Simon Rainville a le don de se placer et de placer son lecteur sur le fil de la lame; de lui faire voir l’ultime irrésolu et de le mettre face à face avec l’incontournable défi de résoudre l’irrésolu.
Premier cas de figure :l’historien comme intellectuel
Simon Rainville écrit : « Une subjectivité honnête est la seule façon de faire des sciences humaines ». Des sciences humaines où un sujet regarde d’autres sujets, où l’analyste est partie prenante de l’analyse. Simon Rainville a délibérément quitté le doctorat et le milieu universitaire. Il ne se voyait pas comme spécialiste. Comme intellectuel, oui.
Dans la formation peu raffinée de l’historien québécois, la règle numéro un de l’épistémologie est de lobotomiser la subjectivité. On cache son allégeance humaine, personnelle. La courbe des prix du blé de t à t’, d’accord. La bonne vieille description des institutions de la Révolution tranquille, va. Mais s’empêtrer dans les raisons du choix de telle recherche, attention.
Pour un historien, revenir sur son itinéraire n’est pas fréquent. Marcel Trudel, Serge Gagnon l’ont fait. L’abbé Groulx a laissé un journal personnel et des mémoires en quatre volumes remarquables. On comprend le sens de leur itinéraire, la subjectivité de leurs choix, les tenants de leur travail. Habitué à ne pas toucher à la subjectivité, l’historien commence rarement à le faire à 60 ans.
L’intellectuel sort de sa zone de compétence et de confort pour risquer une idée sur la place publique. Groulx l’a fait sa vie durant. Michel Brunet, Gérard Bouchard, Éric Bédard l’ont fait ou le font.
L’historien ne sait guère quoi faire avec sa subjectivité. L’intellectuel en part.
Deuxième cas de figure :passer de l’identitaire au politique
Simon Rainville mène son lecteur au bord de la falaise et de la mer à traverser. Il écrit : « Nous avons pris le raccourci d’utiliser l’adjectif ‘‘national’’ comme synonyme de ‘‘politique’’ ». Il dit vouloir « montrer qu’insister constamment sur notre distinction culturelle et identitaire est un piège, que cela nous éloigne de l’indépendance elle-même » et propose de « nous éloigner de notre propension à tout analyser en terme identitaire et culturel ». C’est le face à face existentiel même du nationalisme et du souverainisme.
Le cul-de-sac est connu. Groulx a élaboré une « doctrine » du nationalisme pour mieux mettre en place une « action » susceptible de la convertir en pays. Maurice Séguin a bien vu que le contrôle de l’économie, puis du politique menait quelque part; le culturel menait au piétinement. J’ai montré comment, après la nationalité politique parce qu’émancipatoire des patriotes, les réformistes s’étaient repliés sur un nationalisme culturel (la langue, la religion, la loi, les mœurs) sans mordant. C’est sur ce nationalisme culturel que le Québec a vécu jusqu’au début des années 1960. Daniel Jacques a aussi mis le doigt sur la fatigue politique après l’exploration par Hubert Aquin de la fatigue culturelle.
Puis vint 1995, ce qui ressembla le plus à ce qui aurait été un nationalisme politique, une souveraineté. Il y aurait alors eu un État derrière le « national » des institutions.
Signe de la persistance et de la survivance du nationalisme culturel et identitaire, des historiens conservateurs nationalistes (sont-ils souverainistes ?) proposent un retour au Canada français, au français dans le Canada, avec ses valeurs culturelles et identitaires, mais sans quelque projet d’émancipation.
La question qui tue :comment entrer dans le politique
Le référendum de 1995 fut le premier moment d’une possible bascule dans le politique, la deuxième tentative après 1980 de faire fleurir le militantisme indépendantiste d’après-guerre.
Telle est la question à laquelle Simon Rainville arrive. Nous la connaissons. Mais la réponse ne vient pas, n’est pas encore venue. Comment, à nouveau, franchir le passage de l’identitaire à la souveraineté politique ?
De génération en génération, on formule le défi. Cela fonde-t-il une véritable conscience historique, une conscience qui ne se satisfait pas du « Je me souviens », mais qui se construit sur le savoir de quoi je me souviens.
L’enseignement de « l’histoire nationale » suffit-il lorsqu’il s’agit de faire connaître les impasses, les inaccomplissements, le tango des nationalismes culturel et politique ? Que serait une histoire autre que cette de la répétition ?
On a certes recouru au principe des nationalités au 19e siècle pour dénoncer les empires. Le nationalisme du 20e siècle a aussi fait référence à l’impérialisme britannique. Mais ailleurs que dans la revue Parti pris (1963-1968), où a-t-on structuré l’idée de colonisation, de colonialisme au Québec ? Et pourtant, le nationalisme ne pouvait s’affirmer sans revenir sur l’impérialisme. Henri Bourassa l’a fait.
Comment formater l’éducation civique ? Que peut-on attendre d’une université numérique du PQ et du Bloc ? Ces moyens et d’autres pour franchir le pas du politique, y entrer.
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