C’est officiel. D’après un article du Financial Post, le gouvernement Trudeau a doublé la dette du Canada, qui était de 616 milliards $ quand il a pris le pouvoir et qui s’élève désormais à 1232 milliards. Mais qui profite d’une telle orgie de dépenses? Les familles ? Dans un texte paru sur le site de La Presse, le chercheur en agroalimentaire Sylvain Charlebois nous informe que, depuis 2015, l’insécurité alimentaire a augmenté de 111% au Canada et que l’endettement des ménages contribue beaucoup à ce phénomène. Les aînés ? Ils peuvent se compter chanceux d’avoir reçu l’habituelle pécune libérale, avec une hausse de 10% du Supplément de Revenu garanti, limitée aux personnes âgées 75 ans et plus.
Restent les membres de la fonction publique fédérale, mais tous n’obtiennent pas des conditions adéquates, comme le montre l’exemple des employés de Postes Canada. Les décisions prises au sein de cet organisme sont à l’image de la gestion libérale des dernières années : des dépenses massives, mais qui ne profitent pas aux gens ordinaires, qui voient leur pouvoir d’achat s’étioler. C’est ce que me révélait Renaud Viel, le président de la section montréalaise du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes (affilié FTQ au Québec), présentement en négociation pour une nouvelle convention collective. Voici notre entretien.
Orian Dorais : Remontons un peu dans le passé : quelles ont été les conséquences de la loi spéciale de 2018, qui a forcé le retour au travail lors de la dernière grève du STTP?
Renaud Viel : Il faut savoir que ce n’était pas la première fois que nous avions subi un tel traitement de la part du gouvernement. En 2011, les Conservateurs ont voté une loi spéciale; en 2018, c’était au tour des libéraux, qui ont forcé l’arbitrage, même si nos grèves tournantes n’ont pas causé de retards majeurs du courrier. La convention imposée par l’arbitre était insatisfaisante à plusieurs égards.
En 2022, le STTP a signé une entente de principe de deux ans avec l’employeur, qui garantissait quelques hausses salariales, mais qui, grosso modo, maintenait le statu quo des dernières années. Il faut comprendre qu’en 2022 les conditions de négos n’étaient pas idéales. Au sortir de la pandémie, les lignes d’approvisionnement étaient encore fluctuantes et l’avenir était incertain, donc nous avons signé. Mais, maintenant, Postes Canada voit les conséquences de ses abus d’autorité et des ententes insatisfaisantes : à Montréal, il y a eu 135 démissions en 2021, 118 en 2022, 68 en 2023 et – tenez-vous bien ! – 218 départs juste dans la première moitié de 2024. Il faudrait que l’employeur offre de meilleures conditions, mais, au contraire, il veut mettre la hache.
O.D. : Qu’est-ce que vous voulez dire par « mettre la hache » ?
R.V. : Je veux dire que la direction a faim. Il y a eu des pertes financières de l’ordre de 748 millions $ en 2023, à cause d’investissements qui ne se sont pas rentabilisés. Exemple, pendant la pandémie, ils ont dépensé plus de 400 millions $ pour un nouveau centre de tri, en anticipant que le volume de colis resterait similaire. Sauf qu’il est retombé en 2022, puisqu’après le confinement les gens sont retournés magasiner en personne. Ce n’était pas dur à prévoir. Maintenant, les boss cherchent à couper pour compenser les conséquences de leurs mauvaises décisions.
À la table de négociations, la partie patronale a plusieurs demandes : fin de la rémunération à temps double pour les heures supplémentaires, fin des congés de récupération pour nos membres qui travaillent de nuit, fin de la régularité des itinéraires qui garantit à nos collègues de faire des zones connues (ils pourraient maintenant être envoyés dans de nouveaux quartiers, ce qui engendre de l’instabilité et, donc, du stress).
Parlant d’irrégularité, je rappelle que les horaires sont assez changeants; des quarts de travail peuvent parfois commencer entre 10h30 et 11h30, donc pendant les pics de chaleur l’été. Comment favoriser la conciliation travail-famille quand tu commences ta journée plus tard que tout le monde et que tu rentres bien après le souper?
