L’auteur est syndicaliste
Comme chaque année, avec la fin de l’été, la réalité de notre quotidien nous rattrape. Notre train-train habituel a été mis sur pause de façon artificielle pendant la période estivale et reprend vie avec la rentrée scolaire.
Malheureusement, les personnes vivant dans la pauvreté ne connaissent pas ce répit. Semaine après semaine, elles se demandent comment payer les factures et elles doivent souvent faire des choix difficiles, à savoir duquel des besoins de base elles devront se priver pour boucler la fin du mois : la nourriture, le paiement du loyer (au risque de se faire expulser), les médicaments, etc.? On est loin d’une vie où la grande préoccupation est le choix du lieu de vacances estivales pour la famille.
La mesure des inégalités
Selon l’Observatoire québécois des inégalités, en 2019, tout juste avant la pandémie COVID, 8,9% des personnes vivant au Québec n’avaient pas un revenu suffisant pour se procurer les biens et services leur permettant de couvrir leurs besoins de base (c’est-à-dire se nourrir, se loger, se vêtir, se transporter et autres besoins associés à un niveau de vie modeste). Cette façon de mesurer le niveau de pauvreté s’appelle « la mesure du panier de consommations ».
Mais si on évalue la pauvreté avec « la mesure du revenu viable » (soit un revenu qui permet de couvrir les besoins de base du panier de consommation et d’accumuler un coussin financier pour pallier les imprévues), c’est 17,7% de la population québécoise qui vivaient en situation de pauvreté en 2019.
On comprend bien que les choses ne se sont pas améliorées depuis 2019. Il y a eu, notamment, la pandémie qui a fait tomber dans la pauvreté des personnes qui étaient au bord du gouffre, mais aussi la hausse des loyers due à la crise du logement que la CAQ a nié jusqu’à tout dernièrement. Et même après avoir finalement reconnu son existence, la CAQ n’a pas pris de mesures ayant eu un réel effet sur le coût des loyers.
À cela s’ajoutent la hausse du taux d’inflation, qui a fait bondir les factures d’épiceries, et la hausse des taux d’intérêt, remède efficace pour ralentir l’économie, mais qui, en contrepartie, diminue le pouvoir d’achat des ménages québécois.
Alors, facile d’imaginer l’effet de ces événements sur le budget d’une personne sans grand pouvoir d’achat. Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent bien que la situation ne s’est sûrement pas améliorée pour les personnes vivant dans la pauvreté et dont le nombre a augmenté.
Les appels à l’aide incessants des banques alimentaires et des organismes sociaux en sont une preuve éloquente, d’où l’urgence d’agir et d’avoir un plan de lutte à la pauvreté qui se tienne.
Une loi bafouée et ridiculisée
Au Québec, depuis une vingtaine d’années, nous avons justement une loi qui oblige le gouvernement à présenter un plan de lutte à la pauvreté tous les cinq ans. C’est la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le gouvernement de la CAQ nous a présenté son plan en catimini le vendredi 21 juin dernier.
Selon les dires de certains représentants d’organismes sociaux, Chantal Rouleau, ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, leur avait promis que la production du plan de lutte à la pauvreté serait le gros morceau de son mandat de ministre.
Que la ministre Rouleau choisisse de déposer le plan de lutte à la pauvreté de la CAQ un vendredi, juste avant le long congé de la Fête nationale du Québec et sans tenir de conférence de presse, prouve que la ministre savait très bien que le plan déposé ne répondait nullement aux attentes des organismes communautaires qui, chaque jour, tentent tant bien que mal à aider les plus démunis de la société.
Le plan a d’ailleurs été très froidement accueilli par ces groupes et a été qualifié de claque au visage des plus vulnérables de notre société par un des groupes de l’opposition à l’Assemblée nationale.
Après une analyse du plan de la CAQ par le Collectif pour un Québec sans pauvreté, son représentant Serge Petitclerc a déclaré que le plan contenait principalement des mesures administratives et non des mesures d’aide directe. Toujours selon Serge Petitclerc, le plan serait trop peu ambitieux pour faire une réelle différence.
