Mathieu Bock-Côté et l’impôt

2024/05/03 | Par Pierre Dubuc

Au fil des ans et dans une multitude de chroniques, Mathieu Bock-Côté s’est distingué en tapant toujours sur le même clou : le multiculturalisme et ses avatars. Il semble, depuis quelque temps, avoir compris qu’au risque de fatiguer son lectorat, il devait élargir la palette de ses interventions.

Il s’est donc donné une nouvelle mission dans ses chroniques du Journal de Montréal et du Figaro en France : s’attaquer à l’État-providence et à l’impôt. D’où le titre de sa chronique du 27 avril 2024 dans Le Figaro : « Payer ses impôts est-il vraiment un acte civique ? »

Selon lui, « les classes moyennes voient le fruit de leur travail confisqué », « le commun des mortels est victime de persécution fiscale », « l’homme ordinaire est victime de braquage fiscal ».

Mais le véritable problème est le « socialisme », car bien qu’il se soit « effondré en 1989 », les « sociétés occidentales ont néanmoins intégré dans leur fonctionnement la logique socialiste avec l’État-providence ». L’État-providence ne viserait « pas seulement à assurer la mise en place de services publics comme la santé et l’éducation, mais soumettait la société aux principes et méthodes d’une ingénierie sociale sans fin ».

Pour MBC, la redistribution par l’entremise de l’État-providence n’est pas synonyme de solidarité sociale, mais de « l’art de chaparder le bien de son prochain sous un autre nom ». Il identifie correctement cette redistribution comme étant « une lutte des classes invisible », mais il prend carrément parti pour ceux « qui produisent de la richesse », un euphémisme pour les capitalistes, contre « ceux qui dépendent de l’argent public pour fonctionner », c’est-à-dire les classes populaires, mais surtout la classe moyenne, principale bénéficiaire de ce transfert de richesses.

Il faudrait donc, selon lui, « sortir ce socialisme », « remettre en question le fonctionnement du système » pour laisser libre cours au marché. On reconnaît ici le discours néo-libéral classique, dans sa version libertarienne.

MBC se tire dans le pied

C’est un discours « contre-productif » pour quelqu’un qui se proclame indépendantiste. D’abord, le néolibéralisme, dont il se fait le promoteur, remet en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché, ce qui inclut la nation. Le néolibéralisme affaiblit les identités nationales au profit d’identités multiples, fondées sur le genre, l’ethnie, l’appartenance religieuse, l’orientation sexuelle, etc., un phénomène que, par ailleurs, MBC pourfend ! Comprenne qui pourra !

D’autre part, dans un livre récemment paru sous le titre La question nationale, une question sociale (Liber), Michel Roche démontre que l’État-providence renforce le sentiment d’appartenance à la nation. « La solidarité qui fonde le projet même de la sécurité sociale trouve son sens dans une commune appartenance à un monde et à une histoire », écrit-il. MBC y voit de l’« ingénierie sociale » à proscrire. De toute évidence, il serait plutôt partisan d’une « réingénierie » à la Jean Charest.

De plus, comme Roche le souligne, « les politiques sociales constituent un champ de bataille au sujet de la question nationale et le gouvernement fédéral l’a fort bien compris ». Ottawa réduit les transferts aux provinces et envahit leurs champs de compétence pour marquer sa présence dans différents secteurs d’activité où l’aide de l’État est nécessaire (prestations pour enfants, soins dentaires, assurance médicaments, soutien à domicile, logement, pour ne mentionner que les plus récentes interventions).

On renforce ainsi l’identification à l’État fédéral tout en réduisant celle à l’État québécois. « Les politiques publiques jouent un rôle important dans les questions identitaires et, au-delà, dans la bataille entre fédéralistes et indépendantistes », conclut Michel Roche.

Cela Jacques Parizeau l’avait compris. À la veille du référendum, il a répondu à la Marche des femmes en leur promettant l’équité salariale. Puis, il a réuni toutes les organisations syndicales, populaires, féministes et nationalistes dans Partenaires pour la souveraineté.

