L’auteur est député du Bloc Québécois
À Ottawa, le NPD a rompu son entente avec le Parti libéral à la fin de l’été. Le retour d’un gouvernement minoritaire a ouvert une fenêtre d’opportunités au Bloc pour faire des gains pour les Québécoises et Québécois.
Même si le Bloc Québécois continue à porter les mêmes revendications qu’avant la fin de l’entente, le parti a lié le maintien de son appui au gouvernement, à brève échéance, à l’adoption de deux projets de loi, tout en précisant qu’en aucun cas leur adoption ne peut servir de monnaie d’échange pour un vote qui irait à l’encontre des intérêts du Québec. Le gouvernement n’a qu’à présenter des projets de loi bons pour le Québec.
Les deux projets de loi concernent la hausse de la Sécurité de vieillesse dès 65 ans et la protection de la gestion de l’offre dans les accords de libre-échange. Ils ont été rédigés et présentés par le Bloc et non par le gouvernement. À Ottawa, un certain nombre de députés, issus de tous les partis sélectionnés par un tirage au sort, ont la possibilité de présenter un projet de loi.
Ces deux projets de loi reflètent des engagements passés du Bloc et ont reçu l’appui des différents partis. Par exemple, celui qui protège la gestion de l’offre a été adopté à la Chambre des communes et stagne au Sénat depuis bientôt un an et demi. Celui concernant les aînés est rendu à la dernière lecture en Chambre.
La Sécurité de la vieillesse
Au cours des dernières décennies, les différents gouvernements à Ottawa ont mis à mal le programme de Pension de la Sécurité de vieillesse destiné aux aînés de 65 ans et plus en supprimant son indexation à l’évolution des salaires. En 1971, la pension de vieillesse représentait 20% du salaire industriel moyen. Aujourd’hui, c’est 12%. Pas étonnant que le Canada se classe désormais en queue de peloton pour le revenu de remplacement des travailleuses et des travailleurs qui prennent leur retraite. En effet, selon l’OCDE, le Canada est l’un des pays industrialisés où la population subit la plus forte baisse de son pouvoir d’achat lorsqu’elle prend sa retraite.
Un rattrapage s’imposait depuis longtemps. Or, l’actuel gouvernement a choisi de ne le faire que pour les personnes âgées de 75 ans et plus, créant ainsi deux classes d’aînés et condamnant plusieurs personnes entre 65 et 74 ans à la précarité.
Le projet de loi C-319, présenté par ma collègue Andréanne Larouche et codéfendu avec Louise Chabot, vise à rétablir l’équité en augmentant la Sécurité de vieillesse de 10% pour le groupe d’âge de 65 à 74 ans. Rappelons que cette prestation est l’un des rares programmes sociaux clairement de juridiction fédérale. Au lieu de s’épivarder dans ses multiples ingérences dans les champs de compétence des provinces, le gouvernement fédéral doit se concentrer à mener à bien ses missions fondamentales.
Le Directeur parlementaire du budget a estimé le coût de cette mesure à trois milliards $ par année, soit 0,57% du budget fédéral. Lorsqu’un projet de loi qui entraîne de nouvelles dépenses est présenté par un député de l’opposition, le gouvernement doit lui octroyer la « recommandation royale », sans quoi il meurt au feuilleton. D’où la demande du Bloc Québécois à cet égard.
Trois milliards $, c’est beaucoup d’argent. C’est le coût annuel nécessaire pour rétablir l’équité chez les aînés dès 65 ans. Rappelons à titre comparatif que ce même gouvernement a choisi de dépenser 34 milliards $ pour soutenir l’industrie pétrolière avec son oléoduc TransMountain. Il a aussi accouché d’un plan de 83 milliards $ en différentes subventions essentiellement destinées à l’industrie des hydrocarbures, comme le captage du carbone, l’installation de réacteurs nucléaires à même les sables bitumineux ou la transformation de gaz naturel en hydrogène. Tout cela pour une industrie qui engrange des profits records. Enfin, rappelons qu’il a choisi de confier la gestion de son assurance dentaire à la Sun Life, qui demande deux milliards $ uniquement pour son administration.
