Le Parti Québécois a mauvaise presse pour une partie de la gauche québécoise. Même son histoire ne mériterait plus le respect. Seule exception à la règle : Gérald Godin. Il est de mise d’évoquer sa personne à tout propos, même hors contexte.
Il serait le défenseur de la veuve et de l’orphelin, surtout s’ils sont immigrants. Il serait de gauche, surtout si on peut le récupérer pour une lutte qui n’a rien à voir avec les luttes de son époque. Il serait surtout l’antithèse du méchant « nationaleux » Jacques Parizeau, même si les deux étaient amis. La vérité est évidemment plus complexe.
Parmi les quelques clichés que l’on retient de sa vie et de son œuvre, il y a son poème « T’en souviens-tu, Godin? » Je me dis que l’interrogation devrait aujourd’hui être différente : de quel Godin te souviens-tu? C’est la question que je me suis posée en lisant Godin, l’« essai biographique » de Jonathan Livernois, publié chez Lux éditeur.
Une évolution rapide
Si l’ouvrage est intéressant et bien documenté, il manque régulièrement de contextualisation historique. Pour expliquer la rapide évolution de Godin, l’auteur dit par exemple : « Est-ce l’époque? Les effets de ce qu’on appellera la Révolution tranquille? » C’est tout. Et qu’a de particulier le cheminement de Godin? Livernois se contente de dire que « plusieurs font le même voyage à peu près en même temps que lui ». Pourquoi? On ne le sait pas.
Cette évolution, que Livernois situe entre 1959 et 1964, est impressionnante. De Trois-Rivières à Montréal en passant par Paris et d’autres grandes villes du monde, Godin change. De fédéraliste à indépendantiste (voire les deux à la fois alors qu’il écrit simultanément dans Parti pris et Cité libre), Godin semble davantage en faveur de la souveraineté-association que de l’indépendance complète.
De la poésie terne aux cantouques, de la langue des collèges classiques au joual, du bilinguisme à l’unilinguisme, tout en étant pour le « multiculturalisme en français », Godin est pour la loi 101 dans la mouture de Camille Laurin, mais y apporte des aménagements. Qu’est-ce qui explique les positions fluctuantes de Godin sur ces quelques exemples ? On ferme la biographie en ne le sachant pas : l’analyse sera pour une autre fois.
Quel fil relie la vie de Godin?
Ce qu’il manque le plus à l’interprétation de Livernois de la vie de Godin, c’est que l’on saisit mal quel est le fil qui relie les différents pans de sa vie. On voit mal ce qui guide Godin et ce que Livernois cherche à montrer. Bien sûr, la tentation d’unifier a posteriori une vie peut mener à des aberrations, mais l’inverse laisse une impression de flou. Si l’auteur affirme à quelques reprises que Godin n’est pas un poète égaré en politique, c’est bien peu pour « mesurer ce qu’un homme pèse de vie » (Godin).
En conclusion, Livernois affirme paradoxalement ceci : « Le discours critique du journaliste, poète et député a suivi un fil droit depuis ses débuts. D’une extraordinaire cohérence, sa pensée, ses sentiments, ses remises en question comme ses cris du cœur mettent depuis toujours de l’avant la dignité humaine. On y perçoit une confiance en l’humanité. » Mais encore? Il me semble que la biographie montre pourtant précisément que sa vie et son œuvre cherchent quelque chose, que Godin tergiverse, doute, tâche de se trouver, et ce, jusqu’à la fin de ses jours. Le poète en était conscient, lui qui se qualifiait de « radical-réaliste ».
Lors de sa démission du PQ à cause du « beau risque », Parizeau écrit à Godin qu’il admire « cette combinaison de fermeté et de tolérance intellectuelles » qui le caractérise. La formule résume bien son ambiguïté toute québécoise : ferme dans le principe, souple dans l’application. C’est sûrement pour cela qu’il plaît tant à notre mémoire collective : il est notre ambivalence en actes.
Duplessisme de gauche?
