Au Québec, une entreprise qui désire s’implanter doit déposer un avis de projet au ministère de l’Environnement. Si ce projet dépasse certaines normes, elle se voit obligée de passer par le processus d’audiences publiques sur l’environnement. Ce processus est très bien vu mondialement. Toutefois, avec le projet Northvolt, on constate comment le gouvernement a réussi à contourner le processus en modifiant les normes en catimini.
Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) est un organisme public. Il est qualifié de neutre, car nos élus n’ont pas d’autorité sur l’organisme. À titre d’exemple, l’ancien ministre de l’Environnement Daniel Breton avait vilipendé le travail du BAPE et il en a payé un prix politique.
Études d’impacts préalables au BAPE
Lorsqu’un promoteur dépose un avis de projet, les différents ministères impliqués, comme le ministère des Transports, le ministère des Terres et forêts et le ministère de l’Environnement, font une étude d’impacts. Ils peuvent questionner le promoteur et lui imposer des études supplémentaires afin d’en évaluer les répercussions sur le milieu.
À partir de ce moment, le conseil des ministres a environ 15 mois pour prendre une décision. Quand les études sont suffisamment avancées, une période d’information publique de 30 jours est enclenchée. Une personne, un groupe, un organisme ou une municipalité peut alors demander au ministre de l’Environnement la tenue d’un examen public du projet par le BAPE. Ce processus dure 4 mois.
Déroulement d’un BAPE
Lors d’une audience publique, les participants peuvent s’informer sur le projet et exercer leur droit de parole sur les répercussions potentielles concernant l’environnement et leur qualité de vie.
La première partie des audiences dure quelques jours. Elle permet aux participants de poser des questions aux commissaires qui les acheminent aux différents ministères ou au promoteur. Une fois la période de questions terminée, une pause minimum de 21 jours permet à toute personne intéressée de rédiger un mémoire.
En deuxième partie, les participants qui le désirent présentent aux commissaires leur mémoire. Ces derniers peuvent contester les commentaires et les prises de position. Après la lecture de tous les mémoires, les commissaires rédigent un rapport et émettent des avis non contraignants au ministre de l’Environnement. Ce dernier remet une recommandation au conseil des ministres en se basant sur le rapport du BAPE et l’ensemble des rapports déposés par les différents ministères. Finalement, le conseil des ministres peut ou non émettre un décret.
Contrairement à ce qui a été véhiculé dans le débat autour de Northvolt, le processus peut se faire en moins de 15 mois. Si le processus s’allonge, c’est que l’entrepreneur n’a pas déposé dans son étude d’impacts toutes les informations requises.
Pouvoir de décision
Depuis sa création en 1978, le BAPE a souvent été affublé de l’expression tour de Pise, car les prises de position penchaient toujours du même bord, soit celui des promoteurs. Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas. Par exemple, le projet GazoduQ, qui a fait l’objet de 533 mémoires dont 90% étaient contre le projet, n’a pas reçu l’appui du BAPE.
Le premier ministre Legault avait, dès le début des annonces du projet, vanté les mérites de ce projet qui devait permettre de réduire les GES puisqu’il remplacerait le charbon utilisé dans les usines en Europe. Cette affirmation n’étant appuyée par aucun fait, il avait vite été débouté par les participants lors de l’audience. Vu la pression du grand public, le conseil des ministres du gouvernement Legault a dû refuser le projet, non pas pour des raisons environnementales, mais plutôt pour des raisons politiques. Les résultats exposaient le gouvernement à une perte potentielle de votes aux élections suivantes s’il donnait son autorisation.
On peut se questionner à savoir s’il est normal qu’un gouvernement ait le dernier mot pour accepter un projet industriel malgré des avis défavorables au projet selon le rapport du BAPE. Le projet Nouveau Monde Graphite en est un bon exemple.
Le gouvernement caquiste avait refusé d'écouter les avis du BAPE, qui recommandait au ministère de l'Environnement « d'attendre les résultats de nombreuses études et analyses hydrogéologiques, afin d'évaluer adéquatement les risques pour la rivière Matawin et le lac Taureau ». De plus, le BAPE avait souligné que l’entreprise n’avait pas pris le temps d’aller chercher l’acceptabilité sociale avec le Conseil des Atikamekw de Manawan. Malgré ces mises en garde majeures, la CAQ a donné son aval au projet.
Force est de constater qu’avec notre régime capitaliste, aucun gouvernement au pouvoir ne voudra imposer des règles qui prioriseraient l’environnement au détriment de l’économie.
Doit-on accepter bêtement que le BAPE n’ait pas le pouvoir de décider de la valeur d’un projet ou qu’il ne puisse pas imposer de changements sans s’en remettre à un conseil des ministres, qui n’a que le développement économique en tête?
Un organisme indépendant
À mon avis, dans le contexte de la destruction massive mondiale des écosystèmes et de la biodiversité, il faudrait mettre fin au pouvoir politique de décider si un projet industriel peut aller de l’avant. Il faudrait plutôt s’en remettre à une instance indépendante qui aurait comme mission première la protection de l’environnement. Le BAPE serait tout désigné pour remplir ce mandat.
Voici en guise de réflexion un cadre de fonctionnement de cet organisme :
- Nommer les commissaires pour cinq ans après approbation des deux tiers des députés.
- Établir des balises strictes à respecter afin de pouvoir juger de la qualité des projets.
- Soumettre les commissaires à un code d’éthique strict.
- Prendre des décisions en fonction de leur mission qui est de protéger l’environnement et les écosystèmes.
- Dépolitiser les décisions et retirer l’influence des lobbies industriels.
- Retirer la prédominance des facteurs économiques dans la prise de décision.
- Donner le pouvoir aux commissaires d’imposer de nouvelles études, quand ils jugent les données insuffisantes, avant de prendre une décision.
- Rendre exécutoire le pouvoir décisionnel du BAPE.
- Rendre les commissaires imputables légalement de toute décision ne correspondant pas à leur mission.
- Mettre fin à l’utilisation du terme développement durable, qui met le développement économique, environnemental et social dans un rapport qui donne toujours la préséance à l’économie.
- Soumettre au processus du BAPE tout projet industriel ayant des impacts environnementaux. Par conséquent, on devrait retirer de la loi tout seuil minimum comme celui dans le domaine minier où tout projet sous 2 000 tonnes de traitement de minéraux par jour n’est pas obligé de passer par des audiences publiques.
Il est évident qu’aucun gouvernement ou entreprise ne voudra s’engager dans une telle structure. Au contraire, il semble que le gouvernement désire réviser le fonctionnement du BAPE afin d’en accélérer le processus.
Seul un référendum national pourrait forcer tout gouvernement à établir une structure indépendante. Cette instance aurait une influence majeure sur les gouvernements en place qui chercheraient davantage à développer un modèle industriel respectueux de nos milieux naturels. Cette nouvelle façon de faire nous propulserait à l’avant-plan mondialement.
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