Il est important de rappeler que la Sécurité de vieillesse est un programme universel. Un même traitement pour tous, financé à partir de l’impôt qui doit être progressif, c’est-à-dire où les plus hauts revenus contribuent davantage. C’est la base de la social-démocratie. Rappelons que les prestations sont réduites à partir de 79 000 $ puis coupées rendu à 128 000 $.
Le système actuel permet à une personne de gagner 5 000 $ en revenus de travail avant d’être pénalisée. Le projet de loi du Bloc propose aussi de faire passer ce seuil à 6 500 $. Enfin, il est à noter que la hausse de 10% de la Sécurité de vieillesse ne diminuera pas les prestations provenant du Supplément de revenu garanti pour les moins nantis.
L’épargne individuelle est très inégale chez les retraités. Souvent, les emplois moins bien rémunérés sont plus pénibles et sont accompagnés de régimes de pension moins généreux. Ce sont ces travailleuses et travailleurs retraités que vise particulièrement le projet de loi C-319.
Aussi, il n’est pas étonnant que les femmes aînées soient surreprésentées dans les statistiques sur la pauvreté. Souvent, elles sont restées à la maison pour s’occuper de la famille et sont aidantes naturelles pour les parents et/ou le mari malade. Elles se retrouvent seules avec des moyens réduits en n’ayant pas eu la possibilité d’accumuler un fonds de pension à la hauteur de leurs besoins. La bonification du programme social peut faire une grande différence pour elles.
C’est pour tout ça que le Bloc Québécois en fait une condition à la survie à brève échéance du gouvernement. Avec une date limite parce que les Libéraux sont passés maîtres dans l’art de conjuguer les beaux discours aux excuses pour ne pas agir.
La gestion de l’offre
L’autre condition est l’adoption par le Sénat du projet de loi C-282. Il a pour objectif d’empêcher le gouvernement de concéder des pans de la gestion de l’offre en agriculture dans ses négociations d’accords commerciaux avec d’autres pays. Le projet de loi C-282 est présenté par le député Luc Thériault et codéfendu avec Yves Perron et Simon-Pierre Savard-Tremblay.
La gestion de l’offre est le programme qui encadre la production de lait, de volailles et des œufs. Ces produits sont destinés uniquement à la consommation intérieure et ne sont pas exportés. Le programme est basé sur un système de quotas pour que la quantité produite corresponde à la demande et où le prix est déterminé par la structure de coûts de la filière. S’ensuivent moins de gaspillage et des prix plus stables, sans être plus élevés.
Le gouvernement a bradé des pans de ce programme dans ses trois derniers accords internationaux avec l’Europe (AECG), les pays du Pacifique (PTPGT) et les États-Unis (ACEUM). Plus du tiers de l’agriculture québécoise dépend de ce programme dont le gouvernement voudrait se servir comme monnaie d’échange.
Le projet de loi intègre la protection du système de gestion de l’offre dans les « responsabilités » du ministre. Il ajoute la gestion de l’offre à la liste des directives, dont le ministre doit tenir compte dans « la conduite des affaires extérieures du Canada, notamment en matière de commerce international (…) ».
Les milieux financiers de Bay Street et de l’agrobusiness de l’Ouest tournés vers l’exportation exercent des pressions considérables sur le gouvernement pour l’inciter à céder de nouveaux pans dans les prochains accords. Or, s’assurer d’un modèle agricole fort basé sur les fermes familiales est essentiel pour l’économie et la vitalité des régions. Une fois la loi adoptée, le gouvernement devrait porter l’odieux de défaire la loi afin de sacrifier la gestion de l’offre. Ce ne sera pas simple.
Le projet de loi C-282 est au Sénat depuis juin 2023. Les non-élus semblent vouloir bloquer les travaux des élus en se traînant les pieds et en espérant que les élections seront déclenchées avant qu’ils l’aient étudié. Au Sénat, le lobby de l’agrobusiness pèse plus lourd que la volonté des élus. C’est inacceptable. Puisque l’actuel premier ministre a nommé 80% des sénateurs actuels, le Bloc demande au gouvernement de faire pression sur le Sénat pour adopter C-282 au plus vite.
Le Bloc Québécois est en position de faire adopter ces deux projets de loi, qui vont dans le sens des intérêts des Québécoises et Québécois, sans aller à l’encontre de ceux du Canada. Les prochaines semaines nous diront si le gouvernement actuel a une quelconque sensibilité à l’égard du Québec.
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