Une version écourtée de cet article est parue dans le Globe and Mail.
Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a hérité l’été dernier de la tâche d'abandonner de nombreuses mauvaises décisions liées à la gestion du système d’immigration prises par ses prédécesseurs qui ont entraîné de graves conséquences négatives au cours des dix dernières années.
Son principal objectif annoncé est de réduire à 5 % la proportion de résidents non permanents (ceux qui ont un permis de travail ou d’études et les demandeurs d’asile) au sein de la population canadienne d’ici 2027. Le gouvernement du Québec tarde encore à faire une proposition pour résoudre la question de la croissance des résidents non permanents sur son territoire.
Pourtant, le statut des personnes immigrantes est-il le seul problème auquel les gouvernements sont confrontés? Ou est-ce la croissance de la population en général? Ou le nombre et le rythme des arrivants, quel que soit leur statut? Ou les types et niveaux de compétences des personnes qui arrivent? Ou la pyramide des âges?
Pour qu’une politique publique soit efficace et renforce la confiance dans l’État, il est essentiel que le public comprenne et s’identifie aux problèmes que la politique tente de résoudre et sente intuitivement que le gouvernement contrôle le dossier.
Une grande partie du soutien des populations canadienne et québécoise à l’immigration, ainsi que leur ouverture aux personnes arrivant de l’étranger, découle du sentiment que l’immigration est sous contrôle. De plus en plus, elles ont le sentiment que ce n’est plus le cas, que trop de gens arrivent trop vite, ce qui donne l’impression d’être en compétition avec les personnes immigrantes, pas nécessairement pour l’emploi, comme c’était souvent le cas dans le passé, mais pour le logement et les services publics. Selon les sondages récents, ce sentiment est encore plus grand dans le reste du Canada qu’au Québec.
Cette situation est dangereuse pour la cohésion sociale. Il est impératif que les gouvernements canadien et québécois prennent des mesures pour rétablir la confiance de la population dans notre système d’immigration. Il sera essentiel de définir des objectifs clairs et réalistes liés à tous les aspects de l’immigration.
À la recherche d’un triple gain
En 2006, l’ancien secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan a en quelque sorte précisé ces objectifs en appelant à des mesures qui offrent « un triple gain: pour les migrants, pour leurs pays d’origine et pour les sociétés qui les accueillent ».
Gain pour le pays d’accueil
Il est légitime et nécessaire pour assurer le soutien aux décisions politiques dans ce domaine que les gouvernements accordent la priorité aux intérêts économiques et sociaux de leur propre pays. Cela étant dit, l’équité exige que les avantages de l’immigration soient ressentis par tous les individus de la société d’accueil. Se servir de l’immigration pour augmenter la population fera croître l’économie globale, mais pas nécessairement le produit intérieur brut par habitant. De plus, il est critique que le rythme des arrivées soit en fonction de l’offre de logements et de la capacité du filet de sécurité sociale.
Gain pour les personnes immigrantes
Quant aux personnes immigrantes elles-mêmes, est-ce un « gain » pour elles de vivre avec un statut temporaire pendant des années? Elles sont littéralement des personnes de deuxième classe, sans les mêmes droits ni l’accès aux mêmes services que celles bénéficiant d’un statut permanent. La menace d’expulsion plane constamment sur elles, de peur que leur permis temporaire ne soit pas renouvelé ou même renouvelable, ou que leur demande d’asile ne soit pas approuvée.
Impossible de planifier une vie et une famille dans ces circonstances. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires est qualifié par le rapporteur de l’ONU de terreau fertile pour les formes contemporaines d’esclavage, mais tous les travailleurs étrangers temporaires sont des cibles faciles pour les abus et l’exploitation.
L’immigration temporaire mène à plus de travailleurs sans-papiers, car beaucoup prennent le risque de rester au pays même si leur permis est expiré ou si leur demande est refusée. (Le gouvernement fédéral ne révèle pas les informations dont il dispose sur ce phénomène ni sur les efforts pour appliquer la loi.)