Le collectif cite, en exemple de mesures d’aides directes, le plan de 2004 qui contenait la création de l’allocation familiale et le crédit d’impôt pour la solidarité, celui de 2010 avec son programme de primes au travail et, finalement, celui de 2017 avec l’arrivée du principe de revenu de base.
En plus de ne contenir aucune mesure d’aide directe, le plan contient une déclaration du premier ministre Legault, qui affirme que son gouvernement s’est fixé comme objectif de toujours remettre de l’argent dans les poches des contribuables québécois. Il cite en exemple le plafonnement des tarifs d’électricité en dessous de l’inflation à 3%.
Les mauvais exemples de Legault
Plafonnement rendu nécessaire, il faut le dire, à cause d’une loi votée par son gouvernement, qui fait en sorte que l’augmentation annuelle des tarifs d’électricité doit être égale à l’inflation et ce même si la presque la totalité des observateurs soutenait que c’était une erreur puisque personne ne peut prédire le taux l’inflation à venir.
L’histoire leur a donné raison et la CAQ a dû adopter cette mesure de plafonnement pour contrer les effets négatifs de sa propre loi. M. Legault donne également comme exemple de sa très grande compréhension de la pauvreté au Québec les baisses d’impôt consenties en 2013.
Une baisse d’impôt pouvant atteindre jusqu’à 814$ pour une personne seule et 1627$ pour un couple. Des baisses d’impôt qui s’appliquent à un revenu de 100 000$. Nous sommes bien loin du revenu des personnes en situation de pauvreté.
En fait, il a été plusieurs fois démontré que les baisses d’impôt non seulement ne touchent pas les moins nantis, mais réduisent la marge de manœuvre du gouvernement pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables de notre société.
On reconnait bien là la signature du gouvernement Legault. Un gouvernement, qui jouit d’une super majorité, qui a hérité d’un surplus budgétaire plus qu’enviable et qui gouverne un État riche avec une économie saine, mais qui a réussi à ne rien faire de structurant pour le peuple québécois, malgré tous ces atouts en poche. C’est le gouvernement des rendez-vous manqués!
Des attentes trompées
On se serait attendu à plus d’un gouvernement qui est aux commandes depuis plus de six ans. Les personnes démunies de notre société étaient en droit d’espérer un plan de lutte à la pauvreté qui tienne la route avec des mesures structurantes pour eux. Un plan qui reconnaîtrait qu’il y a des besoins de base pour toute la population.
Des besoins comme se nourrir, se loger, se vêtir, avoir accès à un système de santé et des services sociaux et un système d’éducation public, gratuit et efficace, d’avoir accès à la culture et à des loisirs, accès à un moyen de transport abordable, accès à une sécurité physique et psychologique.
Un plan de lutte à la pauvreté devrait également faire en sorte que personne vivant au Québec n’ait à faire le choix chaque semaine de ce qu’il ou elle devra se priver.
M. Legault, vous ne cessez de répéter que vous voulez créer de la richesse au Québec. Contrairement à ce que vous croyez, la richesse d’une société ne se crée pas seulement en développant des filières industrielles comme la filière batterie. La richesse se crée également par une réelle lutte à la pauvreté et à tout ce qui empêche de s’en sortir.
Du même auteur
2024/06/12 | Les 10 perturbations les plus probables |
2024/04/17 | Agriculture : rien ne va plus ! |
2024/03/27 | De l’«optimisation» au déficit zéro |
2024/02/21 | La CAQ : Le parti d’un seul homme |
2024/01/26 | Les syndicats ont gagné la bataille de l’opinion publique |
Pages
Dans la même catégorie
2024/09/25 | Napoléon Gratton |
2024/09/18 | Hydro-Québec : Rabais de 20% sur le tarif L |
2024/09/06 | L’inertie du cégep et du Québec |
2024/09/06 | Démission de Fitzgibbon : Une opportunité de virage majeur |
2024/08/23 | Immigration : l’approche du triple gain |