Godin affirmera toute sa vie qu’il est d’abord indépendantiste, puis de gauche. Paradoxalement, Livernois invente une expression qui met d’abord le progressisme – et le conservatisme !?! – de Godin de l’avant : un « duplessisme de gauche ». Pour comprendre cette expression, il faut revenir aux livres précédents de Livernois, qui s’échine à montrer que la « permanence tranquille » parcourt l’histoire du Québec. Entre le Québec de Duplessis et la Révolution tranquille, affirma-t-il dans La révolution dans l’ordre (Boréal), il n’y aurait pas eu de césure importante, mais « rupture dans la continuité ».
L’auteur y revient: « Trois-Rivières a engendré un jeune homme conservateur qui est devenu en quelques années un jeune homme de gauche. Or, cette transformation a lieu sans que celui-ci renie ses origines, bien au contraire. Et c’est peut-être même l’équilibre entre ces deux dimensions de son être qui donne de la consistance à ses valeurs. Il est là, le nœud du récit de la vie de Gérard Godin. » Un peu plus et Livernois nous dit que Godin est devenu de gauche presque sans s’en rendre compte, comme il affirmait dans son essai précédent que le Québec était devenu plus progressiste à compter de 1960 sans trop s’en apercevoir.
L’auteur qualifie Godin de « bleu », qu’il définit de la sorte : un Canadien français qui a un « attachement aux questions terre à terre, à une vision de la politique moins idéologique que pragmatique, un attachement, aussi, aux mœurs et à l’ingéniosité populaires ». Il a raison de rappeler que Godin appréciait le « parler-vrai » des conservateurs, s’en prenait aux intellectuels déracinés vivant « à l’heure de Paris » et voyait la nécessité de « s’ancrer dans le réel » tant en poésie qu’en politique, s’éloignant des doctrines et de l’abstraction. C’est pourquoi l’utilisation de l’histoire était une arme utile au combat politique mené par Godin.
Dans une formule plus heureuse, Livernois affirme que Godin était pour une « gauche enracinée ». Mais pourquoi avoir besoin du mot « duplessisme » pour expliquer une réalité bien simple, que l’on retrouve aussi chez Miron, Perrault, Julien et tant d’autres? Ils n’ont pas renié leur appartenance au Québec tout en étant de gauche, même si cela peut sembler impossible pour une certaine gauche actuellement?
Un Godin moins consensuel qu’on le dit
Livernois n’élude pas les côtés plus sombres, moins consensuels de Godin, mais on dirait qu’ils disparaissent parfois de son appréciation globale. « Saint Gérald », comme on commence à le nommer au moment de sa triste maladie dégénérative, n’était pas aussi saint que nos valeurs actuelles l’exigeraient.
Lui qui avait déjà affirmé que les syndicalistes comme Michel Chartrand étaient ses héros dira en 1980 que les syndicats font du « patronage à l’envers ». Godin a d’ailleurs été l’un des plus fervents partisans d’une loi spéciale et d’une position très ferme contre les employés de l’État en 1983.
Si Godin était à juste titre très ouvert à l’immigration et cherchait à tisser des liens étroits entre les communautés du Québec, ses intentions étaient claires, comme il le disait en 1966 : « Les immigrants ont subi l’histoire et ils s’en méfient. Ils ont raison, mais qu’ils ne demandent pas aux Québécois d’abdiquer leur propre Histoire. En d’autres termes, qu’ils deviennent eux-mêmes Québécois et qu’ils le fassent avec nous. »
Livernois rappelle à raison que, lors du référendum sur Charlottetown, peu de membres des communautés culturelles ont voté pour un statut particulier pour le Québec (entre 1 et 18%, selon les communautés) : « Godin a beau avoir été élu dans Mercier par trois fois, être reconnu par les communautés culturelles, le projet national ne passe pas. » Alors, quand on nous dit que la voix à suivre est celle de Godin, il faut d’abord constater qu’elle n’était pas suffisante. La « méthode Godin » est un point de départ, pas un point d’arrivée.
De quel Godin se souvient-on exactement, donc?