L’auteur est syndicaliste
Avec le printemps viennent le beau temps et les budgets gouvernementaux. Nous avons eu droit à celui du gouvernement Legault, avec un déficit prévu de onze milliards pour l’année 2024-25. Toute une débarque pour un gouvernement qui nous promettait une bonne gestion des finances publiques et qui se targue d’être dirigé par des comptables.
Depuis le dépôt du budget, nos bons analystes de droite s’en donnent à cœur joie. D'abord, ils nous font part de leur stupéfaction : «C’est du jamais vu!» « Je ne me serais jamais attendu à un tel déficit! » Ensuite, ils nous montrent à quel point il faut prendre la chose au sérieux. « Il va falloir couper dans le gras. » «La récréation est terminée.» J’ai même entendu un « Quand on n’a plus les moyens d’aller dans le sud, il faut rester chez nous. »
Finalement, dans les semaines et mois à venir, ils ne rateront pas une occasion de sortir du placard leurs bonnes vieilles solutions miracles : « La fonction publique est trop lourde, il faut couper! » « Ça n’a pas d’allure qu’un contribuable paie un régime de retraite aux fonctionnaires quand il n’en a pas un à son travail. » Et la solution ultime qui règle tout : « Il faut privatiser pour créer de la concurrence, de cette façon les prix vont diminuer. »
De beaux arguments et de belles solutions qui nous ont été servis et appliquées au Québec au cours des années 1990-2000 avec pour trame de fond la sacro-sainte atteinte du déficit zéro. Rappelons-nous du résultat : au lieu du règlement des problèmes tel que promis, nous avons eu droit à des années d’austérité budgétaire, la dégradation de nos services publics et un besoin criant de réinvestissements dans ces services, qu’heureusement le gouvernement Legault a commencé à faire.
De l’ «optimisation» au Déficit zéro
Je ne crois pas qu’il faille prendre à la légère l’annonce d’un déficit de l’ampleur de celui présenté par le ministre Girard. Cependant, il ne faudrait pas retomber dans le mélodrame favori de nos analystes et tenants de la droite économique.
Pour ma part, j’attends le plan du retour à l’équilibre budgétaire que la CAQ compte présenter l’année prochaine et les mesures « d’optimisation du fonctionnement de l’État », que le gouvernement veut appliquer afin de récupérer de l’argent.
Il est à souhaiter que cette « optimisation » ne soit pas un autre mot qui s’ajoute à la longue liste des synonymes du mot « couper », comme le sont «austérité, rigueur, coupures dans le gras, rationalisation, gouvernance responsable, gros bon sens», et j’en passe.
Je me demande si le plan de retour à l’équilibre budgétaire ne sera pas finalement qu’une version 2025 du sacro-saint retour au déficit zéro des années 1990. Je crains que la tentation soit forte pour M. Legault d’aller dans ce sens, surtout si les discours de droite portent fruit.
Il ne faut pas oublier que 2025 sera une année préélectorale. La droite tentera probablement de mobiliser l’opinion publique à coups de « Il faut vivre selon nos moyens », et à comparer les finances publiques à un budget familial avec des raccourcis intellectuels comme de comparer la dette du Québec à une hypothèque ou encore le financement des programmes sociaux à une personne qui paie son épicerie avec sa carte de crédit.
Une fausse analogie
Établir une analogie entre les finances publiques et un budget familial est un procédé douteux. Un budget familial est composé en partie de dépenses que l’on peut – même si ce n’est pas souhaitable – réduire et même éliminer lorsque nécessaire. Par exemple, les sorties au resto, le cinéma, les activités culturelles et les voyages. On peut même retarder l’achat de biens tels que les meubles ou une auto sans grandes répercussions. Nous avons également des dépenses (se nourrir ou se loger) qui, elles, ne peuvent être retardées ou éliminées sans graves conséquences.
Un État n’a pas de dépenses qui peuvent être réduites ou éliminées sans conséquence. Une réduction de dépenses dans les services publics entraîne toujours une détérioration de services ou pire encore, une coupure de services.
Qui peut se passer des services de santé et des services sociaux, de l’éducation ou encore de l’entretien de nos infrastructures? Quelle serait la conséquence pour les banques alimentaires et leurs usagers d’une diminution de leur financement de la part du gouvernement? Quelle serait la conséquence pour les personnes âgées de ne plus investir dans le maintien à domicile?
Les dépenses d’un gouvernement n’existent pas pour offrir un traitement de luxe à la population, comme veulent nous le faire croire nos bons amis de la droite. Ce sont des dépenses qui servent à offrir des services nécessaires aux citoyennes et aux citoyens.
Le gouvernement doit aussi se soucier du développement économique. Les coupures ou l’abandon d’investissements en développement économique ne sont pas sans conséquence. Si ces choix ne sont pas faits de façon judicieuse, ils peuvent nuire à l’emploi et aux finances publiques.
Pour une saine gestion des fonds publics
Je ne prétends pas qu’il faille pomper de l’argent sans compter dans tous les services publics. Au contraire, il faut regarder et faire attention à la façon dont l’argent public est dépensé. Ce que je dis, c’est que la gestion des finances publiques ne se fait pas à coups de solutions simplistes comme les porte-voix de la droite tentent de nous le faire croire.
Nous avons une dette ou un déficit. Leur solution est simple : le gouvernement n’a qu’à couper dans le gras! De la même façon que les payeurs de taxes le font en coupant dans les sorties au resto ou au cinéma.
Éliminer ou réduire l’accessibilité à un programme social en le sous-finançant ne fait pas disparaitre les besoins de la population pour les services offerts par ce programme. Suspendre la création de places en CPE ne fait pas disparaitre le besoin de services de garde de qualité et abordables pour les familles. Réduire le financement du maintien à domicile des personnes âgées ne fait pas disparaitre sa nécessité. Le sous-financement de nos infrastructures ne fera pas en sorte qu’elles vont durer plus longtemps.
L’idée de privatiser nos services publics est encore pire. La privatisation s’attaque au principe même de l’égalité des chances, entre autres, devant la maladie, l’accès à une éducation de qualité, à un service de garde de qualité pour nos enfants et de vivre dignement. La privatisation réserve l’accès aux services publics aux mieux nantis et marginalise le reste de la population, souvent celles et ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin.
Je souhaite ardemment que l’optimisation du fonctionnement de l’État ait pour objectif l’optimisation du maintien et de l’accessibilité aux services publics. Que le plan pour le retour à l’équilibre budgétaire en soit un où les réductions d’impôt, la privatisation et le désinvestissement de l’État ne sont pas envisagés comme solutions.
Qu’un large dialogue social soit instauré sur la meilleure façon de maintenir des finances publiques saines, tout en s’assurant que tous les contribuables paient leur juste part d’impôt, incluant les entreprises.
Monsieur Legault, avec la super majorité que le peuple québécois vous a consentie, vous avez la possibilité de démontrer que vous pouvez faire les choses différemment que de nous dire ce qui est bon pour nous sans nous consulter. Saisissez-la!
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