Le renouvellement des conventions collectives des syndiqués du Front commun fait du surplace, même si le gouvernement Legault prend les employés de l’État et les citoyens du Québec pour des valises en prétendant qu’il a déjà fait quatre offres différentes. La stratégie du gouvernement, qui consiste à ne pas négocier sur des bases concrètes, est pour le moins douteuse. Les centrales syndicales répètent depuis plus d’un an que les discussions aux tables sectorielles et à la table centrale n’en sont pas réellement, que les négociateurs du gouvernement ne semblent pas avoir de mandat clair, qu’ils se bornent à poser des questions d’éclaircissement sur des détails des demandes syndicales.
La stratégie du mépris
Cette stratégie du mépris est étonnante de la part d’un gouvernement en perte de vitesse, dont les intentions de vote chutent depuis des mois et dont la dégelée électorale dans Jean-Talon a valeur d’étalon de mesure. Mais elle l’est moins quand on se souvient que la CAQ est le nouveau refuge du patronat pour qui le gouvernement trouve toujours des fonds. Alors que Sonia Lebel répète que chaque point de pourcentage qu’elle offre pour augmenter les salaires de la fonction publique représente un coût de 600 millions, François Legault et Pierre Fitzgibbon n’ont pas de scrupules à subventionner leurs amis à coût de milliards.
Et c’est ce qu’il y a de plus désolant dans la stratégie de la CAQ : elle ne s’élève pas au-dessus de la joute partisane. Les propos des ministres sont exclusivement dirigés vers leur électorat. Un gouvernement a pourtant le devoir de parler à toute la population, surtout quand il s’agit d’une question aussi capitale que celle de la fonction publique. Il ne faut pas oublier que le filet social québécois, bien qu’imparfait, est inestimable.
Un pilier du Québec
Mais il y a plus : le secteur public fort est garant de la pérennité du peuple québécois. Il ne faut jamais oublier que cette fonction publique est un rempart contre les programmes fédéraux qui cherchent à rapetisser notre nation au rang de simple province. Nos institutions actuelles, qui proviennent pour plusieurs de la Révolution tranquille, étaient porteuses d’un projet sociopolitique avec lequel nous aurions intérêt à renouer en l’ajustant aux réalités présentes. Il s'agit d'une drôle de stratégie, pour un gouvernement qui se dit autonomiste, que d’affaiblir un des symboles du Québec moderne.
Mais en cela comme en tant d’autres domaines, le verni pseudo-nationaliste de Legault s’est dissout depuis plusieurs mois. Sa tergiversation sur la prolongation de la loi 101 au secteur collégial, sa valse-hésitation sur les étudiants étrangers dans les universités, sa propension à comparer négativement le Québec à l’Ontario en disent long sur l’état de son gouvernement. Ce n’est pas que le modèle québécois issu de la Révolution tranquille que Legault contribue à passer à la trappe, c’est une certaine vision du Québec.
Son style, son idéologie et son caractère ne sont pas sans rappeler les politiciens d’avant 1960, au premier rang duquel se trouve Maurice Duplessis. Lui aussi se disait nationaliste tout en minant les employés du secteur public. Lui aussi se disait nationaliste tout en laissant l’éducation et la santé dans un piteux état. Lui aussi se disait nationaliste tout en donnant la part du lion aux grandes entreprises étrangères. Sa stratégie de développement des ressources naturelles nous ramène au début du 20e siècle alors que les libéraux ouvraient la voie à notre dépossession et que Duplessis cristallisa dans les mémoires avec sa politique dite « une cenne la tonne ».
Legault s’éloigne de Duplessis dans sa gestion sociale, mais il s’en approche dans sa gestion politique et économique. En un mot, elle est colonisée face au Canada et méprisante envers ses citoyens et ses employés. Le gouvernement délaisse le peuple québécois pour favoriser ses amis. Il cherche maintenant à faire porter l’odieux de ses choix par la fonction publique en plaçant les syndicats du Front commun dans le rôle des intransigeants incapables de faire preuve de pragmatisme.
Investir dans le bien commun et le bien individuel
Et pendant que la CAQ ne parle des salaires des employés de l’État qu’en termes de dépenses et non d’investissements, il fait diversion sur l’état lamentable du secteur public, à commencer par la santé et l’éducation. Ce délabrement est le résultat de coupures massives depuis plus de 30 ans, moment qui coïncide avec le point de rupture où le pouvoir d’achat des employés de l’État a commencé à chuter. L’appauvrissement des fonctionnaires marche main dans la main avec l’appauvrissement de l’offre de services publics.
Les citoyens du Québec doivent prendre acte de ces dérives et arrêter de voter pour des gouvernements de droite. Mais les syndicats ont aussi un travail de fond à faire en ce qui a trait à la nouvelle marotte politique qui consiste à proposer des baisses d’impôts pour tous les contribuables. Il faut revenir à la base : si les impôts diminuent, les services aussi.
Investir dans la fonction publique, c’est enrichir le Québec et les contribuables. L’exemple de l’éducation le démontre par l’absurde. Alors que le système scolaire est devenu un système à trois vitesses – privé, public et semi-privé à l’intérieur public -, nous nous sommes habitués à payer des sommes allant jusqu’à plusieurs milliers de dollars par année pour que nos enfants aient accès à un programme particulier dans une école publique. Les baisses d’impôts du gouvernement ne couvrent pas ces sommes.
Si les écoles publiques étaient financées adéquatement et que le secteur public ne souffrait pas de tant de maux, chaque parent serait plus riche en fin de compte. Et ces programmes semi-privés ne profitent qu’aux mieux nantis, laissant les plus démunis devant une éducation déficiente. C’est ce qu’il faut rappeler : tout n’est pas qu’une question de baisse d’impôts ou d’augmentation de salaires individuels. Le bien commun existe encore. Ce qui est bon pour une société n’est pas en contradiction avec ce qui est bon pour un individu. Les deux devraient se renforcer.
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