Un coup de cochon de Radio-Canada

2023/11/01 | Par Roméo Bouchard

L’émission de La Semaine verte des 14 et 15 octobre dernier nous a fourni un exemple navrant de désinformation et de censure, sinon d’ignorance.

L’émission était entièrement consacrée à la crise actuelle de l’industrie porcine. Le reportage sur la crise elle-même a été incapable de faire clairement la démarcation entre les producteurs indépendants, parents pauvres de cette industrie, et la grande majorité de producteurs sous intégration, qui sont réduits au statut de « gardes cochons » à forfait puisque ceux-ci appartiennent à l’intégrateur, qui possède également les meuneries et les abattoirs, et qui commercialise les viandes, à l’exportation dans une proportion de 70%.

Or, il se trouve que l’intégrateur qui exerce un quasi-monopole dans l’industrie en question et empoche les profits et les aides publiques n’est nul autre qu’Olymel, une coopérative de producteurs associée à Sollio, l’ancienne Coop fédérée, dans la mouvance de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

L’impact environnemental

On m’avait demandé d’intervenir sur l’impact environnemental qu’a eu le développement massif de l’industrie porcine dans les années 1990-2000. L’entrevue d’une couple d’heures s’est déroulée chez moi, à la satisfaction de l’équipe de La Semaine verte. J’ai tenté d’y expliquer l’effet désastreux qu’ont eu sur les cours d’eau, les sols et les campagnes ces élevages intensifs automatisés, les quantités astronomiques de fumier liquide produites et épandues par chaque porcherie de 8 000 porcs par année (soit l’équivalent de 1500 vaches), le développement des monocultures de maïs et soya qui s’en est suivi pour nourrir 8 millions de porcs, l’absence de règlementation environnementale efficace pour limiter les dégâts, notamment l’inefficacité des Plans agroenvironnentaux de fertilisation (PAEF) et de protection des rives et des  milieux boisés et humides, le drainage souterrain rejeté directement dans les cours d’eau, etc.

Tout cela subventionné à coup de centaines de millions par année par la Financière agricole, provenant en grande partie de fonds publics.

De tout cela, il n’est à peu près rien resté dans l’émission diffusée, si ce n’est deux ou trois phrases tronquées, hors contexte et sans les explications.

L’UPA et Olymel

Au contraire, on a préféré donner la parole à des producteurs dévoués à l’UPA et à Olymel, qui nous ont expliqué que tout est aujourd’hui parfaitement réglé; à des fonctionnaires terrifiés du ministère de l’Environnement, honteux de devoir admettre que la qualité des cours d’eau ne s’est pas améliorée; et à un ministre de l’Agriculture qui refuse de se mêler d’une soi-disant entreprise privée.

Un des intervenants a même dit que je n’avais pas tort quand je disais qu’on disposait du lisier n’importe comment, mais que les choses ont changé depuis. Étrange! D’où tient-il ça, car mes propos à ce sujet n’ont pas été retenus dans l’émission?

Pas un mot de ces déserts de maïs et de soya, qui tuent à petit feu les meilleurs sols du Québec pour nourrir des cochons qu’on exporte aux Chinois qui, eux, en veulent de moins en moins, car ils viennent d’inventer les porcheries à 20 étages! Quand l’UPA nous implore de protéger notre garde-manger, on repassera.

L’aplaventrisme du ministère

Comment ne pas voir dans cet aplaventrisme – à moins que ce ne soit de l’ignorance – l’effet du poids de l’industrie porcine et de l’UPA, auxquelles il serait dangereux de déplaire? Le lobby du secteur agricole au Québec, contrairement à celui des autres secteurs économiques, est particulier. Il est monopolistique  et monolithique : un État dans l’État.

L’UPA, syndicat unique obligatoire, et ses fédérations et ses coopératives investissent, ne l’oublions pas, des centaines de millions en publicité dans les médias (lait, porc, poulet, fromages, BMR, etc.). Les dirigeants de Radio-Canada, notamment ceux de La Semaine verte, ne sont pas sans le savoir. C’est la vérité qui en prend un coup… et les Don Quichotte perdus en région de mon genre, dont il est trop facile de mépriser les convictions acquises dans de dures luttes sur le terrain.