Le décès de Brian Mulroney a donné lieu à un concert d’éloges. Que les fédéralistes et les milieux d’affaires l’encensent, c’est de bonne guerre. Mais que des progressistes et des indépendantistes s’invitent dans la chorale est désespérant. Nos repères sont-ils perdus? A-t-on oublié que Mulroney formait avec Thatcher et Reagan le trio néolibéral par excellence? Qu’il a, à deux reprises, avec les accords du lac Meech et de Charlottetown, voulu cadenasser le Québec dans la Constitution canadienne? A-t-on oublié les raisons pour lesquelles le Québec a toujours rejeté cette Constitution, sa Charte des droits, son multiculturalisme?
Sur le front social, le gouvernement néolibéral de Brian Mulroney a procédé à vingtaine de privatisations de sociétés de la Couronne, dont Air Canada et le Canadien National. Il a instauré la TPS, une taxe régressive, tenté de criminaliser l’avortement. Il a massacré les programmes d’assurance-chômage et du logement social.
L’assurance-chômage
La loi adoptée par son gouvernement au mois de novembre 1990 impliquait une diminution de la période de prestations, augmentait le nombre de semaines requises pour être admissibles, allongeait la période d’exclusion pour motifs de fin d’emploi jugés non valides, avec une réduction à 50% du taux de prestation.
Le gouvernement Mulroney s’est aussi retiré du financement du programme d’assurance-chômage. La contribution fédérale avait toujours représenté environ 20% du financement du régime. Le compte affichait alors un surplus d’environ deux milliards de dollars. En moins de quatre ans, il deviendra déficitaire.
En 1993, nouveau coup de massue. Ceux qui quittaient leur emploi sans raison valable prévue par la loi, ou qui étaient congédiés pour inconduite, étaient complètement exclus des prestations régulières de chômage. Des centaines de milliers de personnes ont alors été exclues du programme. De plus, le taux de prestations accordé passait de 60% à 57%. (1)
Le logement social
Le logement était aussi dans le collimateur. En décembre 1985, le ministre Bill McKnight annonce ses « Orientations nationales de la politique du logement ». Dorénavant, les programmes d’habitation s’adresseront exclusivement aux ménages ayant des besoins impérieux de logement. Des personnes et des familles ayant des revenus de travail en sont exclues parce que leur salaire, pourtant modeste, est considéré comme trop élevé. Le supplément au loyer privé, octroyé jusque là à une faible échelle, prend de l’importance. Il remplace en partie la construction de HLM par la location de logements vacants de propriétaires privés qui sont subventionnés pour ce faire.
En 1990, le gouvernement Mulroney réduit de 15% les sommes allouées au logement social. Le FRAPRU évaluera à 10 000 le nombre de logements sociaux ainsi perdus. En 1993, il annonce qu’à partir de 1994, Ottawa se retirera totalement du financement de nouveaux logements sociaux. (2)
L’environnement
Au plan économique et politique, Mulroney a procédé, avec l’accord de libre-échange, à l’intégration du Canada aux États-Unis (voir l’article Mulroney et les trois accords). Au plan environnemental, on porte à son crédit les traités sur les pluies acides et la couche d’ozone, mais à son discrédit l’augmentation de l’exploitation pétrolière. Une clause du traité de libre-échange prévoyait même qu’en cas de pénurie, le pétrole coulerait prioritairement vers les États-Unis plutôt que vers les provinces canadiennes. Une autre clause autorisait les entreprises à poursuivre les gouvernements.
La politique étrangère
Mulroney a été le fidèle lieutenant de Bush père en entrainant le Canada dans la première Guerre du Golfe, un tournant dans la politique extérieure du Canada. Bien sûr, il a milité pour mettre fin à l’apartheid. Concédons-lui cela. Mais, cela n’aurait pu survenir sans la chute du Mur de Berlin deux ans auparavant.
Corruption et éthique
Son gouvernement a été un des plus corrompus de l’histoire du Canada. Douze de ses ministres ont été forcés de démissionner. La Commission Olifant a jugé qu’il avait enfreint son propre code d’éthique en acceptant le paiement en argent comptant de Karlheinz Schreiber de 225 000 $ selon Mulroney ou de 300 000 $ selon Schreiber.
Le lac Meech
Dès l’adoption de l’Accord du lac Meech en 1987, toutes les organisations syndicales, nationalistes et même le Parti Québécois de Pierre-Marc Johnson se sont prononcés contre! À cette occasion L’aut’journal a publié un numéro spécial tiré à 50 000 exemplaires avec leurs déclarations respectives.
Que les interventions du clan Trudeau soient responsables de l’échec de Meech ne signifie pas que l’Accord était profitable pour le Québec. Que Parizeau ait déclaré quelque temps avant son rejet qu’il aurait aimé tester devant les tribunaux l’étendue de clause sur la « société distincte » n’était pas une approbation. En vieux renard, Parizeau a fait cette déclaration pour jeter le trouble dans les rangs fédéralistes. Si Parizeau y trouve des avantages, cela doit être mauvais, se sont dit les fédéralistes.
Fondamentalement, on oublie l’essentiel. Meech signifiait l’adhésion du Québec dans la Constitution canadienne ! Et même dans « l’honneur et l’enthousiasme » ! C’était une position indéfendable par des indépendantistes. Son approbation les inscrivait dans la lignée des réformistes de l’Acte d’Union, des partisans de la Confédération, des Lafontaine et George-Étienne Cartier. Pas dans celle de Papineau!
Le concept de « société distincte » était un os à ronger jeté aux nationalistes québécois et une bonne frange d’entre eux s’y est appliquée, tout comme les générations nationalistes précédentes l’avaient fait avec le mythe du « pacte entre deux nations ».
En fait, la « société distincte » a remplacé le « pacte entre deux nations », devenu non crédible avec la réduction du poids démographique du Québec dans le Canada et le remplacement du concept de « Canadiens français » par celui de « Québécois ».
Charlottetown
L’échec de Meech n’a pas mis fin aux efforts de Mulroney pour encarcaner le Québec dans la Constitution canadienne. Il a été suivi par l’Accord de Charlottetown, heureusement rejeté par le Québec, lors d’un référendum. L’Accord avait pour objectif d’éviter la tenue d’un référendum sur l’indépendance, comme le premier ministre Bourassa s’y était engagé à la fin des travaux de la Commission Bélanger-Campeau, à moins que soient présentées au Québec de nouvelles offres constitutionnelles fédérales.
Donc, par deux fois, Mulroney a tenté de forcer l’adhésion du Québec à la Constitution canadienne. Comment des indépendantistes peuvent-ils aujourd’hui célébrer sa mémoire !?
(1) Source : Pierre Céré, Les Pots cassés, Une histoire de l’assurance-chômage. Somme toute, 2020
(2) Source : François Saillant, Dans la rue. Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec, Écosociété, 2024