S’il y a un constat qui semble faire consensus au Québec comme au Canada, c’est que la croissance fulgurante de l’immigration temporaire ces dernières années a mis trop de pression sur la disponibilité du logement, sur les services publics, sur la qualité de vie et, au Québec, on peut ajouter sur la pérennité de la langue française.
Examinons donc les revendications ou engagements publics visant le renversement de la tendance, les pistes de solutions, qui détient le pouvoir sur chacune des pistes et les enjeux liés à des échéances trop courtes.
Objectifs chiffrés : écart entre Québec et Ottawa
Monsieur Legault, depuis plusieurs mois, martèle sa demande au fédéral de réduire de moitié le nombre de résidents non permanents (RNP) au Québec. Aucune date d’échéance n’a été proposée, mais l’invitation d’agir est très pressante.
L’objectif général annoncé par le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, est de réduire les RNP à 5 pour cent de la population totale du Canada en 2027.
Au Québec, en date du 1er juillet 2024, 27,7 % des RNP sont des demandeurs d’asile, comparé à 13,8 % en Ontario et seulement 4,4 % dans les autres provinces. Nous reviendrons à l’importance de cette distinction plus tard.
Appliqués aux données de population récemment publiées, et si le fédéral applique le même objectif de 5 % à chaque province, l’objectif fédéral pour le Québec est de réduire les RNP à 452 802. La CAQ veut les voir baisser à 294 132.
Puisque la population va sûrement continuer à croître, au moins à court terme, les chiffres réels de ces objectifs augmenteront d’ici 2027. L’écart entre les deux objectifs est énorme.
Notons que ni Québec ni Ottawa n’ont documenté le raisonnement derrière ces objectifs. Aucune mesure de la capacité d’accueil n’est proposée dans un cas ou dans l’autre.
Trois actions pour réduire le nombre de résidents non permanents
Les permis temporaires sont accordés dans le cadre de trois programmes, celui des étudiants étrangers, celui des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et celui de la mobilité internationale (PMI).
Suggérer que ce n’est que le fédéral qui peut réduire le nombre de personnes à statut temporaire au Québec, ou même que le fédéral contrôle la grande majorité de ces permis est faux.
1. Baisser le nombre de permis délivrés (ou renouvelés)
L’interprétation traditionnelle de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration fait en sorte que le Québec approuve préalablement les permis d’études et les permis délivrés dans le cadre du PTET. Il s’agit de plus de 60 % des permis délivrés au Québec.
a) Permis d’étude
Les décisions prises par le Québec à ce jour relatives aux permis d’études ont été liées à la question linguistique et non spécifiquement à la réduction de leur nombre, mais il est clair que le gouvernement du Québec, comme celui de n’importe quelle province, contrôle le nombre de permis d’études grâce sa compétence en matière d’éducation. L’ancienne ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, a déclaré que le Québec annoncera d’autres initiatives cet automne concernant les permis d’études.
b) Programme des travailleurs étrangers temporaires
Quant aux permis délivrés dans le cadre du PTET, leur nombre au Québec a augmenté très rapidement dans les dernières années à la suite des décisions du gouvernement Legault, particulièrement dans le volet des emplois à bas salaires.
De plus, le Québec s’est entendu avec le fédéral sur une liste de près de 300 occupations pour lesquelles les employeurs n’ont pas l’obligation d’afficher localement. Il est le seul gouvernement provincial avec une telle entente. Ce n’est que tout récemment que la ministre Fréchette a agi pour abaisser le nombre de RNP avec l’annonce d’une suspension de six mois des approbations d’embauche par le PTET pour certaines occupations dans la région métropolitaine.
c) Programme de mobilité internationale
En ce qui concerne le PMI, comme déjà démontré, le Québec détient un contrôle sur les permis délivrés dans le cadre de ce programme, soit par l’Accord Canada-Québec, soit par sa compétence constitutionnelle en immigration. Jusqu'à ce jour, le gouvernement ne semble pas vouloir exploiter ce pouvoir potentiel.
Cela étant dit, le Québec s’est déjà servi de sa compétence en éducation pour agir sur les critères d’admissibilité du permis de travail post-diplôme (PMI) en retirant certains programmes de la liste d’établissements d’enseignement désignés.
Pendant ce temps, au fédéral…
Au fédéral, depuis un an, Marc Miller, avec le soutien du ministre de l’Emploi, Randy Boissonnault, multiplie les annonces de rétropédalage à une vitesse étourdissante, sur tous les programmes temporaires, et ce n’est pas fini.
