L’auteur est député du Bloc Québécois
Le gouvernement du Québec a créé une onde de choc lorsqu’il a annoncé son intention de présenter un projet de loi qui pourrait permettre la vente d’électricité entre compagnies privées. Comme l’écrit le journaliste Thomas Gerbet de Radio-Canada, cela signifierait la fin du monopole d’Hydro-Québec pour la distribution d’électricité.
Malgré la volonté affirmée du gouvernement de bien baliser cette brèche, les partis d’opposition à Québec, les groupes et spécialistes de la question sont montés immédiatement aux barricades. Ils savent que les grandes entreprises salivent à l’annonce de tels projets et qu’elles exerceront un énorme lobby pour convaincre les élus de leur donner une part du gâteau.
Les effets de telles privatisations sont connus. On les a vus un peu partout. Lorsqu’un service public est privatisé, les coûts augmentent et la fiabilité ou la qualité du service chutent. On peut penser aux pannes généralisées dans les différentes régions des États-Unis ou à l’eau du robinet imbuvable, qui coûte presque aussi cher que l’eau en bouteille, dans plusieurs villes françaises. Règle générale, ces privatisations sont synonymes d’un recul de la qualité de vie de la population et une source importante de profits pour ces sociétés privées.
Pas étonnant donc que cette mobilisation rapide lors de l’annonce du projet de loi. Même si la brèche était contrainte et balisée, on se méfie! D’autant plus qu’au cours des dernières décennies, le Québec a somme toute réussi à freiner les diverses tentatives de privatisation de sa société d’État. Nous avons tous à l’esprit l’importance de la contribution d’Hydro-Québec aux recettes de l’État.
Le plan d’Ottawa
Or, le problème fondamental, passé jusqu’ici sous silence, a sa source à Ottawa. Le gouvernement Trudeau a annoncé et répété qu’il allait procéder à des investissements massifs pour réduire l’empreinte carbone de son économie. La somme dépasse les 80 milliards $ et est présentée comme une réponse aux initiatives américaines dans ce domaine.
Le plan fédéral soutient à coups de dizaines de milliards $ les usines de batteries en Ontario et, dans une moindre mesure, le projet de Northvolt au Québec. En vertu de ce plan, on finance, à coups de milliards $, des projets farfelus de stockage du carbone dans l’Ouest. On fait la promotion du nucléaire – notamment des petits réacteurs nucléaires pour soutenir l’exploitation accrue des sables bitumineux – de même que la fabrication d’hydrogène à partir des hydrocarbures de l’Ouest.
Une partie de ce plan est consacrée aux services publics comme Hydro-Québec, mais une partie est réservée aux projets de joueurs privés dans le domaine de l’électricité. La ministre des Finances a annoncé que les grands axes de son plan seraient révélés dans le budget du printemps et qu’ils représenteraient des dizaines de milliards de dollars.
Donc, si le Québec veut sa part du plan d’Ottawa, il devra jouer selon les règles définies par le voisin, soit la production privée d’électricité à partir de sources renouvelables. Comme dans le cas de l’usine Northvolt. On peut être pour ou contre, critiquer la manière dont cela est présenté, mais le problème fondamental demeure que c’est notre voisin qui nous dicte la façon de faire, avec nos taxes, nos impôts et un endettement public qui affectera notre portefeuille. Étant donné le rapport de force actuel, si on dit non, on ne reçoit pas notre part.
Avec le déséquilibre fiscal, la marge de manœuvre est à Ottawa. Alors que le Québec et les provinces peinent à offrir des services publics convenables, Ottawa en profitera pour définir les grands axes de développement qu’il souhaite pour le Canada. Nous allons être entraînés collectivement à soutenir les projets folichons de captage du carbone, le nucléaire qui va servir à la production d’hydrocarbure dans l’Ouest et, si on veut notre part du plan, les producteurs privés d’électricité. L’étape suivante, qui permettrait la vente d’électricité entre ces derniers, serait un arrimage qui découle essentiellement du plan fédéral. Il ne faut pas oublier que le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, était jusqu’à tout récemment sous-ministre des Finances à Ottawa et qu’il est spécialiste dans les partenariats public-privé.
Une fédération bancale
Dans une fédération qui fonctionne, la nation québécoise aurait pu encaisser l’enveloppe monétaire qui lui revient et décider elle-même de son utilisation. Ce n’est pas le cas. Le gouvernement du Québec est fatigué de se faire dire non, alors il choisit de se plier à la volonté du voisin. En fait, dans une fédération qui fonctionne, un tel déséquilibre fiscal n’existerait pas et le Québec bénéficierait d’une marge de manœuvre lui permettant de choisir ses propres axes de développement.
Nous sommes malheureusement bien loin de cette situation. Ottawa n’écoute tout simplement plus le Québec et se comporte comme le gouvernement central d’une union législative. Par exemple, pour la formation de la main-d’œuvre, il vient de découvrir le modèle allemand des tables des partenaires. Il en fait un projet de loi, ignorant qu’il a déjà cédé ce secteur au Québec, qui a mis en place un modèle qui fonctionne plutôt bien et lui-même inspiré du modèle allemand. Il aurait pu s’en inspirer, mais il choisit le dédoublement sans aucun arrimage.
Même chose avec l’assurance dentaire : même si le Québec a un programme pour les enfants, Ottawa a préféré le dédoubler au lieu de s’y arrimer. Pour le plan plus global qui va assurer une couverture aux aînés et aux enfants, il a choisi de sous-traiter le service à une multinationale de l’assurance, la Sun Life. Il est vrai que le fédéral a un manque d’expertise dans les services directs à la population, mais il aurait pu arrimer son projet avec le Québec, où l’assurance actuelle pour les enfants est gérée par le secteur public.
Bien que tout le monde reconnaisse la nécessité d’une couverture universelle pour les soins dentaires, il aurait été utile à tout le moins de posséder une évaluation globale des besoins en santé, compétence qui relève exclusivement de Québec. Mais cela n’aura vraisemblablement pas lieu. Ottawa vient encore une fois d’empiéter dans un champ de compétences qui n’est pas le sien, alors qu’il n’arrive pas à bien s’occuper de ses propres champs de compétence ou de financer adéquatement la santé à la hauteur de ses moyens.
Notre modèle de fédération provient d’un compromis visant un minimum de respect pour notre nation, mais il a constamment été attaqué. Cela montre l’impasse de l’approche autonomiste québécoise. Le Québec n’est plus respecté ni même écouté à Ottawa. Cela force le gouvernement autonomiste à Québec à délaisser son approche au profit de la centralisation, qui va à l’encontre de notre souveraineté, ne serait-ce que dans nos champs de compétence. Puisque le Canada anglais ne prend plus en compte la volonté de la nation québécoise, le seul choix qui nous reste est d’être gouverné par la nation voisine ou l’indépendance.
Un Québec souverain ne serait évidemment pas à l’abri des tentatives de privatisations de nos services publics ou de mauvaises décisions politiques. Mais, au moins, il ne serait plus à la remorque des décisions du voisin, comme celle de subventionner les producteurs privés d’électricité, menaçant ainsi directement le monopole d’Hydro-Québec.
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