À la toute fin de la série Claude Morin, un jeu dangereux présentée sur le canal Vrai, Antoine Robitaille affirme avoir eu une révélation quasi divine d’une source au sein de la GRC qui innocentait complètement Morin. Dommage qu’il ne l’ait pas fait témoigner à l’écran. C’était sans doute cet obscur agent, du nom de Gilbert Albert, qui a jadis confié au journaliste Yves Boisvert de La Presse, ce secret d’État : « Morin n’a jamais été un vrai informateur. Le contrôleur était contrôlé par Morin. »
Robitaille croit aussi que Morin « n’était pas quelqu’un qui voulait saboter le PQ », qu’il n’aurait pas donné d’« informations déterminantes » et qu’il a plutôt voulu « dompter la bête de l’intérieur ». Robitaille ne lui attribue que des « petites trahisons ».
Mais c’est déjà trop pour Louis Cornellier. Dans sa chronique Pour Claude Morin (Le Devoir 30/09/2023), c’est l’absolution totale. Même pas de « petites trahisons ». La série et des échanges personnels avec Morin l’ont convaincu de sa « bonne foi ». Il affirme même : « Morin est un grand Québécois, qui n’a jamais trahi sa patrie. »
Les carnets
Comment, en effet, ne pas prêter foi à Morin qui confie au tandem Antoine Robitaille-Dave Noël ce bien précieux que constituent les carnets dans lesquels il consignait des notes au sujet de ses rencontres avec les services secrets canadiens. Que trois graphologues n’aient pas réussi à certifier qu’elles ont été rédigées à l’époque où Morin prétend les avoir scribouillées, qu’elles soient si insignifiantes que les auteurs de la série n’en tirent aucune information digne de mention, sauf ce faux pas d’une entrée datée du 7 avril qui fait référence à un article paru le 7 juin… Tiens, tiens…
Cornellier ne fait que mentionner, au détour d’une phrase, que ses rencontres secrètes avec ses contrôleurs de la GRC étaient rémunérées. Un détail. La GRC l’aurait donc payé pour se faire contrôler! Que Morin ait mis dans le coffre-fort de son sous-sol au moins 120 000 $ en dollars d’aujourd’hui. Pas grave, puisqu’il aurait donné l’argent aux bonnes œuvres de sa paroisse… La preuve, on l’a vu de nos yeux de Saint-Thomas vu : le coffre est vide! Bien sûr, Morin avoue avoir « emprunté » en 1975 un petit 4 000 $ pour acheter une Renault 5 d’occasion. Que le collègue de Cornellier au Devoir, Jean-François Nadeau ait écrit que c’était à l’époque le prix d’une grosse voiture américaine, on s’en fout! Péché confessé, péché pardonné. Rien à voir avec les trente deniers de Judas.
Cornellier écrit que Morin n’aurait eu des rencontres secrètes avec son contrôleur qu’entre 1975 et 1977, pour un total de 29 rencontres. Il évite de mentionner qu’il a admis avoir eu des contacts, alors qu’il était étudiant, avec l’officier Raymond Parent, qu’il l’a rencontré à nouveau au printemps de 1966, puis en 1967 et 1969. Dans la série, Morin n’affirme n’avoir eu que quelques rencontres (une ou deux) avec Léo Fontaine de la GRC après 1977. Mais des témoignages recueillis par Robitaille et Noël parlent plutôt de 8 à 10 rencontres. Jean-Luc Boivin raconte que Marc-André Bédard lui a confié qu’il a continué ses rencontres avec la GRC après le référendum. Sans doute jusqu’à la nuit des Longs Couteaux. Détail sans importance.
Contre-espionnage ou anti-subversion séparatiste?
Morin a toujours déclaré que la GRC l’avait contacté pour mettre en garde le PQ contre l’intervention des puissances étrangères en son sein, nommément la France et l’URSS, qui aurait infiltré à l’époque les services secrets français. Quelle était la teneur de ces échanges? Évidemment, nous n’avons pas accès aux notes de confessionnal de la GRC. Après tout, dans « services secrets », il y a le mot « secret ». Mais nous avons émis une hypothèse contraire aux affirmations de Morin (voir notre autre article).
Cependant, rappelons que la France était, bien entendu, favorable à l’indépendance du Québec. Ce n’était pas le cas de l’URSS. Elle fondait beaucoup d’espoir sur le gouvernement Trudeau qui cherchait une « troisième voie » en se dissociant de la politique américaine avec la reconnaissance de Cuba, la menace de sortir de l’OTAN et sa critique de la guerre du Vietnam.
