L’auteur est syndicaliste, chroniqueur et membre des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).
La sociologue Micheline Labelle, considérée par plusieurs comme l’une des grandes de cette profession, est décédée il y a quelque mois. Plusieurs dizaines de collègues et d’amis se sont réunis le 15 juin dernier pour célébrer sa mémoire. Je laisserai à d’autres, plus compétents, le soin de dire à quel point elle a marqué la vie universitaire québécoise dans une carrière échelonnée sur près de soixante ans dans les domaines de l’anthropologie et de la sociologie. Je veux simplement rendre hommage à cette femme de tête et de cœur que j’ai eu le privilège de fréquenter.
Universitaire dont les travaux ont été marqués au coin d’une rigueur implacable, elle a aussi été une femme profondément engagée dans d’incessants combats, en particulier pour l’indépendance du Québec et la laïcité.
Cette rigueur qui la caractérisait n’était pas sans amener quelque chose comme une certaine rugosité dans ses rapports avec les autres. À l’occasion de cette réunion, Daniel Turp, président des Intellectuels pour la souveraineté, Roch Denis, ex-recteur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et Luc Brunet, son cousin, ont tour à tour évoqué ce trait de sa personnalité, provoquant dans la salle quelques sourires…
Micheline Labelle était une femme au fort caractère, c’est connu. Pour une femme qui avait une grande rigueur, la lecture dans Le Devoir du 10 juin dernier des résultats d’une enquête indiquant que 73 % des femmes musulmanes voudraient quitter le Québec aurait sans nul doute provoqué chez elle une grande colère. Des spécialistes ont critiqué dans les jours suivants la méthodologie utilisée par la professeure Nadia Hasan pour un sondage dont les résultats avaient été présentés devant les élus fédéraux. Je suis sûr qu’elle m’aurait téléphoné pour me dire qu’elle travaillait sur une réplique pour le journal, me demandant de la relire et de lui donner mon opinion. Ce qu’elle a fait régulièrement durant plusieurs années.
Indépendantiste convaincue et profondément engagée, elle a tenu le fort des IPSO depuis la création de ce mouvement, le 21 juin 1995, organisant de nombreux colloques et intervenant publiquement dès qu’elle voyait le fédéral envahir les champs de compétence du Québec.
Toujours en 1995, elle signait avec Guy et François Rocher un texte dans lequel il était affirmé que «nous avons la ferme conviction que les obstacles à une intégration pleine et entière à la culture publique commune québécoise ne pourraient être levés autrement que par l’accession du Québec à la souveraineté qui, en outre, mettrait fin aux ambiguïtés de l’actuelle politique de gestion de la diversité ethnoculturelle. La problématique de la citoyenneté se poserait dans des termes nettement plus clairs pour éventuellement en arriver à éliminer la fausse dichotomie opposant Québécois et membres des groupes ethnoculturels». Titulaire pendant plusieurs années de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté de l’UQAM, elle fut à même de constater la volonté du gouvernement fédéral d’intervenir financièrement, politiquement et idéologiquement dans les milieux universitaires au Québec.
À l’instar de Guy Rocher, elle ne voulait pas qu’une quelconque épithète, «ouverte, saine, juste, positive ou inclusive», par exemple, soit accolée au mot laïcité. Quand un jour je lui appris que l’expression «laïcité ouverte» avait été utilisée pour la première fois en 2008 par le pape Benoît XVI, lors d’une conférence au collège des Bernardins, à Paris, cela l’avait frappée, car ce pape ne s’est jamais présenté comme tellement ouvert durant son pontificat… Deux ans plus tôt, ce même pape avait dénoncé « la laïcité envahissante au Canada ». Il aurait pu préciser : au Québec!
Roch Denis a eu raison de dire que Micheline Labelle « avait beaucoup d’ambition, mais d’abord pour les causes qu’elle servait plus que pour sa propre renommée. Elle craignait et repoussait ceux qui prétendaient servir pour se servir… » Ayant fait sa thèse de doctorat sur Haïti, elle avait tissé des liens étroits avec cette communauté. Elle a aussi participé à des activités de formation dans les syndicats sur les sujets qui lui tenaient à cœur.
Accusée d’être une « forte tête », elle avait été mise à la porte du collège Basile-Moreau par la rectrice, sœur Marie-Laurent de Rome, en 1956. Cette dernière, quelques années plus tard, sera un pilier de la commission Parent sur l’éducation.
Cette forte tête manquera à ses collègues et amis. Mais c’est aussi la société québécoise tout entière qui devra désormais se priver de ses interventions, toujours pertinentes et appuyées, sur des questions qui nous interpellent de plus en plus, comme l’indépendance du Québec, la laïcité, le racisme, l’immigration et l’inclusion.
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