Avec son dernier budget, Ottawa lance une fronde sans précédent contre le Québec et les pouvoirs des provinces. On l’avait vu venir durant la séance d’effeuillage précédant le budget, où Justin Trudeau, digne héritier de son paternel, est allé clamer que les gens s’en foutent des champs de compétences. Si Ottawa a toujours cherché à tirer la couverte de son bord, cette fois-ci, c’est fait sans réserve ni retenue, ni gêne.

Le logement

Prenons le dossier du logement. Si, d’un côté, Ottawa prend enfin acte de la crise et propose certaines mesures intéressantes, de l’autre, il en profite pour procéder à une offensive centralisatrice sans précédent. 

Selon le budget, il devient le maître d’œuvre de l’ensemble des questions liées à l’habitation, les provinces et municipalités étant reléguées au rang d’exécutant des priorités fédérales. 

Ottawa oblige, par exemple, les provinces à signer une entente d’ici janvier prochain. Le budget prévoit que, si le Québec rejette les conditions de papa Ottawa ou invoque des priorités différentes, Ottawa va ignorer le Québec ou la province récalcitrante et va chercher à s’entendre directement avec les villes.

Cette approche est illégale au Québec. En effet, depuis une décision du gouvernement de Robert Bourassa en 1971, les municipalités québécoises ne peuvent transiger directement avec Ottawa. Le but est d’empêcher le fédéral de diviser pour mieux régner et affaiblir le rapport de force du Québec à la table des négociations.

Le fédéral s’ingère dans les plans d’urbanisme des municipalités en imposant des exigences précises pour avoir droit à certains transferts en infrastructures. Il va jusqu’à déterminer la hauteur et la densité des quartiers résidentiels dans un rayon de 800 mètres des institutions d’enseignement ou des lignes de transport en commun. Si les villes n’autorisent pas la construction de certains types de multiplex dans ces secteurs, elles n’auront pas droit aux transferts fédéraux.

Ottawa envahit le champ de la taxe foncière en annonçant une taxe sur les terrains non construits en milieu urbain. Enfin, Ottawa entend acheter des terrains aux provinces et aux municipalités et utiliser les terrains dont il est propriétaire pour les louer à long terme à des promoteurs pour y construire des immeubles.

Puisque ces constructions seront érigées sur des terrains fédéraux, elles seront automatiquement soustraites aux règlements des municipalités et aux lois des provinces. Cela représente un risque non négligeable.

De multiples ingérences

Le budget est truffé d’ingérences dans les champs de compétence du Québec qui entraîneront des conflits juridictionnels à répétition et ralentiront la prestation de services aux citoyens. En plus du logement, le fédéral s’ingère dans la santé avec l’annonce d’un projet de loi sur des normes pancanadiennes de soins de longue durée et avec ses assurances médicaments et de soins dentaires. Même chose en éducation.

Ottawa avait annoncé beaucoup d’argent pour la transition énergétique. Le budget en précise la répartition. Le secteur privé et l’Ouest pourront bénéficier de généreuses subventions et crédits pour le captage du carbone et le développement du nucléaire. En compensation, Ottawa offre un crédit d’impôt de 15 % aux sociétés d’État comme Hydro-Québec pour le développement de projets « verts ». 

Mais le gouvernement fédéral pousse le bouchon jusqu’à s’immiscer dans la gestion des sociétés d’État des provinces. Par exemple, il impose des conditions à la grille tarifaire d’Hydro-Québec. La société d’État pourra disposer du crédit d’impôt de 15% pour des investissements dans ses projets seulement si elle répond aux critères du gouvernement fédéral. Ottawa oblige Hydro-Québec à l’utiliser pour diminuer la facture d’électricité et à divulguer publiquement « la façon dont le crédit d’impôt a allégé les factures des contribuables ».

Le budget est une démonstration des effets du déséquilibre fiscal. Les champs de compétence n’existent plus aux yeux du gouvernement fédéral. Avec ce budget, Justin Trudeau se déclare premier ministre du Canada, de toutes les provinces et maire de toutes les villes.

Et pendant que les libéraux jouent aux apprentis sorciers dans les champs de compétence du Québec, on est en droit de se demander qui s’occupe des domaines de juridiction fédérale comme la gestion des frontières ou l’assurance-emploi, dont la réforme, plus que nécessaire, est toujours attendue.

Un budget de promesses 
électorales 

C’est un budget sur le dos du Québec, une démonstration claire des dommages que la combinaison du déséquilibre fiscal et du pouvoir de dépenser du fédéral peut faire pour réduire la capacité des Québécois à gérer eux-mêmes leur propre société.

Il est aussi à remarquer que l’immense majorité des sommes liées aux nouvelles annonces claironnées dans les médias sont ventilées pour n’être dépensées qu’après les prochaines élections. C’est un budget de promesses électorales.

Par exemple, 97 % du 1,1 milliard $ consacré à accélérer la construction d’appartements est budgété après l’élection, tout comme 91 % du 1,5 milliard $ prévu dans le nouveau Fonds pour les infrastructures liées au logement. Il en va de même pour 88 % des sommes promises pour l’assurance médicaments, 88 % du soutien à la recherche et 87,5 % des sommes pour renforcer la position du Canada dans le domaine de l’intelligence artificielle. 

Le Bloc Québécois avait présenté ses demandes au gouvernement : le soutien aux aînés, le droit de retrait du Québec face aux ingérences du fédéral, le logement, le remboursement à Québec de la facture de l’aide aux demandeurs d’asile et la fin du culte voué au pétrole. Mais le budget n’y répond pas.

À propos du pétrole, le gouvernement reconnait qu’il subventionne toujours l’industrie, en s’engageant à : « Élaborer et diffuser un plan de mise en œuvre qui éliminera progressivement le financement public du secteur des combustibles fossiles, y compris celui des sociétés d’État fédérales, d’ici l’automne 2024. » Or, il ne s’engage pas à couper ses subventions, mais bien à produire un plan. En lisant entre les lignes, on comprend bien que les subventions vont continuer à être versées.

Pendant ce temps, pas un mot sur la politique de l’aérospatiale pourtant promise. Et si le déficit de 11 milliards $ de Québec a fait bondir, celui de 40 milliards $ à Ottawa semble être perçu comme raisonnable.

Le compromis fédératif bafoué

L’ingérence continuelle d’Ottawa mène à une centralisation sans précédent des pouvoirs, retirant au peuple québécois la capacité de se développer selon ses besoins, ses forces, ses particularités et ses désirs. Cette centralisation est une tendance qui remonte aux débuts de la Confédération. Il ne faut pas oublier qu’en 1867, le compromis accepté par notre nation pour faire partie du Canada a été l’adoption d’un modèle fédéral avec deux ordres de gouvernement, égaux et aussi souverains l’un que l’autre dans leurs domaines respectifs.

Du « Maîtres chez nous » des Québécois, on glisse vers un fédéral « maître partout ». Nous aurons le choix : laisser le fédéral et la nation voisine dicter d’en haut leurs priorités et décider à notre place de nos choix de société à même notre argent. Ou choisir d’assumer pleinement notre entière souveraineté.

L’auteur est député du Bloc Québécois