Le cinéma, cette machine à faire rêver, permet d’explorer tous les territoires de l’imaginaire. Avant de lire l’ouvrage remarquable de Sylvain Garel, j’ignorais qu’on évoquait si souvent le Front de libération du Québec dans les films québécois. Mais il est vrai que le FLQ, un mouvement clandestin qui a eu recours à la violence dans son combat pour faire du Québec un pays, a marqué profondément notre mémoire et notre imaginaire comme peuple, surtout au paroxysme de son action terroriste, lors de la crise d’Octobre 1970. Une tragédie devenue presque mythique.
Le FLQ n’a été actif que pendant dix ans, de 1962 à 1972, mais il a provoqué chez nous un puissant électrochoc. Il a réuni, au fil des années, quelques centaines de militants idéalistes et impatients – surtout des jeunes issus des milieux ouvriers et populaires –, ainsi que plusieurs milliers de sympathisants. La plupart des militants se sont retrouvés en prison, parfois pour longtemps, quelques-uns ont même vécu l’exil ou sont morts pour la cause, à l’exemple de leurs héros, les patriotes, qui avaient fomenté les grandes rébellions des années 1837-1838 contre les Anglais; un point culminant de la violence politique dans notre histoire. Beaucoup d’ex-militants du FLQ ont continué leur lutte pour l’indépendance au sein du Parti québécois fondé par René Lévesque, ce grand parti qui nous a menés aux rivages de la Terre promise lors d’un autre Octobre pathétique : celui du deuxième référendum sur la souveraineté du Québec, perdu par quelques milliers de voix le 30 octobre 1995.
Le FLQ et le cinéma québécois sont nés en même temps, au début des années 1960, lors de la Révolution tranquille, comme le rappelle Sylvain Garel. Plusieurs jeunes cinéastes étaient indépendantistes et séduits, de surcroît, par un projet utopique de révolution. La quasi-totalité des bâtisseurs de notre cinéma national, et presque tous nos grands cinéastes, ont évoqué le FLQ dans leurs films, depuis À tout prendre de Claude Jutra des 1963 et Le chat dans le sac, chef-d’œuvre de Gilles Groulx, en 1964. Le cinéaste qui a le plus souvent fait allusion au FLQ – huit de ses films au total – est bien sûr Pierre Falardeau, réalisateur engagé qui regrettait de ne pas avoir été recruté par le mouvement clandestin dans sa jeunesse… Vient ensuite Denys Arcand, avec sept films. Celui qui allait devenir l’un de nos plus brillants cinéastes croyait à la Révolution, à l’époque des premières bombes du FLQ, en 1963. Dans son célèbre documentaire sur les travailleurs et travailleuses du textile, On est au coton, Arcand donne la parole à trois ex-militants du FLQ qui justifient leurs actions. Son film est interdit par l’Office national du film (ONF) pendant des années (mais tout de même projeté en catimini). En 1970, nous apprend Garel, quelques mois avant la crise d’Octobre, Arcand avait élaboré un projet de long métrage documentaire sur le FLQ intitulé « Les terroristes ». Il est refusé par l’ONF.
Plusieurs films évoquant le FLQ demeurent gravés dans ma mémoire, à commencer par la fiction documentée Les ordres de Michel Brault (1974), qui raconte l’emprisonnement de quelques-unes des 500 personnes arrêtées sous l’empire de la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970 – chef-d’œuvre qui fut d’ailleurs primé au Festival de Cannes. Autre film poignant : le huis clos tragique Octobre (1994), du franc-tireur Falardeau (dont le fils Jules a pris la relève comme cinéaste révolté). J’ai aussi aimé Les années de rêves de Jean-Claude Labrecque (1984), Corbo de Mathieu Denis (2014), autour d’un jeune Italo-Québécois de 16 ans qui saute tragiquement avec sa bombe et, encore tout frais dans ma mémoire, l’émouvant documentaire Les Rose (2020) de Félix Rose.
Le livre de Sylvain Garel est un ouvrage de référence qui deviendra un incontournable pour les cinéphiles. Il nous présente plus de 200 films, fictions ou documentaires, courts ou longs métrages, qui évoquent de près ou de loin le FLQ et son acmé, la crise d’Octobre. L’auteur a une connaissance fine de notre cinéma et de notre histoire. Après des milliers d’heures de visionnement, il a rédigé sur chaque film qu’il a repéré des notices fouillées, fruit d’une recherche minutieuse. Son livre est une mine d’or d’informations. Ce Français ami – et même amoureux – du Québec s’était bien préparé à la tâche en fondant et en animant pendant six ans le Festival du cinéma québécois de Blois (1991-1996).
Le manifeste subversif du FLQ, lu à la télévision de Radio-Canada en 1970, l’ouvrage séditieux Nègres blancs d’Amérique, écrit en prison par Pierre Vallières, la frondeuse chanson « Bozo-les-culottes » de Raymond Lévesque sur un ancien felquiste oublié; toutes ces références au FLQ, et tellement d’autres, sont présentes dans bon nombre de films. Notre cinéma raconte ce que nous sommes comme peuple, notre côté rebelle et combatif, mais aussi nos peurs et nos luttes inachevées.
Comme l’a écrit Gaston Miron, l’un des poètes emprisonnés en octobre 1970, « tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire ». Je me souviens aussi de cette petite phrase d’espoir lancée par René Lévesque après le premier référendum, en mai 1980 : « Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de dire : à la prochaine fois! » Le Québec sera-t-il encore longtemps le pays de la prochaine fois?
Journaliste et communicateur de métier, Louis Fournier est l'auteur de l'ouvrage de référence sur le Front de libération du Québec, FLQ. Histoire d'un mouvement clandestin (Québec, Amérique, 1982). La troisième édition de ce livre, revue et corrigée et augmentée, a été publiée chez VLB Éditeur en 2020.
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