L’auteur est président du Mouvement laïque québécois
À la surprise générale et après 16 mois de réflexion, la Cour d’appel a rendu un jugement unanime reconnaissant la validité constitutionnelle de la Loi sur la laïcité de l’État. Au Mouvement laïque québécois, nous ne bouderons pas notre plaisir. Mais il faut reconnaitre que le jugement ne porte, dans sa majeure partie, que sur la conformité de l’usage de la clause dérogatoire, mieux nommée clause de souveraineté parlementaire.
La position que nous avons défendue, tant devant la Cour supérieure que devant la Cour d’appel, était qu’à notre avis la loi 21 ne nécessitait pas le recours à cette clause, sinon pour accorder, aux employés déjà en poste au moment de l’adoption de la loi et qui portaient un signe religieux, le privilège de continuer à le porter. Puisque cette pratique va à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la loi, leur reconnaitre ce privilège nécessite une dérogation à la loi.
Le fond de notre argument repose sur le jugement unanime de la Cour suprême du Canada dans la cause MLQ contre Saguenay. C’est dans ce jugement que nous trouvons la définition la plus exhaustive de la neutralité religieuse de l’État jamais avancée par les tribunaux canadiens et des obligations qu’entraine cette neutralité. En voici un extrait majeur:
« L’objectif de la neutralité est de faire en sorte que l’État demeure ― en fait et en apparence ― ouvert à tous les points de vue, sans égard à leur fondement spirituel. […] la neutralité réelle exige que l’État ne favorise ni ne défavorise aucune religion et s’abstienne de prendre position sur ce sujet. Or, même ‘’inclusive’’, une pratique religieuse étatique risque néanmoins d’exclure les incroyants; sa conformité avec la Charte québécoise ne dépend pas de son degré d’inclusion, mais de son caractère exclusif et de ses effets sur la capacité du plaignant d’agir en conformité avec ses croyances. »
Toujours selon la Cour suprême, il y a atteinte à la liberté de conscience et de religion lorsque « l’État ou ses représentants, dans l’exercice de leurs fonctions, se livrent à une pratique qui contrevient à son obligation de neutralité ».
Ce jugement portait sur la récitation d’une prière à l’ouverture des assemblées publiques du conseil municipal de Saguenay, mais toutes les considérations peuvent aussi s’appliquer au port de signes religieux. Le port de tels signes a en effet été associé à une pratique religieuse par les opposants à la loi 21 et les enseignants ont été reconnus comme des représentants de l’État par les diverses cours qui se sont penchées sur la question.
Ce jugement nous parait suffisamment clair, limpide et incontestable pour légitimer l’interdit du port de signes religieux par les représentants de l’État sans nécessiter le recours à la clause de dérogation dans une loi qui ne fait que mettre en œuvre le jugement en question.
C’est d’ailleurs sur cette exigence de neutralité « en fait et en apparence » que repose la Loi sur la laïcité de l’État. Son article 3 stipule que « dans le cadre de leur mission, les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent l’ensemble des principes [de la laïcité] en fait et en apparence ».
Mais puisque la loi 21 a recouru à la clause de dérogation avant même qu’ait été examinée la question des balises imposées à la pratique religieuse par les représentants de l’État, la Cour d’appel a jugé qu’elle ne pouvait se prononcer sur le bienfondé de ces balises. Ce débat reste donc à faire.
Une contradiction manifeste
Nous notons toutefois que la Cour d’appel retient l’obligation de neutralité religieuse telle qu’avancée par la Cour suprême lorsqu’elle affirme que cette neutralité « impose à l’État le respect, en toute égalité, de la liberté de religion des individus, mais l’empêche en même temps de se livrer à une pratique religieuse, d’adopter ou de favoriser une croyance, y compris par l’intermédiaire de ses représentants ».
Par contre, nous considérons que la Cour d’appel a erré en invalidant les dispositions de la loi 21 qui interdisent aux députées de l’Assemblée nationale le port de vêtements religieux tels que le niqab ou la burqa qui masquent le visage. Ici, la Cour nage en pleine contradiction. D’une part, elle refuse de se pencher sur le bienfondé de la loi en raison du recours à la clause dérogatoire, mais elle juge que l’obligation d’avoir le visage découvert va à l’encontre de la liberté de religion des représentants de l’État.
Non seulement il y a contradiction manifeste mais la Cour d’appel oublie une autre clarification apportée par la Cour suprême: « L’État, faut-il le préciser, n’a pas de liberté de croire ou de manifester une croyance; le respect de son obligation de neutralité n’implique pas d’exercice de conciliation des droits », affirme la Cour suprême, toujours dans le jugement MLQ contre Saguenay.
Autrement dit, l’État et ses représentants sont religieusement neutres et cette neutralité n’a pas à être pondérée en raison des croyances religieuses de quiconque. Nous croyons qu’il y a matière à contestation de cette partie du jugement de la part du gouvernement du Québec.
Ceci dit, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que la Cour d’appel a corrigé l’élément le plus contestable et dommageable du jugement Blanchard qui, au nom de la culture, exemptait les commissions scolaires anglophones du respect de la laïcité de l’État. Cela aurait eu pour effet de priver les élèves de ces établissements de leur droit à des écoles respectueuses de leur liberté de conscience. La Cour d’appel lui a servi une leçon de « culture 101 » en lui expliquant, entre autres rectifications, les différences élémentaires entre langue, culture et religion.
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