Canadian democracy !

2024/04/10 | Par Michel Rioux

Ces derniers jours, une relecture des lettres aux journaux de Jacques Ferron, un texte de Denis Monière dans l’Action nationale sur la surveillance, à la demande d’Ottawa, des étudiants québécois en France dans les années 1960, et une lettre au Devoir dans laquelle l’auteur soulignait les bévues du Service de renseignement et de sécurité (SCRS) dans l’affaire des agents chinois m’ont rappelé qu’il y a eu, et qu’il y a encore, à Ottawa, des préposés aux basses œuvres qui veillent sur la démocratie. Leur démocratie, bien sûr.

La toile de fond demeure toujours la même volonté : étouffer le nationalisme québécois.

L’ont-ils assez écrit? L’ont-ils assez clamé à tout vent? L’ont-ils assez crié, sur toutes les tribunes, que le nationalisme québécois était quelque chose s’apparentant à un crime contre l’humanité? Mais qu’au contraire, le fédéralisme canadien demeurait hors de tout doute le meilleur rempart dans la protection des droits et des libertés! Droits et libertés qui – les nationalistes québécois étant ce qu’ils sont, tarés au départ et frappés d’un vice congénital qui les rendrait allergiques à la démocratie – ne manqueraient pas d’être mis à mal dans une république qu’on aurait la négligence d’abandonner à leurs bas instincts.

Intéressant de relire Ferron, qui nous rappelle que le 19 décembre 1969, dix mois donc avant les Évènements d’octobre, mais six semaines après une manifestation monstre à Québec à la défense de la langue française, le cabinet Trudeau demandait à la GRC de se livrer à une série d’opérations illégales. Tellement illégales que c’est le patron de la GRC, Len Higgitt, qui s’est chargé de défendre quelques valeurs démocratiques de base.

Le 5 janvier suivant, le cabinet entendait une longue tirade de Trudeau sur la nécessité de lancer des opérations secrètes contre les indépendantistes. Un comité était alors formé, dirigé par l’éminence grise Marc Lalonde. Le patron des services secrets, John Starnes, avouait vingt ans plus tard qu’à l’époque, il avait trouvé cela un peu fort de café.

Dans son édition du 23 décembre 1971, le Globe & Mail faisait état d’une réunion du cabinet fédéral tenue le 7 mai 1970 où avait déjà été évoquée la possibilité de recourir à la Loi sur les mesures de guerre. C’était une semaine après les élections québécoises du 29 avril dans lesquelles le PQ avait récolté 24 % des voix. Le 20 juin 1972, l’Intelligence and Security Section de la Force Mobil Command de la Canadian Army publiait un document sur la CSN classé Secret/Canadian Eyes Only. Votre humble serviteur faisait partie de la liste des dangereux révolutionnaires…

Dans ces heures glorieuses du fédéralisme canadian, à la demande directe du chef de l’État, des centaines d’agents sont partis dans l’ombre dynamiter, provoquer, espionner, délater, vendre, abuser, incendier. Des agents du type Marc-André Boivin qu’on a vu à l’oeuvre dans le conflit du Manoir Richelieu… Pleureuse de service, Gérard Pelletier, qui siégeait à ce cabinet où le vol de la liste des membres d’un parti démocratique fut décidé, n’en écrivait pas moins en mars 1971 : « Aucune explication, si longue et si minutieuse qu’elle soit, ne saurait épuiser le sens de la crise d’octobre. »

Plus cynique que ça…

Avouant dix ans plus tard qu’il « est à peu près impossible de faire la preuve d’une conspiration gouvernementale », Ferron rappelait cependant qu’il avait fallu seize ans au Sinn Féin irlandais avant de découvrir que son principal stratège était en réalité un… agent britannique.

Provocateurs. Agitateurs. Hypocrites. Des bums en smoking. Des rats de ville.

Qui ont mis sur pied et financé la plus formidable industrie d’infiltration, de délation, de suspicion, de violence organisée, de chantage. Œuvre de rats des champs.

Cinquante ans plus tard, nous en savons un peu plus. Mais il en reste encore à découvrir. Le 5 novembre 1971, Claude Ryan terminait ainsi un éditorial : « L’histoire dira dans quelques années où furent, dans cette affaire, les alliés les plus efficaces de la violence… »

En 1964, pourfendant une fois de plus ce qu’il nommait d’un souverain mépris « la tribu », Trudeau se projetait lui-même. « Ils déclarent aux journaux que désormais ils entreront dans la clandestinité. Ces terroristes terrorisés seront dirigés par un Monsieur X. Et, dans une courageuse unanimité, ils sèmeront leurs idées, en attendant de placer leurs bombes. »

Un prophète, Trudeau, qui avait vu tout ça six ans avant tout le monde…

Tant que le Québec voudra se faire entendre, il y aura des préposés aux basses œuvres à Ottawa. Vous croyez que cette époque est révolue? L’affaire des commandites, ça ne vous dit rien?