Deux ans de guerre en Ukraine, deux ans de trop

2024/02/23 | Par Échec à la guerre

Jean Baillargeon, Martine Eloy, Mouloud Idir-Djerroud, Raymond Legault et Suzanne Loiselle cosignent ce texte au nom du collectif Échec à la guerre.

La guerre en Ukraine dure maintenant depuis deux ans, avec son cortège de morts (majoritairement militaires), de réfugiés, de destructions et de souffrances. C’est une guerre qui aurait pu et dû être évitée. Et c’est une guerre qu’il faudrait arrêter au plus vite, à la fois pour l’Ukraine et pour l’humanité.

Des jeux de puissance

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est clairement une agression illégale. L’occupation et l’annexion en septembre 2022 de quatre régions de l’est et du sud de l’Ukraine sont aussi illégales. Par ces actions, la Russie porte la responsabilité d’avoir accru considérablement l’échelle d’un conflit qui existait déjà : alors que la guerre civile en Ukraine avait fait environ 14 000 morts de 2014 à 2022, il y en aurait eu plus de 200 000 dans les deux dernières années.

Selon nous, l’invasion de la Russie n’a cependant pas été une agression « non provoquée », comme le Canada et ses alliés le répètent sans cesse. La Russie avait des motifs — de puissance et non de légitime défense — de considérer ses intérêts menacés.

D’une part, depuis plus de 20 ans, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’était étendue jusqu’à ses frontières en dépit d’assurances du contraire. D’autre part, les États-Unis et d’autres membres de l’OTAN, dont le Canada, se sont de plus en plus ingérés dans les affaires intérieures de l’Ukraine, immense pays voisin de la Russie où celle-ci continuait d’exercer une influence importante depuis son indépendance de l’URSS.

En 2008, l’annonce de l’ouverture de l’OTAN à l’adhésion de l’Ukraine a incarné le franchissement d’une « ligne rouge » aux yeux de la Russie. Puis, dans le contexte des protestations de Maïdan en 2014, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont favorisé l’arrivée au pouvoir en Ukraine de forces hostiles à la Russie. Des régions de l’Est ukrainien (Donetsk et Louhansk) ont fait sécession et une guerre civile a éclaté, menant aux accords de Minsk, en 2015, qui devaient mettre fin au conflit en accordant une large autonomie à ces régions.

Mais nous sommes d’avis que l’Ukraine et ses alliés de l’OTAN n’ont jamais eu l’intention d’appliquer ces accords, y voyant seulement une façon de gagner du temps pour préparer la reprise des territoires sécessionnistes par la force. Car, depuis deux ans, il est clair, par l’énormité de leur soutien économique et militaire à l’Ukraine — et par la propagande manichéenne qu’ils orchestrent —, que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN y mènent une guerre par procuration pour affaiblir la Russie, l’un de leurs grands rivaux stratégiques.

Une guerre qui a déjoué les prévisions

La guerre en Ukraine ne s’est pas déroulée selon les plans de l’Occident. L’effondrement espéré de l’économie de la Russie en raison des sanctions prises contre celle-ci ne s’est pas produit. Après leur impact initial, bien réel, la Russie a ainsi pu trouver d’autres débouchés pour ses ressources et accroître sa production militaire. À tel point qu’en 2023, elle a augmenté ses dépenses militaires à 6 % de son PIB et a connu une croissance économique de 2,2 %.

Un changement de régime en Russie, décrété comme nécessaire par l’Occident, ne s’est pas produit non plus. La rébellion d’Evgueni Prigojine et de son groupe Wagner, en juin 2023, n’aura d’ailleurs été qu’un feu de paille.

Finalement, la perspective d’une armée ukrainienne, équipée et entraînée par l’Occident, qui réussirait à reprendre les territoires occupés par la Russie à la faveur d’une grande contre-offensive ne s’est pas matérialisée non plus. Les lignes de front sont restées relativement fixes pendant des mois. Mais plusieurs analystes considèrent maintenant que la situation évolue à l’avantage de la Russie, qui dispose de beaucoup plus de troupes et de munitions. Aux dires même de l’Ukraine, son armée est actuellement dans une situation « extrêmement difficile ».

Ces échecs, combinés à des facteurs internes, dont la montée de l’extrême droite tant aux États-Unis qu’en Europe, commencent à fissurer l’édifice de l’appui total de l’Occident à la défense de l’Ukraine.

L’urgence de négocier maintenant !

Cette guerre aurait pu être évitée si les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN n’avaient pas refusé de négocier avec la Russie avant son invasion de l’Ukraine. Et, une fois déclenchée, elle aurait pu rapidement prendre fin si les négociations de paix de mars 2022, qui semblaient prometteuses, n’avaient pas avorté sous la possible influence de Londres et de Washington.

Quel sort connaîtra l’Ukraine si la guerre se poursuit dans des conditions qui lui sont de plus en plus défavorables sur le terrain ? Des millions de personnes qui demeureront en exil, encore plus de victimes, des infrastructures économiques et civiles de plus en plus détruites ? Et la perspective d’avoir à négocier avec la Russie dans un rapport de force encore plus déséquilibré ?

Renverser la situation en faveur de l’Ukraine exigerait des transferts de munitions beaucoup plus importants et d’armes beaucoup plus puissantes et sophistiquées, mais aussi de lui fournir des dizaines de milliers de soldats ! Un tel élargissement de la guerre pourrait nous conduire vers une collision frontale entre l’OTAN et la Russie, comportant l’énorme risque d’un affrontement qui devient nucléaire et emporte l’humanité entière. À poursuivre dans ce sens, c’est peu dire que l’Ukraine et le reste du monde ont beaucoup plus à perdre qu’à gagner !

Nous appelons donc à un cessez-le-feu et à des négociations immédiates recherchant à la fois une réponse mutuellement acceptable aux enjeux sécuritaires de l’Ukraine et de la Russie, ainsi que le respect de la souveraineté de l’Ukraine et des droits de ses minorités ethnoculturelles.

Nous appelons aussi les États-Unis, l’OTAN et la Russie à négocier, de toute urgence, de nouveaux traités de désarmement nucléaire.