prix des denrées de prix de première nécessité.
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