Membre de l’équipe de L’aut’journal;
Diplômé collégial en sciences humaines;
Personne transgenre (il/lui)
Coup sur coup, L’aut’journal a publié dans ses pages deux articles qui abordaient la question de la théorie du genre et de sa place dans les écoles. D’abord, une lettre de madame Nadia El-Mabrouk1 qui critiquait le curriculum du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ), et ensuite une lettre d’un collectif de parents, résidents de St-Hyacinthe, qui venait appuyer les propos d’El-Mabrouk2. J’avoue ici ne pas partager l’enthousiasme du collectif par rapport au discours de la professeure.
L’opinion défavorable du public envers les personnes transgenres n’est pas une nouveauté. Déjà, aux États-Unis, les droits des citoyens LGBTQ+ sont gravement menacés (tout comme ceux des femmes d’ailleurs), à un tel point que le gouvernement du Canada conseille aux voyageurs de la communauté gaie d’éviter certains États3 (par exemple, la Floride). Évidemment, la situation n’est pas aussi critique ici, mais lorsque je vois des articles de la sorte, même si ceux-ci affirment ne pas s’opposer aux personnes transgenres et n’avoir que des “inquiétudes” sur la question, j’angoisse.
Dans l’ensemble, je pense que certaines des critiques qu’énoncent madame El-Mabrouk et le collectif à l’égard du curriculum du cours CCQ sont raisonnables. Comme eux, je trouve que les définitions proposées par le glossaire du programme différencient peut-être mal le genre du sexe. Comme eux, je trouve que décortiquer l’identité de genre d’un personnage du roman Ciel, de Sophie Labelle, n’est peut-être pas le meilleur exercice pour un cours de français.
Ce qui me dérange, c’est le ton alarmiste de leur article et les stratégies subtiles qui sont utilisées pour dépeindre le contenu auquel les élèves sont exposés comme étant pire qu’il ne l’est réellement.
Par exemple, madame El-Mabrouk mentionne que le programme scolaire est offert aux enfants « dès la prématernelle ». Ici, le parent inquiet pourrait se demander pourquoi des enfants de quatre ou cinq ans auraient à réfléchir aux concepts de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle. Or, si on prend le temps de lire le programme4 plus attentivement, on peut constater que la notion de genre n’est pas introduite avant la deuxième année, où les élèves sont invités à nommer les différences qu’ils perçoivent entre les filles et les garçons. Le programme attend ensuite la 5e année pour amener les enfants à réfléchir à l’expression de leur propre identité de genre. Le document publié par le gouvernement du Québec ne mentionne aucunement les hormones, les bloqueurs de puberté, ni même les pronoms.
Le collectif de parents est aussi coupable d’émettre des déclarations qui portent à confusion. Il cite dans sa lettre l’auteur et philosophe trans Paul B. Preciado qui, lors d’une entrevue5, avait décrit les relations hétérosexuelles comme des « ruines épistémiques ». Évidemment, c’est une déclaration incendiaire qui fera réagir tout lecteur confondu, mais quelle est sa pertinence dans le cas présent? Paul B. Preciado fait-il parti du cursus littéraire proposé par le cours CCQ? Et bien non.
Nous retrouvons le même effet dans l’article de madame El-Mabrouk lorsqu’elle mentionne au passage les expressions « personne enceinte » ou « personne qui menstrue ». Le vocabulaire inclusif est, en soi, un sujet de débat complexe, mais encore une fois, quelle est sa pertinence ici? Le langage neutre n’apparait pas au curriculum et n’est même pas utilisé dans le document.
Ce n’est selon moi pas un hasard que les auteurs énoncent des citations choquantes et des sujets de controverse dans des articles qui sont supposés aborder une question bien précise, celle du nouveau cours CCQ. Je pense, consciemment ou inconsciemment, qu’ils cherchent à attiser l’indignation chez les lecteurs, mais aussi la confusion et l’inquiétude.
Ces deux articles viennent se joindre à une tendance observable, depuis quelques années déjà, chez certains médias - parfois conservateurs, parfois féministes, deux groupes qui à première vue n’auraient rien en commun - à peindre toute question se rapportant à l’identité de genre comme une menace grandissante. Ces médias, déshumanisent les personnes transgenres en les présentant comme un bloc dogmatique monolithe, niant la diversité d’opinions qui existe au sein même de la communauté.
Ce qui m’effraie le plus dans ce discours sont les similarités aux vagues de haine qui se propageaient dans les années 1970 contre les homosexuels. Anita Bryant, figure marquante de cette période, avait lancé la campagne «Save Our Children» qui s’opposait aux efforts des activistes gais de combattre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle aux États-Unis. Bryant croyait que donner de la visibilité aux personnes homosexuelles mènerait à l’endoctrinement des enfant à un mode de vie « dépravé ». Elle semblait croire à un complot politique énorme, porté par des entités théoriques floues.
Le groupe cible a légèrement changé, mais la mentalité reste la même. La peur que les enfants soient confus ou manipulés, la croyance qu’un groupe organisé menace nos droits…
Je condamne ici ce climat alarmiste et je me désole que tant d’intellectuels y contribuent. L’hétérosexualité n’est pas en voie d’extinction. Vos enfants ne se font pas offrir d’hormones dans la cour de récréation. Les droits des femmes sont menacés, mais par des figures politiques conservatrices qui tentent d’accéder au pouvoir, (tels que Ron DeSantis et Mike Pence aux États-Unis, ou encore Maxime Bernier chez nous), non pas par les dérives hypothétiques d’un cursus scolaire.
1 https://www.lautjournal.info/20230830/cours-culture-et-citoyennete-quebecoise-un-bilan-positif-mais-avec-de-nouveaux-risques-de
2 https://www.lautjournal.info/20230908/cours-deducation-la-sexualite-un-exemple-de-derapage
3 https://www.lapresse.ca/voyage/etats-unis/2023-08-29/le-canada-met-ses-voyageurs-lgbtq-en-garde-face-a-certaines-lois-americaines.php
4 http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/CCQ-Programme-Primaire.pdf
5 https://youtu.be/bnqRUx2V13w