Le 1er décembre 2008, l’écrivaine Hélène Pedneault nous quittait à l’âge de 56 ans. D’où la nécessité, quinze ans après sa mort, d’honorer son héritage inestimable.
Sa grande amie Nicole Boudreau parle avec émotion de cette vie et de cette œuvre « en forme de iste : indépendantiste, féministe, environnementaliste, pacifiste, humaniste… C’était une femme-orchestre qui s’assurait de ne laisser aucun instrument sur la touche ».
Première femme à la présidence de la Société Saint-Jean-Baptiste (1986-1989) et porte-parole de la Coalition Partenaire pour la souveraineté lors du référendum de 1995, Nicole Boudreau a également organisé l’exposition La Part des femmes, lors du 180e anniversaire du canal de Lachine en 2005 (« où Hélène a convaincu une Lise Payettte réticente de participer à l’événement, jugeant nécessaire de rappeler l’importance de l’émission Place aux femmes et de cette pionnière féministe pour le Québec »). Défenderesse des engagements de la société civile, Boudreau a mené plus récemment, pour la Société Saint-Jean-Baptiste, une consultation sur la possibilité de tenir des États généraux de l’Amérique française.
Dans la revue Relations, la femme de théâtre Pol Pelletier a qualifiée Pedneault «de la plus grande mère nourricière de la culture québécoise», celle qui a été agente d’artistes pour les Séguin, Clémence DesRochers, Renée Claude et Pauline Julien.
Vie d’engagement et de sororité
Hélène Pedneault amorce sa carrière de journaliste au Saguenay. De 1982 à 1987, elle signe des « chroniques délinquantes » dans le magazine La Vie en rose, où elle pose son regard caustique (impossible de ne pas éclater de rire pour «Y a-t-il une patate frite dans la salle?»). Ses chroniques ont été regroupées dans un livre. Toujours dans La Vie en rose, elle rédige divers textes, dont le bouleversant «Mon père à moi» en l’honneur de ce dernier et une entrevue mémorable avec Simone de Beauvoir, l’une de ses idoles. Rappelons que l’intellectuelle française avait subi la censure exercée par le clergé, qui a interdit à la télévision de Radio-Canada son entretien avec Wilfrid Lemoine en 1959.
Dans La Vie en rose, une autre de ses idoles a eu droit à un bel éloge : «BARBARA, Ma plus belle histoire d’amour… c’est elle» (sur la chanteuse française).
Ses réalisations comprennent une biographie de Clémence Desrochers, Notre Clémence, tout l’humour du vrai monde, des chroniques avec Marie-France Bazzo, des chansons inoubliables dont Montréal Mauve et Un ange en exil pour Marie-Claire Séguin, le show de filles Frangines avec notamment Renée Claude, Sylvie Tremblay, Marie-Denise Pelletier, Priscilla et Éva, la coalition Eau Secours qu’elle a cofondé en 1997 et l’adaptation de la reprise du téléroman Sous le signe du lion, de Françoise Loranger.
Dans la décennie 1990, Hélène Pedneault avait ravivé dans la mémoire collective plus d’une fois l’œuvre de cette dramaturge (Médium saignant) et écrivaine, en plus d’avoir dirigé la comédienne Huguette Oligny dans La Dame de cent ans (un mémorable souvenir de théâtre), l’un des joyaux méconnus de notre dramaturgie.
Traduite en diverses langues, sa pièce de théâtre La Déposition a été créée en 1988. Pour Diane Pavlovic de la revue Jeu, cette histoire policière « est à la fois neuve dans notre dramaturgie et rattachée à tous les courants qui la travaillent de façon souterraine ».
Hélène Pedneault a aussi publié La Douleur des volcans, mémoires courtes, le pamphlet Pour en finir avec l’excellence («trace de son combat pour l’éducation»), Les Carnets du lac (« tout son amour pour l’eau et l’écologie»), sans oublier le recueil Mon enfance et autres tragédies politiques. « C’était une géante de l’engagement, », évoque avec fébrilité Nicole Boudreau.