Une autre conséquence de l’immigration temporaire est la séparation plus longue des familles, car généralement un seul adulte arrive en premier et, lorsque la résidence permanente est obtenue, fait une demande de réunification familiale. En revanche, les demandes d’immigration permanente incluent automatiquement tous les membres de la famille immédiate.
Gain pour le pays d’origine
Où est le gain pour les pays d’origine? Quels sont les impacts de l’incitation aux études au Québec ou au Canada des meilleurs et des plus brillants jeunes des pays en développement avec la promesse souvent trompeuse d’une résidence permanente?
Ou du recrutement de travailleurs de la santé à l’étranger alors qu’on prévoit d’ici 2030 un déficit de personnel de santé de 10 millions dans le monde, principalement dans les pays à revenus faibles et moyens inférieurs? D’un autre côté, il ne faut pas nier l’importance des fonds que les personnes immigrantes envoient dans leur pays d’origine. Ces transferts de fonds représentent près de 4 % du PIB des pays à faibles revenus.
Et comment réagir aux situations urgentes de conflit ou de catastrophe à l’étranger? L’improvisation fédérale dans ce domaine a conduit à des politiques très divergentes. La réponse ukrainienne sans plafond a donné lieu à l’approbation de plus de 900 000 visas temporaires. Peut-être devrions-nous nous estimer chanceux que « seulement » 300 000 soient arrivés avant la date d’échéance. Les réponses politiques pour les Marocains, les Syriens, les Soudanais et les Gazaouis ont considérablement varié en termes de nombres et de conditions.
Une absence de vision
Face à tous ces enjeux, le gouvernement fédéral a répondu avec un objectif apparemment arbitraire de diminution de la proportion de résidents non permanents de la population canadienne d’ici 2027, objectif qui ne peut être atteint sans convaincre un million de résidents temporaires de quitter le pays.
Le ministre Miller a annoncé des propositions pour ralentir les arrivées en réduisant le nombre de permis délivrés, mais les demandes d’asile continuent d’augmenter au Canada. Une autre option envisagée par le fédéral consiste à offrir la résidence permanente à de nombreuses personnes à statut temporaire déjà au pays. Une telle mesure ne pourrait s’appliquer au Québec parce que l’Accord Canada-Québec sur l’immigration stipule que le Québec sélectionne son immigration.
Bien que le statut permanent soit certainement préférable au statut temporaire, cela ne réduit ni la population ni les arrivées et nécessiterait inévitablement une hausse considérable des seuils d’immigration permanente et la baisse des critères de sélection qui visent l’admission des personnes immigrantes hautement qualifiées dans la catégorie économique.
Mais outre le fait que l’objectif de 5% en trois ans soit irréaliste, il faudra que la population d’accueil comprenne quelle différence cela fera, pour elle et pour celles et ceux qui ont choisi le Québec ou le Canada pour une vie meilleure.
Il n’y a pas de vision dans les politiques d’immigration qui nous ont mis dans ce pétrin, et il n’y a pas de vision évidente, ni à Ottawa ni à Québec, pour reprendre le contrôle de leurs politiques d’immigration respectives. Il est impératif que le gouvernement prenne des mesures pour rétablir la confiance des Canadiens dans notre système d’immigration.
Il est temps que les deux gouvernements adoptent des stratégies publiques de «triples gains», avec des objectifs clairs, gérables, mesurables et compréhensibles. Des stratégies accompagnées d’un plan d’action pluriannuel à l’échelle gouvernementale prévoyant une collaboration avec les parties prenantes.
L’idéal serait que cette approche soit multipartite, afin que les prochaines campagnes électorales ne se transforment pas en une guerre de slogans simplistes et de promesses non viables liées à l’immigration. Ce serait un gain pour nous toutes et tous.
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