Postes Canada veut installer des radars « télématiques » dans les véhicules pour surveiller les déplacements, soi-disant pour des raisons de sécurité, mais aussi pour surveiller. En plus, après la disparition du Publisac, Postes Canada a créé Raddar en remplacement, donc un nouveau sac de circulaires, qui augmente de beaucoup le poids du sac de postes. Depuis, on a vu une grosse augmentation du nombre de blessures aux épaules et aux dos, donc une dégradation de la santé au travail.
O.D. : Ça donne envie de travailler à Postes-Canada…
R.V. : Ouais (rires). Avant, dans les partys de famille, on entendait souvent la parenté nous dire « toi t’es confortable, aux postes », mais c’est vraiment pas ça aujourd’hui. Et ça pourrait être pire pour les gens qui rentrent dans les prochaines années ! La direction demande que les nouvelles recrues aient un fonds de pension différent, à cotisation déterminée, alors qu’en ce moment c’est à prestation déterminée.
L’employeur veut aussi réduire l’accès aux congés annuels pour les nouveaux membres et réformer les assurances collectives. En ce moment, nous sommes 55 000 sur le même régime, mais la direction veut fragmenter ça en plusieurs plus petits régimes, avec différentes gammes de services, ce qui va faire augmenter les primes. Diviser pour mieux régner, c’est ça Postes Canada aujourd’hui.
O.D. : Mais donc, quelles sont VOS revendications pour cette ronde?
R.V. : D’abord, on va aller récupérer notre pouvoir d’achat. 12, 65% la première année, 4,5% la deuxième. On voulait commencer par le rattrapage de l’inflation, donc on a juste fait des demandes pour les deux premières années, avec des primes si l’inflation devenait trop importante, mais Postes Canada a répondu par un « non » sec, sans faire de contre-offre. Je rappelle que le PDG a une rémunération entre 550 000$ et 650 000$, mais il n’y a pas assez d’argent pour les gens en bas de l’échelle…
On demande aussi le retrait préventif avec salaire pour toutes les employées enceintes ou allaitantes. On veut maintenir les congés annuels et les congés de récupération tels qu’ils sont, et même de les étendre un peu.
Enfin, le personnel de Postes Canada est divisé entre des unités urbaines et suburbaines-rurales. Dans les zones rurales, les gens ne sont pas payés à l’heure, mais à la route. Par exemple, telle route à travers trois villages est payée 250$, qu’elle prenne quatre ou six heures à faire. On veut instaurer le taux horaire pour les unités rurales suburbaines. D’ailleurs, les employés de ces unités-là doivent payer de leur poche un véhicule conforme aux exigences de Postes Canada, s’ils veulent travailler. On veut que ce soit l’employeur qui fournisse les véhicules. La direction a dépensé plus de 200 millions pour « motoriser » les unités urbaines, alors que bien des routes se faisaient facilement à pied, mais on refuse de payer les véhicules de services en région. Et quand l’employeur a décidé de motoriser les unités urbaines, il a surtout commandé des véhicules hybrides ou électriques, comme pour montrer combien Postes Canada est écologique… même si on nous fait distribuer plein de circulaires papier.
O.D. : Bonjour l’écoblanchiment… Et si votre direction est si progressiste, comment se fait-il que vos membres soient sans convention depuis neuf mois?
R.V. : En fait, les unités rurales sont sans convention depuis le 1er janvier 2024, les unités urbaines depuis le 1er février 2024, mais dans tous les cas, le syndicat a commencé à négocier en novembre 2023. Ça va bientôt faire un an que ça traine. J’ai peur qu’il y ait des discussions de coulisses et que la direction essaie de convaincre le gouvernement d’encore imposer une loi spéciale, c’est pourquoi elle ne prend même pas la peine de négocier de bonne foi.
Mais le syndicat ne se laissera pas faire; en ce moment, nous menons des votes de grève. Nous méritons mieux qu’un retour au travail forcé, les employés n’ont pas causé les déficits. Et si la direction veut combler ses pertes, pas besoin d’utiliser des coupes; elle peut diversifier ses activités, Postes Canada a déjà des infrastructures partout. Une mauvaise convention rendrait plus difficile d’attirer et retenir du personnel. À terme, on met en danger la poste, un service essentiel, surtout dans les régions éloignées.
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