Les auteurs sont membres de GMob (GroupMobilisation)
Le 30 mai dernier, Michael Sabia présentait la stratégie de développement éolien d’Hydro-Québec, affirmant reprendre le contrôle du développement de l’éolien, et répétant plusieurs fois qu’il n’y aurait pas de privatisation.
Pour beaucoup, ce fut comme une presque victoire, interprétant même ce geste comme une opposition qu’aurait gagnée Sabia contre le super-ministre Fitzgibbon. Mais qu’en est-il vraiment ?
Tout d’abord, outre le fait que répéter plusieurs fois un mensonge n’en fait pas une vérité, quelqu’un croit-il vraiment que Michael Sabia, ce top gun de la privatisation, se soit converti à la défense et à la préservation du bien commun ?
Alors que dit sa stratégie ?
Vrai qu’elle n’annonce pas de privatisation des actifs actuels d’Hydro-Québec. Mais dans les dernières semaines, la société a vendu des actifs, invoquant vouloir se concentrer sur son « cœur de métier », un cœur qui semble pourtant avoir changé puisque dans le document, on peut lire qu’Hydro-Québec aurait un nouveau rôle:
« Maître d’œuvre, actionnaire, acheteur de l’électricité » (p. 3)
Le maître d’œuvre peut concevoir le projet, établir les plans, élaborer les documents techniques, coordonner les travaux, mais il ne se charge pas de la construction ou des travaux. On peut donc lire plus loin qu’il s’agit d’« une occasion à saisir ». Pour qui ?...
« …une occasion de croissance inédite pour l’ensemble des acteurs de l’industrie éolienne, dont les manufacturiers, les développeurs, et les entreprises du secteur de la construction. »(p. 10)
Une occasion d’affaires ! La seule façon pour le gouvernement Legault de comprendre la lutte aux changements climatiques : croissance et développement!
Comment cela se fera-t-il?
- « La planification coordonnée du développement éolien et une approche de partenariat favoriseront l’acceptabilité sociale. » (p. 3)
- « Les Premières Nations et les municipalités seront, si elles le souhaitent, des partenaires financiers dans les projets éoliens. » (p. 8)
- « Pour chaque projet, les partenaires pourraient s’adjoindre un partenaire de l’industrie. » (p. 9)
- « Selon les circonstances et préférences des Premières Nations et municipalités, l'industrie pourrait prendre une participation financière aux projets. » (p. 11)
Bref, l’homme des partenariats public-privé (PPP) impose l’actionnariat public-privé (APP). Et quand on laisse ouverte la porte du poulailler, le loup finit par entrer :
- « Par ailleurs, l’autoproduction pourrait avoir un rôle à jouer dans certains cas. » (p. 7)
- « En collaboration avec ses partenaires, et selon leurs besoins, Hydro-Québec pourrait ensuite lancer un processus compétitif pour mettre à profit l’expertise des acteurs du secteur éolien. » (p. 8)
- « L’élaboration de projets à grande échelle […] qui pourraient atteindre au-delà de 1 000 MW, sont nécessaires afin de répondre à la croissance de la demande […] Pour les projets à petite échelle […] allant jusqu’entre 300 et 350 MW. Les appels d’offres demeureront ainsi l’approche privilégiée pour ces projets. (p. 9)
Donc, les appels d’offres seront « privilégiés » pour des parcs éoliens « à petite échelle », comme maintenant. Pour les grands projets, rien n’est précisé, mais rien n’est exclu. Sans compter que 3 projets de 350 MW atteignent au-delà de 1 000 MW.
- « Les partenaires établiront les grandes zones à potentiel de développement éolien aux endroits les plus propices sur le territoire […] Avec ses partenaires, Hydro-Québec définira les secteurs géographiques de développement de manière à assurer l’arrimage avec l’évolution optimale du réseau de transport d’électricité.» (p. 8)
Il y a peu de chances qu’on favorise la construction d’éoliennes dans les réservoirs existants ou sur leur pourtour.
- « Le premier défi du développement éolien identifié est l’acceptabilité sociale ! (p. 6)
- « L’acceptabilité sociale et la confiance du public devront constituer les fondements des projets énergétiques à venir […] Le statut d’institution publique d’Hydro-Québec, son expertise […] en font le maître d’oeuvre tout désigné pour […] favoriser l’acceptabilité sociale » (p.5)
- « L’acteur tout indiqué pour inspirer la confiance et […] sa légitimité en tant que maître d’oeuvre du développement énergétique de demain. » (p. 8)
Ainsi donc, la course à l’énergie éolienne au Québec, où on bouscule tout le monde se négociera à travers une acceptabilité sociale où H-Qc mettra sa crédibilité en jeu pour forcer l’acceptation des projets.
Certains ont pourtant déjà expliqué à qui servirait la fin du monopole d’Hydro-Québec . Des élu.e.s municipaux ont aussi pris position contre la dépossession du bien éolien commun. D’autres ont montré que les Québécois ont payé plus de 6,09 G$ pour prioriser l’énergie éolienne privatisée. N’empêche : exit le débat sur la transition énergétique par laquelle le gouvernement justifie ses choix de développement industriel et énergétique !
Ainsi, la stratégie Sabia ne correspond pas au maintien de la propriété publique de la production, du transport et de la distribution électrique au Québec, pas plus qu’elle ne permet le débat sur la finalité de cette propriété publique, à savoir la nécessaire et prioritaire décarbonation pour répondre à la catastrophe climatique en cours.
Et le Projet de loi que déposera Fitzgibbon ce jeudi 6 juin viendra renforcer cette orientation délétère.