L’auteur est professeur retraité de l’UQAM
Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je l’affirme d’entrée de jeu : je condamne les actes du Hamas contre Israël, survenus le 7 octobre dernier. Mais je condamne tout aussi fermement ceux d’Israël qui n’ont cessé de déferler, depuis ce jour, sur la population civile palestinienne. Et je récuse les appuis inconditionnels qui ont été apportés à Israël par divers gouvernements, dont ceux des États-Unis et du Canada, au nom de ce qu’ils désignent comme « le droit d’Israël de se défendre ».
Qu’en est-il de ce « droit » ?
Fondé en 1948 comme État juif, Israël est la réalisation du projet sioniste de l’édification d’un foyer national juif en Palestine. Dans une lettre de protestation adressée en 2017 au président de la République française, Emmanuel Macron, à la suite de sa caractérisation de l’antisionisme comme étant « la forme réinventée de l’antisémitisme », l’historien israélien Shlomo Sand de l’Université de Tel Aviv, auteur du remarquable ouvrage intitulé « Comment le peuple juif fut inventé », met quelques points sur les « i », qu’il me semble utile de reprendre ici. Je cite :
Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un État juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, était une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. […]
En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’État d’Israël.
Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux, assujettis à un contrôle militaire. Israël considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël »; 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés et cela n’est pas terminé.
Sand conclut ainsi sa lettre à Macron :
Voici pourquoi je me définis comme antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. […] Étant démocrate et républicain, je ne puis, soutenir un État juif. Selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier, qui n’ont pas l’intention de venir y vivre. […]
Je suis un citoyen désireux que l’État dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un État communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un État, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, cela fait-il de moi un antisémite ?
État, religion, territoire
J’en viens au fait que le projet de création d’un État arabe en Palestine, également prévu dans la résolution 181 de l’ONU de 1947 qui est à l’origine de la création d’Israël, a été réduit en cendres par l’envahissement, au fil des années, du territoire palestinien par la « colonisation » illégale menée au nom du Grand Israël.
Pour le groupe extrémiste religieux Gouch Emounim (Bloc de la foi), qui a été le fer de lance de cette colonisation illégale avec l’appui du gouvernement et de l’armée, conquérir la terre est un impératif religieux, l’arrivée du Messie ne pouvant se réaliser que si toute la terre d’Israël devient la possession exclusive du « peuple juif ». On mesure l’influence de ce porteur extrémiste du projet messianique à la lumière de l’extrait suivant d’un livre intitulé Israéliens et Palestiniens. L’épreuve de la paix, d’Alain Dieckhoff, de l’Institut d’études politiques de Paris :
L’appareil religieux d’État, étroitement contrôlé par le Parti national religieux… a montré, à maintes reprises, son inclination pour la théologie mystique du Gouch. Le grand rabbinat a émis plusieurs avis interdisant, au nom de la loi religieuse (halakha), le moindre abandon de la « Terre promise » et condamnant par avance tout gouvernement qui s’engagerait dans la voie d’un compromis territorial.
Pour sortir du cul-de-sac auquel mène une telle politique et, au risque d’apparaître comme un idéaliste, surtout dans le contexte actuel, je reformule la seule perspective qui m’a toujours paru comme étant de nature à surmonter l’impasse, celle de l’édification en Palestine d’un État binational arabe et juif, mise de l’avant en 1948 par le rabbin Judah Magnes, premier recteur de l’Université hébraïque de Jérusalem, qui avait été appuyée par l’éminente philosophe Hannah Arendt. Je suis convaincu qu’il existe aujourd’hui des gens de bonne volonté d’un côté comme de l’autre pour s’emparer de ce projet et œuvrer à sa réussite. Sinon quoi ?
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