Une autre de ses proches, la polyvalente créatrice Sylvie Tremblay, s’étonne toujours de voir à quel point « elle a touché autant le cœur des gens et marqué leur vie ». Les deux complices ont monté en 1992 le récital Viens on va se faciliter la vie où elles chantaient en duo Les gens qui doutent, d’Anne Sylvestre. Pedneault y avait livré sa Lettre à Rose Rose, mère entre autres de Paul et de la peintre Lise Rose, en écho à la Crise d’octobre.
Artisane de l’indépendance
Nicole Boudreau a rencontré Hélène Pedneault pour la première fois lors de la campagne référendaire de 1995. « Je lisais avec bonheur ses chroniques dans La Vie en rose. J’admirais déjà l’intelligence de sa plume. Elle m’intimidait. »
Les Partenaires pour la souveraineté recherchaient une personne pour écrire un mémoire pour la Commission nationale sur l’avenir du Québec. « Nous ne voulions pas un texte trop technique, mais qui vient du cœur. Je l’ai contactée par télécopieur. « Elle a accepté, mais a donné une réponse typique à la Hélène Pedneault : à condition qu'on ne me mette pas les mots (des autres) dans la bouche. » Les Partenaires ont entrepris une tournée à travers le Québec en autobus sous le nom de Vivre à haute voix au lieu de murmurer notre existence pour convaincre les femmes plus réfractaires que les hommes, selon les sondages, au projet indépendantiste.
Pour clôturer cette initiative, Hélène Pedneault a eu l’idée du spectacle Souveraines, sur des textes et des chansons de femmes, qui s’est déroulé au Club Soda. Parmi les artistes, se trouvaient France Castel, Marie-Claire Séguin (« elle avait le don d'aller chercher des gens qui sont aussi dans l'ombre », comme Marie Savard qui a conçu le disque Québékiss pour dénoncer la Crise d'octobre) et une Pauline Julien qui a donné sa dernière prestation publique. Déjà atteinte d’aphasie dégénérative, la chanteuse-actrice « avait peur de remontrer sur scène. Hélène lui a donné la confiance nécessaire. Elle était d’une telle générosité ».
Si le public a retenu davantage de cette « femme-orchestre » sa voix «tonitruante», son esprit «émotif», Nicole Boudreau évoque son caractère rationnel « sur deux pattes » et son sens aiguisé de la pédagogie. « Je songe à sa série radiophonique Éloge de l’indignation. Elle avait tout un talent d’intervieweuse. Son entrevue avec l’essayiste français Pascal Bruckner constitue un moment d’anthologie. » Ce dernier disait qu’il ne fallait pas seulement être une personne indignée, « mais bien documenter son indignation. Je me souviens de discours épiques où Hélène détricotait certains arguments ».
Nicole Boudreau évoque sa participation au documentaire de Nicole Giguère, Barbie, la Vénus de vinyle (1999), où son amie s’interrogeait « sur les incidences (pernicieuses) pour les femmes » de la célèbre poupée qui soufflait alors ses 40 bougies.
L’écrivaine et militante indépendantiste Andrée Ferretti (dont Pedneault a signé la préface de La Passion de l’engagement, 1964-2001) a rappelé le jour de son décès qu’Hélène Pedneault « guerroyait uniquement pour, jamais contre, même quand elle fustigeait les malveillants, leurs bassesses et leur violence ».
Cette volonté d’être pour et jamais contre se répercutait selon Nicole Boudreau dans son refus de la victimisation. « Hélène défendait les personnes victimes d’injustices, mais n’aimait pas les victimes. Elle songeait toujours aux actions à prendre pour passer à l’offensive et se tenir debout. »
Malgré ses engagements publics, Hélène Pedneault n’a jamais négligé ses amies. Par sororité, elle à céder ses biens à la Fondation Léa-Roback. Sur sa pierre tombale, nous lisons les mots de l’écrivaine féministe Denise Boucher : « Cette enfant avait l’énergie de La Manic et le dos large comme un pays à faire. Elle le porta en criant Eau secours, en écrivant des livres chauds comme des volcans et tranquilles comme des lacs. »
Une telle trajectoire créatrice et citoyenne résonne toujours. Mais devant nos bêtises actuelles, « je suis persuadée qu’elle souffrirait le martyr », confie Nicole Boudreau.
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