La réduction des permis d’études ne touche pas le Québec parce qu’elle est appliquée au prorata des populations provinciales. Le Québec n’accueille pas sa part des étudiantes et étudiants étrangers canadiens. Les annonces relatives au PTET et du PMI ne sont pas chiffrées.
Quant aux demandeurs d’asile, il est téméraire de les inclure dans l’objectif de 5 % de RNP en 2027 parce que le nombre d’entrées et de sorties de ce groupe n’est pas planifiable. Le nombre de demandes dépendra du contexte international. Ensuite, il faut estimer le délai de traitement pour une décision définitive, ainsi que le nombre de demandes qui seront acceptées donnant lieu à la résidence permanente.
On peut présumer que la répartition des demandeurs d’asile s’appliquera aux nouvelles demandes. N’oublions pas, les demandeurs d’asile représentaient plus du quart des RNP au Québec (au 1er juillet dernier)! Il faudra donc encore plus de temps pour atteindre les baisses de RNP au Québec que dans les autres provinces.
2. Offrir un statut permanent aux personnes à statut temporaire
Grâce à l’Accord, le Québec détient les pleins pouvoirs dans ce domaine parce qu’il est responsable des critères de sélection sur son territoire et peut offrir un Certificat de sélection à qui il veut. Il contrôle aussi leur nombre. Mais cette option est exclue actuellement par les deux gouvernements parce qu’ils refusent d’augmenter les seuils d’immigration permanente pour des raisons électoralistes et partisanes.
3. S’assurer de la sortie des personnes lorsque le permis est expiré
Près de 100 % des RNP au pays actuellement, à l’exception de certains demandeurs d’asile, ont des permis qui vont expirer avant 2027 et, pourtant, on se trouve dans l’obscurité totale en ce qui concerne le nombre de personnes qui devront quitter le pays pour atteindre les objectifs gouvernementaux.
Statistique Canada tient compte RNP avec un permis expiré en cours de renouvellement. Si le permis n’est pas renouvelé, on tient pour acquis que la personne a quitté le pays après une période déterminée. Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada (IRCC) ne fournit pas non plus de données sur le nombre de personnes avec un permis sur le point d’expirer, encore moins sur le nombre de celles dont le permis est expiré, mais qui n’ont pas quitté le pays.
Nous ne savons pas non plus combien veulent ou ont l’intention de rester. De toute manière, les gouvernements n’ont pas l'intention d'augmenter les seuils d’immigration permanente.
Ni le Québec ni le Canada n’ont abordé la question du nombre de non-renouvellements que ça prendra pour atteindre les baisses ciblées ou revendiquées.
La Banque du Canada évalue qu’il faudrait réduire « d’environ 70 à 80 % par année en moyenne pendant trois ans l’afflux brut de nouveaux arrivants faisant partie des différents programmes » (Études, PTET, PMI et demandeurs d’asile) pour atteindre l’objectif fédéral. Il est clair que les mesures déjà annoncées sont très loin de ces proportions. Un économiste canadien estime qu’à peu près un million de personnes devront quitter le pays pour atteindre la cible à temps.
Prenons le temps de bien faire, ensemble
À défaut de trouver des réponses à des questions sur les personnes à statut temporaire déjà présentes sur le territoire, viser ou réclamer une baisse drastique et rapide dans le nombre de RNP revient à accepter, ou pire à encourager, des sorties massives, volontaires ou non, de ces personnes.
Les sondages, les uns après les autres, font état d’opinions d’ouverture des Québécoises et Québécois et démontrent qu’ils ne seraient pas d’accord avec un tel discours. Il est temps d’être honnête et transparent. La mauvaise gestion de la part des deux gouvernements nous a mis dans un pétrin où des centaines de milliers de personnes de l’étranger ont été invitées chez nous, très souvent avec la promesse de pouvoir s’y établir et entreprendre une nouvelle vie en sécurité, mais sans aucune garantie. Il faudra plus que trois ans et beaucoup de sagesse et de cœur pour corriger le tir.
Le nouveau ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, est tenu de faire des consultations l’année prochaine en vue de la prochaine planification pluriannuelle de l’immigration au Québec. Pour citer Maxime Pedneault-Jobin, qui demande la tenue d’un Sommet pour aborder l’ensemble des nombreux enjeux liés à l’immigration au Québec, « notre capacité de gérer le dossier de l’immigration est cruciale pour notre avenir. Il faut s’en parler. Il faut faire le point. Il faut mobiliser le plus d’organisations possible vers un même objectif. Il faut innover. Tous ensemble ».
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