S’ajoute à cela le fait que Raymond Parent n’a jamais fait partie du contre-espionnage, mais était plutôt un spécialiste de la lutte contre « la subversion communiste et séparatiste ». Un autre détail insignifiant, sans doute. Sans oublier que, selon Normand Lester, Raymond Parent était une figure légendaire du SS/GRC, un maître-espion dur, intelligent, cultivé. Mais, bien entendu, c’est Claude Morin qui le manipulait. Oublions aussi le témoignage dans la série de Michel Juneau-Katsuya, cet ex-officier de la GRC, qui affirme que la GRC n’aurait pas envoyé un « deux de pique » contrôler un ministre péquiste et n’aurait pas continué à lui verser de l’argent sans rien recevoir en retour.
La GRC et la CIA
Cornellier affirme que je m’« emmêle les pinceaux » en affirmant que « Morin a collaboré avec la GRC au profit des fédéralistes canadiens pour ensuite affirmer qu’il a plutôt collaboré avec la CIA contre ces mêmes fédéralistes ».
Dans un échange de courriel, ces derniers jours, je lui ai expliqué en long, en large et en travers qu’il n’y avait pas de contradiction. Morin a été un grand commis de l’État tout au long de la Révolution tranquille. Une « révolution » qui n’allait pas à l’encontre des intérêts américains. Au contraire. À titre d’exemple, ce sont les banques de Boston qui ont financé la nationalisation de l’électricité.
Les États-Unis ont toujours soutenu les pouvoirs des provinces contre le gouvernement central. C’était particulièrement vrai sous le règne de Trudeau père qui, en plus de sa politique internationale, menaçait les intérêts des pétrolières américaines avec sa Nouvelle politique économique. Washington avait aussi compris qu’il fallait que la société québécoise se modernise, comme elle appuyait dans le même but le mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Cependant, il y avait une limite à ne pas franchir : l’accession du Québec à l’indépendance. Sur cet enjeu, les « pinceaux » d’Ottawa et de Washington peignaient le même tableau.
Quant à Morin, qui avait été recruté par la CIA par l’entremise de son beau-frère Nicolas Radoiu, lors de ses études à l’Université Columbia à New York – selon ce qu’a confié Louise Beaudoin au journaliste Pierre Godin (voir mon livre pour les détails) – il a offert ses services à la GRC.
Dans Les choses comme elles étaient (Boréal, 1994), il écrit que lorsque son futur contrôleur Léo Fontaine le contacte et lui demande si, par hasard, il ne connaîtrait pas quelqu'un à qui la RCMP pourrait se fier. « Je lui répondis en boutade, écrit Morin, que le mieux serait pour lui de mettre la main sur un des agents que la CIA avait déjà probablement placés dans le PQ et à l'utiliser aussi pour les fins de la RCMP! » Autrement dit : lui, Claude Morin, qui pouvait facilement manger à deux rateliers!
Morin, un « Born Again Christian »
Cornellier affirme avoir relu les livres de Morin, Je le dis comme je le pense (Boréal, 2014) et L’affaire Morin (Boréal, 2006), et y avoir vu « un solide plaidoyer pro domo dans lequel l’ex-ministre taille en pièces les accusations formulées contre lui par Loraine Lagacé, Normand Lester, Pierre Godin, Pierre Duchesne et Pierre Dubuc ».
Dans notre livre, nous relevons les nombreuses contradictions de Morin dans ces livres par rapport à ses déclarations antérieures. Morin, qui se définit alors comme un « consultant à honoraires » (sic!), écrit dans L’Affaire Morin que « la GRC a agi de son propre chef » et que « pour une rarissime fois de ma vie, je suis d’accord avec Trudeau et Chrétien qui ont déclaré à la télévision n’avoir jamais rien su de l’affaire ».
Des propos contredits par Marc Lalonde dans la série Claude Morin, un jeu dangereux, lorsqu’on lui remet sous le nez l’enregistrement de sa déclaration au journaliste Pierre Duchesne, où il reconnaît avoir été au courant de « l’affaire Morin » dès 1978. Bien sûr, il n’en a jamais soufflé mot à Trudeau ou à Chrétien. Mais pourquoi se badrer de tous ces témoignages de la série qui contredisent la béatification de Morin par le tandem Robitaille-Noël!
Quant à Cornellier, Morin étant devenu un « Born Again Christian », comme il nous en informe dans Je le dis comme je le pense (Boréal, 2014), il ne peut être à ses yeux un menteur, encore moins un traître.
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