Arriver à Kinshasa est une expérience en soi. Se rendre à l’hôtel à partir de l’aéroport relève de l’aventure. Il y a des embouteillages partout dans cette ville tentaculaire, qui compte 17 millions d’habitants et s’étend sur près de 10 000 km2, ce qui en fait la première ville francophone du monde.

Je suis arrivé le 26 mai 2024 à Kinshasa quelques jours après la tentative de coup d’État raté, et je repartirai le 8 juin.

Le premier objectif de cette mission, que je fais à titre de responsable des relations internationales de la CSQ, est d’évaluer un projet de coopération que nous menons en partenariat avec trois syndicats congolais affiliés à l’Internationale de l’Éducation, la FENECO-UNTC, la CSC-Enseignement et le SYECO. Ce projet financé conjointement par la CSQ et le Syndicat de l’éducation suédois (STU) consiste à développer des cercles d’étude dans les établissements d’enseignement. Ces cercles d’étude permettent aux enseignantes et enseignants d’une école de se rencontrer sur une base régulière, de discuter des problèmes qu’ils rencontrent et de chercher des solutions.

Le deuxième objectif concerne la campagne menée en faveur de l’éducation publique, à la suite d’une recherche qui a été menée l’an dernier sur la privatisation de l’éducation.

18 millions de mort de puis 1996

Le lendemain de mon arrivée, nous avons rencontré le secrétaire général du ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et technique, M. Mathieu Mukenge. Lors de la discussion, il a admis que le réseau de l’éducation était sous-financé en RDC. « Nous peinons à atteindre l’objectif de 20 % du budget national consacré à l’éducation (objectif fixé par les Nations Unies), principalement à cause du budget consacré à la guerre à l’est de la RDC », a-t-il dit.

Cette guerre a débuté en 1996, peu de temps après le génocide des Tutsis au Rwanda. On évalue le nombre de victimes dans l’est du Congo à plus de 18 millions de morts depuis 1996. Depuis octobre 2023, plus de 2,5 millions de personnes ont été déplacées, tandis que la poursuite du conflit menace de déstabiliser davantage la région.

De plus, les viols en masse ont contribué à répandre le virus du VIH, ce qui devrait entraîner des conséquences catastrophiques pour l’avenir sanitaire du pays. Le Programme national de lutte contre le SIDA en RDC estime que le taux d’infection a atteint 20 % dans les provinces de l’Est, et que le virus pourrait menacer plus de la moitié de la population dans la décennie à venir.

Les richesses naturelles en cause

La cause de cette guerre est l’accaparement des richesses naturelles dans l’est du Congo. Environ 60 % des réserves mondiales de coltan se trouvent en RDC, et la plupart des gisements proviennent de l'est du pays, dans les provinces du Kivu.

Donc, si vous lisez cet article depuis votre téléphone ou votre ordinateur portable, sachez que cela est possible grâce aux matériaux qui viennent de la RDC.

Cette guerre est menée par un groupe de rebelles surnommé le M23. Le gouvernement de la RDC a accusé à plusieurs reprises les pays voisins, en particulier le Rwanda, de soutenir directement ou indirectement les rebelles du M23. Il en veut pour preuve que le Rwanda est actuellement le principal exportateur de coltan au monde, devant la RDC, alors qu’il n’y a pas de mines de coltan au Rwanda.

Des classes pléthoriques de plus de 100 élèves

Mais revenons au réseau de l’éducation congolais. La semaine dernière, je me suis rendu à Lubumbashi, la deuxième ville en importance de la RDC, où j’ai pu assister à quatre cercles d’étude dans trois écoles primaires et une école secondaire.    

C’est ainsi que j’ai pu visiter l’école primaire de Kisima (EP1). Le directeur de l’école m’a amené voir la classe de 1re année qui comptait 120 élèves, dont la majorité était assis par terre, faute de bancs.

L’enseignante me dit qu’elle doit composer avec une classe pléthorique depuis que le gouvernement a instauré la gratuité de l’éducation en 2019 dans les écoles primaires. Cependant, dit-elle, il n’y a pas eu construction de nouvelles écoles ni de nouvelles classes. L’école accueille maintenant un groupe le matin, de 7h00 à midi et un autre groupe, l’après-midi de 13h00 à 18h00, pour maximiser l’utilisation des locaux de l’école.

Tout juste à côté de cette école publique se dresse une école privée catholique qui, elle, accueille environ 35 élèves par classe.

Le manque d’écoles publiques est criant en RDC. Dans la commune de Lubumbashi 1, il y a 864 écoles privées et 39 écoles publiques. Dans la commune de Lubumbashi 5, il y a 300 écoles privées et 9 écoles publiques.

Les parents n’ont donc pas d’autre choix que d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées, dont la qualité varie beaucoup d’une école à l’autre. Certaines écoles privées accueillent l’élite et coûtent très cher, mais la majorité des écoles privées sont qualifiées d’écoles de fortune. Les enseignants qui y sont embauchés ne sont généralement pas qualifiés.  

Violence, salaire et mutuelle

Lors du cercle d’étude qui a débuté à l’école de Kisima, le thème était la violence dans le milieu scolaire. « Les élèves qui doivent s’entasser à cinq sur un banc se chamaillent, affirme une enseignante. Nous sommes violentés par l’afflux d’élèves que nous devons encadrer. Comment puis-je enseigner convenablement à plus de 100 élèves qui n’ont pas mangé? »

Une autre enseignante ajoute : « Nous travaillons durement sans être payés, c’est une violence de l’État. » En effet, cela peut prendre jusqu’à trois ou cinq ans avant qu’un enseignant soit inscrit sur la liste de paie du ministère et reçoive son salaire à la banque. Les enseignantes et enseignants de cette école réclament que le gouvernement leur donne les moyens nécessaires, s’il veut que la gratuité scolaire continue.

Dans l’école suivante que j’ai visitée, l’école primaire de Katuba, le thème du cercle d’étude concernait la gestion de la caisse mutuelle que le personnel enseignant a créée. Chaque mois, les enseignants cotisent 10 000 francs congolais (environ 5 dollars canadiens). Cette caisse permet de subvenir aux besoins des enseignants malades ou de payer les funérailles d’un enseignant décédé. Ce qui est malheureusement assez fréquent, car les enseignants ne reçoivent pas de rentes s’ils prennent leur retraite. Certains enseignants continuent donc à travailler alors qu’ils n'ont plus la force physique, et certains meurent en cours d’année.

En conclusion, les syndicats de l’éducation démontrent beaucoup de courage pour tenter de trouver des solutions aux problèmes vécus par leurs membres. Comble de malheur, ils font face actuellement à la Banque mondiale qui exige que le gouvernement congolais ne hausse pas les salaires du personnel enseignant, s’il veut continuer à recevoir son financement.