Cela Lucien Bouchard ne l’avait pas compris. Il a répondu à la Marche mondiale des femmes en leur lançant un maigre dix sous d’augmentation du salaire minimum, ce qui a conduit Françoise David à fonder Option citoyenne qui sera une des constituantes de Québec solidaire. De plus, en réponse aux pressions réelles (ou imaginées, selon Parizeau) de Wall Street, Bouchard a convoqué le Sommet du Déficit zéro, qui a mené à la dissolution des Partenaires pour la souveraineté.

Pour relancer le mouvement indépendantiste, rebâtir la coalition sociale et nationale qui a mené en 1995 aux portes de l’indépendance, il faut donc réhabiliter le rôle de l’État, alors que MBC le dénigre.

MBC se tire dans l’autre pied

En France, Mathieu Bock-Côté se fait le pourfendeur de l’islamisme. Là encore, il se tire dans le pied. Dans leur livre Les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir (Odile Jacob, 2024), qui analyse les événements survenus en Égypte et en Tunisie au cours du « printemps arabe », Sarah Ben Néfissa et Pierre Vermeren montrent que le pouvoir organisationnel et social des islamistes réside dans leur contrôle des activités d’aide sociale des multiples organismes gravitant autour des mosquées.

Ils expliquent ainsi la victoire électorale de Mohamed Morsi et des Frères musulmans en Égypte lors de l’élection présidentielle qui suit le « printemps arabe » de 2011 : « L’expérience égyptienne est d’une importance capitale pour comprendre la signification du vote en faveur des Frères musulmans et les particularités de leur clientélisme électoral, à travers les associations de bienfaisance et leurs services sociaux et médicaux. L’abandon par l’État égyptien de bon nombre de ses fonctions sociales et le laisser-faire accordé aux Frères musulmans par le régime égyptien leur a permis de se constituer des bases sociales et des clientèles locales qui parvinrent à concurrencer le clientélisme du PND (le grand parti égyptien social-démocrate) ».

Ils poursuivent : « Le vote frériste a donc une double dimension. Une dimension de choix politique et idéologique pour l’islam et la religion, et une dimension clientéliste de remerciement pour ceux qui donnent, éduquent, soignent et pratiquent la bienfaisance sociale. »

En Égypte, les Frères musulmans contrôlaient « plus de six mille mosquées et quatre cent cinquante-sept filiales et bureaux répartis sur tout le territoire égyptien. Une majorité de ces structures disposaient de ce que l’on dénomme en Égypte des ‘‘complexes islamiques’’, à savoir ces mosquées disposant de bâtiments abritant des écoles, des dispensaires, des cliniques, des salles de cérémonie et dispensant des cours d’apprentissage du Coran, des cours de langues et de soutien scolaire, de formation professionnelle ainsi que d’autres services sociaux pour leur environnement immédiat. Ce type de structure était fondamental pour les conquêtes électorales des Frères musulmans, afin d’élargir leur clientélisme politique. »

Tout cela devrait être d’une éblouissante évidence pour un supposé féru d’histoire comme MBC. C’était la situation du Québec d’avant les années 1960. L’Église contrôlait l’éducation, la santé et les services sociaux, en vertu de l’entente avec le colonisateur britannique au lendemain de la défaite des Patriotes et reconduite par la suite avec la classe dirigeante canadienne-anglaise.

L’avènement de l’État-providence dans le cadre de la Révolution tranquille a mis fin à cette domination de l’Église catholique, entraînant la fin de la politique de soumission et de bonne entente avec le Canada anglais valorisée par l’Église et l’émergence du mouvement indépendantiste.

Si MBC voulait véritablement combattre l’islamisme, il appuierait l’élargissement de l’intervention de l’État-providence et non son rétrécissement, car le néolibéralisme et l’islamisme constituent les deux faces de la même pièce de monnaie. Mais tel n’est pas son but. Il fait « son pain et son beurre » – c’est le cas de le dire – avec ses dénonciations du contrôle des banlieues françaises par les islamistes.

En fait, il ne faut peut-être pas chercher plus loin les motifs de son opposition à l’impôt. MBC est grassement payé pour ses multiples prestations dans les médias français et québécois. Alors, contribuer par ses impôts à la solidarité sociale et nationale ne fait pas partie de son bréviaire !