L’auteur est député du Bloc Québécois.
Pascal Saint-Amans a été le Directeur fiscal de l’OCDE durant les quinze dernières années. Il s’est trouvé au cœur des négociations internationales pour lutter contre l’utilisation des paradis fiscaux. Son livre publié en mai dernier, Paradis fiscaux : Comment on a changé le cours de l’histoire (Seuil, 2023), relate en détail l’évolution de ces négociations et les accords conclus.
L’ouvrage est riche d’enseignements en matière de diplomatie internationale. Il présente les intérêts des différents pays, des États-Unis aux pays en développement, en passant par les grands pays non membres de l’OCDE comme la Chine et l’Inde et, bien sûr, les différents paradis fiscaux. De nombreuses anecdotes agrémentent le propos et on souligne l’importance des relations humaines dans le milieu des affaires.
Des avancées
Selon Saint-Amans, ces quinze années auront permis de faire des avancées considérables à trois niveaux : imposition de limites au secret bancaire, adoption d’un plan d’action contre la BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, qu’on peut traduire par l’Érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices) et mise en place d’un impôt minimum mondial.
Le plan d’action et l’impôt minimum visent d’abord les montages des multinationales, qui leur permettent de réduire leurs impôts. Les règles encadrant la fiscalité internationale sont désuètes et permettent aux entreprises de délocaliser artificiellement leurs profits vers les paradis fiscaux. Le plan d’action a été lancé par le G20 en 2012 et mis en œuvre par l’OCDE en novembre 2015. Il vise notamment à limiter le recours aux prix de transferts entre filiales d’une même entreprise ou encore les déductions abusives d’intérêts d’emprunts entre ces filiales.
Le plan vise aussi à harmoniser les règles fiscales entre pays, accroître l’échange d’information et la transparence et, éventuellement, mener à la conclusion d’un traité multilatéral. Enfin, les géants du numérique sont spécifiquement ciblés parce que leurs activités sont largement dématérialisées.
Pour l’auteur, il s’agit là d’une sérieuse avancée qui limite le recours aux paradis fiscaux, même si le progrès n’est pas encore pleinement reconnu. La suite des travaux va logiquement mener à l’instauration d’un impôt minimum mondial. Pour s’assurer que les multinationales cessent d’utiliser les paradis fiscaux, il est établi qu’elles devront payer un minimum de 15% sur leurs bénéfices.
Par exemple, si l’entreprise déclare ses profits dans un paradis fiscal qui refuse de les imposer, les autres pays pourront prélever un impôt de 15% qui sera réparti entre les pays, selon la proportion de l’activité économique réalisée par l’entreprise dans ces pays. Cela va inciter le paradis fiscal à instaurer un impôt de 15% et la multinationale à arrêter d’y délocaliser ses profits. Puisque les entreprises arrivent à détourner les règles désuètes de la fiscalité internationale, l’impôt minimum permettra de régler le problème.
Une entente liant plus de 130 pays et juridictions est conclue en 2021. Cet impôt commencera à être prélevé en 2023. Pour ce faire, chaque pays doit changer ses règles et lois fiscales. L’instauration de la mesure avance plus lentement que prévu, mais elle devrait être en place dans la plupart des pays l’année prochaine. Si cela se réalise, ce sera un changement majeur. Pascal Saint-Amans, qui a depuis quitté son poste pour enseigner à Lausanne, y croit fermement, d’où le titre de son livre « Comment on a changé le cours de l’histoire ».
Polémique
Or, l’auteur a ses détracteurs et il y a polémique. Par exemple, le juge d’instruction français Renaud Van Ruymbeke demeure pessimiste face aux avancées réelles et critique le taux de 15% comme étant nettement trop bas. C’est une critique partagée par l’économiste Joseph Stiglitz et de nombreux pays en développement.
Dans un récent article cosigné avec Tommaso Faccio, Stiglitz craint que la mise en place de l’impôt minimum mondial échoue. Faccio dirige le Secrétariat de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises. La crainte de ces deux économistes tient à deux éléments.
