Chaque mois d’août, on quitte l’idylle de l’été qui nous tient loin des problèmes sociaux. Quoique, depuis deux ans, les inondations de juillet nous rappellent que notre mode de vie n’est pas adapté à la réalité du 21e siècle. Mais on poursuit dans la même voie : on construit des maisons avec des sous-sols. On déboise pour déconstruire davantage. On craint d’imposer la densification. On nie que ce que le climat nous fait vivre soit maintenant la « normalité ». Pas de retour en arrière. Que des solutions à chercher vers l’avant. Mais on prolonge le business as usual. Par réflexe. Par paresse. Par manque de vision.
Le retour des questions irrésolues
En éducation, août signifie le retour des questions irrésolues, que l’on ne cherche même pas vraiment à résoudre. La rengaine est connue : manque de personnel enseignant, sous-financement, groupes trop populeux, déséquilibre entre régions et villes, institutions vétustes, motivation fluctuante, invasion des technologies, etc. Malgré tout, on continue parce qu’il faut continuer.
Chaque année, aussi assurément que la période d’ensoleillement diminue, on a droit à des reportages pour montrer que l’on couvre la situation de l’éducation. Ici, le prix des effets scolaires qui explosent. Là, le portrait d’une directrice qui ne sait plus où trouver du personnel. À gauche, une chronique pleine de bons sentiments sur la nécessité de changer les choses. À droite, un éditorial qui rappelle que l’éducation ne va pas bien, mais que l’État a des sujets plus préoccupants comme l’inflation et qu’un peu plus de privé en éducation serait bienvenu. La roue tourne. On répète.
Un chroniqueur, généralement du Devoir, souligne qu’il faudrait une « Commission Parent 2.0 », signe de l’engouffrement dans lequel nous nous trouvons, incapables que nous sommes de voir que notre époque a besoin de solutions qui ne sont plus celles du passé. Si la proposition de s’inspirer de la ferveur des travaux des années 1960 afin de restructurer le système d’éducation est louable, les pistes de solution ne se trouvent pas dans la répétition du même couplet sur un air nouveau.
On ne dit rien, ou le moins possible, de l’école à trois vitesses, cause principale des problèmes en éducation. On préfère là aussi l’inertie. Ne pas brusquer les écoles confessionnelles privées. Ne pas perdre le financement des parents des élèves des écoles privées qui forment les « élites » et contribuent à nos partis politiques. Ne pas brusquer la classe moyenne qui croit encore que le secteur public ne se porte pas si mal. Ne pas déplaire aux parents qui peuvent se permettre le « privé-dans-public » que sont les concentrations sportives et culturelles.
Plus globalement, on ne parle d’éducation que pour des raisons budgétaires. Comme si la dernière négociation collective avait réglé quoi que ce soit parce que les employés de l’État avaient réussi à ne pas trop s’appauvrir, pour une fois. Tout ce qui touche les tables sectorielles en éducation est rarement débattu publiquement, et encore moins entre les rondes de négociations. Or, c’est là que tout se joue.
Les cégeps
Rarement parle-t-on du cas précis des cégeps. Lors de la dernière négociation collective, il a été l’un des grands perdants de l’attention médiatique. Pourtant, il s’y joue un bouleversement qui ne semble intéresser réellement personne. En région, les classes sont vides. En ville, et particulièrement dans le Grand Montréal, les classes explosent.
On parle du manque d’infrastructures. Pourtant, il n’y a rien de surprenant à ce que la cohorte des jeunes actuels – que l’on qualifie parfois de mini baby-boom – qui a forcé l’ouverture de nouveaux établissements au primaire et au secondaire ait le même impact sur les établissements collégiaux. Un des réflexes des gouvernements aurait pu être de chercher à transférer ces étudiants vers les programmes des cégeps en région. Non seulement l’effort a-t-il été très peu soutenu, il n’a pas été accompagné d’un financement adéquat de ces institutions et des résidences pour étudiants.
Le gouvernement Legault préfère miser sur deux « solutions » qui sont non seulement néfastes pour l’apprentissage, mais aussi pour les conditions de travail. D’un côté, on propose d’ouvrir le « cadre-horaire » au-delà de 18h, soit jusqu’à 22h. Plusieurs cégeps ont d’ailleurs déjà emboité le pas. De l’autre, on demande de faire de l’enseignement à distance. La pandémie a montré sans le moindre doute l’inefficacité de cette méthode pédagogique pour des jeunes de 17-18 ans. Certains cégeps augmentent néanmoins sans arrêt l’offre de l’enseignement à distance.
Nous disons donc à cette génération que, si les autres avant elles ont obtenu des investissements, elle n’a pas droit au même respect, elle ne compte pas à la même hauteur. Elle devra se contenter de cours à distance ou le soir, voire la fin de semaine. Comme message d’accueil dans une société, il faut avouer que c’est raté.
Symbole des changements nécessaires
On ne voit pas que les « solutions » proposées ont en plus des impacts socioéconomiques néfastes. Qui, sinon les étudiants du collégial, travaillent dans les magasins et restaurants que l’on fréquente en soirée et les fins de semaine? Déjà que les experts voient une carence relationnelle chez plusieurs, ajouter des heures de cours à distance n’aide en rien la santé mentale. Deux exemples, parmi d’autres, pour montrer la courte vue derrière les solutions caquistes.
Le dépeuplement des cégeps des régions est une problématique complexe, mais elle n’est pas sans avoir des conséquences économiques, sociales et culturelles monstres sur les régions touchées. Mais qui au Québec s’intéresse aux régions, à part leurs habitants?
Là où les classes explosent, le phénomène se produit au même moment où le nombre d’étudiants à besoins particuliers (SAIDE, dans le jargon) est en pleine expansion. Non seulement les professeurs ne sont pas formés pour cette tranche de la population étudiante, mais cette augmentation a le même effet qu’aux autres échelons du système scolaire : alourdissement de la tâche enseignante et des contraintes à la pédagogie.
Mais le cégep est aussi présentement un lieu politique important. La lutte pour l’élargissement de la loi 101 au collégial est une lutte à la fois symbolique et concrète. Les centrales syndicales ont longtemps ralenti, voire retenu, ce combat. Pourtant, une large part des syndicats enseignants ont voté massivement en faveur d’une telle implantation. Là, comme ailleurs, les forces de l’inertie et celles du pouvoir établi se conjuguent. On continue, comme s’il le fallait assurément, dans la même direction. La situation est pourtant simple : les cégeps francophones perdent au change face aux cégeps anglophones. Il est plus que temps de changer le rapport de force.
Le cégep est un symbole des choses à changer au Québec : le rapport à la langue, aux régions, à l’enseignement et à la jeunesse. Il est grand temps que l’on sorte de la gestion quotidienne et qu’on travaille pour le futur du Québec.
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