L’auteur est syndicaliste

Il y a quelques jours, lors d’une mêlée de presse, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, en réponse aux journalistes qui lui demandaient si le gouvernement de la CAQ instaurait des mesures d’austérité, a déclaré : « Ce n’est pas vrai, il n’y a pas d’austérité; ce n’est pas vrai, il n’y a pas de coupures, c’est mon message! »

On reconnait bien là la méthode caquiste pour mettre le couvercle sur la marmite face à une situation dont ils ne veulent pas entendre parler. C’est simple! On nie son existence! Et en niant son existence, la chose n’existe pas, c’est tout!

On a eu droit au même manège avec la crise du logement. En dépit du fait que l’ensemble des observateurs levaient un drapeau rouge et réclamaient une action rapide devant un manque criant de logements à prix abordable, notre bon gouvernement niait le tout! Et voilà! La crise du logement n’existait pas pour la CAQ pendant son premier mandat.

La ministre Lebel a également déclaré qu’il fallait parler de « réduction de la croissance des dépenses » et non pas de réduction des dépenses. C’est ce genre de « ligne de communication » qui rend la population cynique face à la politique.

Pour ma part, je trouve une telle déclaration méprisante pour notre intelligence. La ministre nous dit ni plus ni moins que les personnes qui affirment que des coupures ont été instaurées dans les services publics ont tout faux, qu’elles ne comprennent pas comment les finances publiques fonctionnent et que, dans sa grande magnanimité, elle va nous l’expliquer, à nous simples citoyens.

L’austérité en marche

Pourtant, ce ne sont pas les exemples de mesures d’austérité et de compressions qui manquent. Il y a le gel d’embauche et les coupures des heures supplémentaires décrétées au ministère des Transports et de la Mobilité.

Le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec, Marc-André Martin, a déclaré avoir observé d’autres changements au ministère. Selon ses dires : « On coupe partout. On coupe même dans l’entretien du réseau. On doit trouver de l’argent et on arrête même des projets qui sont en cours de réalisation. »

On constate le même genre d’attitude au ministère de l’Éducation et au ministère de l’Enseignement supérieur. Coupures de 400 millions $ dans l’entretien des écoles primaires et secondaires annoncées l’été dernier et en septembre, coupures pouvant aller jusqu’à 60% du budget des cégeps.

Autre exemple : la ministre Chantal Rouleau a déposé un projet de loi qui vise « à moderniser » le régime d’assistance sociale. À la lecture du projet de loi, le Collectif pour un Québec sans pauvreté et le Front commun des personnes assistées sociales du Québec ont demandé à la ministre responsable du dossier de les rassurer. Selon eux, l’article 25 du projet de loi vient réduire le nombre de motifs donnant droit à une allocation supplémentaire pour contrainte temporaire.

Parmi les personnes qui se verraient touchées par cette modification, les plus nombreuses sont celles comptant un enfant à charge ou en situation de handicap (environ 9 000 personnes) et celles de 58 ans et plus (environ 30 000 personnes). Dans le projet de loi, il est spécifié que ces mesures s’appliqueraient aux nouvelles personnes ayant recours à l’assistance sociale. Les personnes déjà inscrites au programme seraient épargnées.

C’est peut-être là un avant-goût de la méthode que compte utiliser le gouvernement de la CAQ dans l’atteinte du déficit zéro « en douceur », pour utiliser l’expression du ministre des Finances. C’est la méthode « Ne vous en faites pas, personne n’est touchée par la nouvelle mesure. Seuls les nouveaux bénéficiaires le seront ». À suivre....

La francisation, dossier si cher à M. Legault, n’échappe pas aux coupures. Depuis le 23 septembre, la participation gouvernementale de 28 $ par jour ne sera plus versée aux personnes qui débuteront ou qui poursuivent un cours de francisation à temps partiel, peut-on lire sur le site du gouvernement. La CAQ a aussi mis fin à l’allocation pour la francisation versée aux employés des entreprises comptant 100 employés et plus. Seule la compensation financière pour les cours à temps complet sera maintenue.

Retour à la période Couillard

Toutes ces mesures ont bien entendu été prises sans grande consultation. Il ne faudrait surtout pas que notre bon gouvernement change ses bonnes pratiques. Après tout, la CAQ a toujours su ce qui était bon pour nous. Pourquoi perdre du temps à consulter les personnes concernées.

Devant toutes ces mesures d’austérité, des travailleuses et des travailleurs de l’État ont commencé à dire qu’ils ont l’impression d’être revenus en 2014, à la période d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard.

La ministre Lebel peut bien répéter ad nauseam que ce n’est pas vrai, les mesures adoptées depuis quelques mois par différents ministères sont bel et bien des mesures d’austérité. Comme on dit : « Quand ça a quatre pattes, du poil et que ça miaule, c’est un chat! »

Tout ça augure mal pour le dépôt du budget prévu au printemps 2025. J’entends déjà nos bons analystes politiques et commentateurs de droite nous chanter en cœur leur bonne vieille rengaine des années 1990-2000 : On n’a plus les moyens de se payer ces services publics; il faut vivre selon nos moyens; il y a trop de fonctionnaires dans l’appareil de l’État, il faut dégraisser la fonction publique; le déficit est trop lourd, il faut couper; il faut arrêter de payer nos services publics avec notre carte de crédit; il faut dérèglementer, il y a trop de paperasserie dans les ministères, tout cela nuit à la compétitivité de nos entreprises et, l’ultime formule magique qui règle tout, il faut privatiser, tout privatiser! Le privé coûte moins cher et est beaucoup plus efficace! Un bon vieux retour dans le passé inefficace que nous avons connu il y a 25-30 ans.

Le Protecteur du citoyen dans son rapport annuel 2023-2024 nous livre, à mon avis, un message intéressant et inspirant. Le Rapport s’intitule: « Humanité et responsabilité : les services publics face à leurs grandes missions ». Il débute par ces mots: « Le souci d’humaniser les services publics et de les adapter aux personnes qui les reçoivent relève d’une priorité attendue de l’État. »

Monsieur Legault, si vous voulez faire les choses autrement – comme vous l’avez annoncé lors de votre élection de 2018 – si vous voulez honorer la confiance que le peuple québécois vous a accordée deux fois plutôt qu’une, en vous donnant les coudées franches avec une super-majorité à l’Assemblée nationale, inspirez-vous du message du Protecteur du citoyen dans vos prises de décision, surtout dans la gestion des finances publiques.

Il faut sortir du paradigme de la méthode comptable où les chiffres sont au centre des prises de décision. Il faut sortir des vieilles idées économiques des années 1990-2000 où le capitalisme sauvage faisait foi de tout.

Monsieur Legault, ayez le courage politique de faire les choses différemment. Les besoins et le bien-être de la population du Québec doivent être au centre de toutes vos décisions.