Premièrement, le Congrès américain a rejeté le texte original de l’entente pour en adopter un autre moins contraignant. Dans l’entente, l’impôt s’applique aux entreprises qui réalisent plus d’un milliard $US de bénéfices. Le Congrès a choisi de l’appliquer aux entreprises qui réalisent ce niveau de profits pendant trois années consécutives. Cela réduit considérablement le nombre d’entreprises touchées et il leur devient aisé de manipuler leurs résultats pour enregistrer moins de bénéfices une année sur trois.
L’autre écueil concerne le fait que chaque pays doit ratifier le traité multilatéral et qu’aux États-Unis, tout traité doit recevoir l’appui des deux tiers des membres du Sénat, mission impossible à cause des Républicains. Selon Stiglitz et Faccio, sans les États-Unis, point de salut. On court le risque de démobiliser plusieurs autres pays et, au final, d’envoyer le signal aux différents pays de réduire leur taux d’impôt sur les sociétés à 15%, sans qu’un taux minimum de 15% ne soit réellement prélevé.
Pascal Saint-Amans n’est pas du même avis, même s’il reconnaît que l’implication des États-Unis est essentielle : « Sans eux, aucun progrès ne peut être fait. » Dans son livre, il explique toutefois que « l’administration Biden a en effet accepté que, si les États-Unis ne devaient pas appliquer l’impôt minimum, les autres pays puissent le prélever sur les entreprises américaines taxées à moins de 15% ». Donc, selon lui, si la Chambre des représentants et le Sénat des États-Unis refusent les ententes, les autres pays ont l’aval de Biden pour prélever le 15% d’impôt minimum. Avec cet engagement, l’entente ira de l’avant même si les deux chambres à Washington s’y refusent. Les prochaines années nous diront qui des deux camps aura eu raison.
La puissance des lobbys
À chaque étape des négociations, Saint-Amans illustre la puissance du lobby des multinationales et des banques qui profitent des paradis fiscaux. Par exemple, en 2012, lorsqu’il est question de réformer la façon de calculer les prix de transferts dans le cadre du plan BEPS, la France prend une position plus frileuse qu’attendu. Saint-Amans comprend que le ministre des Finances, Pierre Moscovici est victime du lobby des multinationales. Il faudra une intervention de niveau supérieur pour changer la position de la France. La rencontre avec le conseiller de François Hollande, Emmanuel Macron, aura été constructive.
L’auteur montre aussi à quel point la position adoptée par les États-Unis permet de changer la donne à l’échelle internationale. À la suite du scandale d’UBS – fuites de données de la plus importante banque Suisse – l’agence de revenu américaine, l’IRS, réalise que les banques suisses n’ont pas respecté leurs engagements. L’IRS exigeait que les impôts soient payés sur les revenus américains qui y sont déclarés, ce qui n’a pas été fait.
Washington adopte rapidement une loi contraignante pour les banques suisses. « Puisque les banques étrangères ont abusé de la confiance des autorités américaines, elles vont devoir maintenant rapporter au fisc américain toutes les informations sur tous les comptes bancaires détenus par tous leurs clients de nationalité américaine. En cas de défaut, la sanction est immédiate et particulièrement dure : le fisc américain prélèvera 30% sur tout paiement (intérêt ou dividende) fait depuis les États-Unis à un client de ces banques. » Ce sera un tournant majeur au chapitre de la transparence et contribuera à l’adoption du plan d’action BEPS en novembre 2015.
Enfin, le livre regorge d’anecdotes intéressantes. Des scandales de la banque du Vatican au vice-président du Guatemala qui demande secrètement qu’on menace son pays d’être mis sur une liste noire pour mieux lutter contre la fraude fiscale, en passant par le sauvetage de la noyade d’une déléguée chinoise aux Bahamas, qui favorisera la collaboration ultérieure de la Chine, sans oublier la surprise de voir que le ministère des Finances des Bahamas partage un immeuble avec la Banque Scotia, « une banque canadienne très active dans l’offshore », ou encore le fait qu’au G-7, « le premier ministre, Justin Trudeau, ne veut plus entendre parler de taxe numérique depuis qu’il a dû retirer son projet de taxe Netflix face au mécontentement du public ».
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