L'autrice est chargée des communications à Mères au front
La date du 13 octobre 2024 restera marquée dans l’esprit de la communauté de Rouyn-Noranda et de la population québécoise, alors que des Mères au front, militant·es et artistes telles Ève Landry, Véronique Côté, Anaïs Barbeau Lavalette, ainsi que Laure Waridel, se sont glissées sous un wagon aux pieds de la Fonderie Horne, rappelant que les intrants importés par la multinationale et incinérés à même l’usine, contribuent largement à la contamination de la ville et à la mise en danger de sa population. Immobiles et silencieuses, elles sont demeurées sur les rails environ une heure, une photo d’enfant posée sur leur poitrine, représentant celles et ceux pour qui elles luttent, demandant à nos gouvernements de les protéger en exigeant que la Fonderie Horne respecte les normes d’émission d’arsenic établies au Québec dès maintenant.
« Depuis plus de deux ans, les mères de Rouyn-Noranda ont tenté et épuisé tous les moyens de se faire entendre. Si le gouvernement est resté sourd à ces appels, plusieurs mères, pères et artistes nous ont entendues. Ils et elles ont décidé de nous prêter main-forte parce que ce qui se passe à Rouyn-Noranda pourrait se reproduire n'importe où. » explique Isabelle-Fortin Rondeau, du groupe de Mères au front Rouyn-Noranda
Ce sont plus de 500 personnes qui se sont rassemblées dans les rues, dont plusieurs sont venues de différentes villes au Québec, solidaires à la communauté de Rouyn-Noranda, pour revendiquer le droit à une qualité de l’air sans risque pour la santé, et le droit à un environnement sain et sécuritaire.
Isabelle Fortin-Rondeau, résidente de Rouyn-Noranda et mère au front, ainsi que Diane Polson, conseillère politique au conseil de la communauté anishnabe de Long Point, ont ouvert la marche rappelant que, malgré les défis immenses sur le territoire, nous pouvons être reconnaissant·es d’unir ainsi nos forces, solidaires dans une même lutte pour récupérer les droits bafoués des premiers peuples et de la population.
« On compatit pour les cancers, l'amputation, les douleurs fantômes, les années de souffrance. C'est juste que ce serait plus simple pour nous si tu pouvais vivre tout ça dans le silence. » - Extrait du texte OMERTÀ, Simon Turcotte.
L’Omertà des commandites avec le nom de Glencore se retrouvant à peu près partout dans la ville, le très controversé projet Horne 5, les craintes de la population pour leur santé, leur survie, sont certains des sujets qui ont été abordés dans les lectures et les prises de parole au fil de la procession qui avançait vers le site de la Fonderie. Copper Crib, une troupe de danse locale très engagée dans cette lutte, a également performé dans la rue.
« si la lune est d’argent et le silence d’or
notre parole sera de lumière
pour faire croître un avenir
dans les mains des enfants
leur offrir autre chose
que des bouquets de pierres noires
sur des socles de béton »
- Extrait du texte de Marc-André Larose
C’est avec une émotion non dissimulée qu’Alexandre Castonguay a livré un texte sur sa vie à Rouyn-Noranda, de l’enfance à l’âge adulte, avant de nous inviter à parcourir les derniers mètres en silence. Chemin faisant, nous avons pu entendre dans les haut-parleurs des extraits d'entrevues effectuées avec les résident·es de la « Zone tampon » dont la première maison a été détruite en décembre 2023.
« Le labyrinthe n’est pas sous terre, non, on est dedans, là, maintenant. Il est fait d’humains, d’identité, de job, d’insécurité, fait de lois à pu finir, d’amendements, de ministères qui changent de noms, de lobbying, et au coeur, enfin, en guise de Minotaure, un politicien sans tête de taureau et pas du tout méchant, un bonhomme ordinaire, traditionnel, passif les culottes à terre et qui attend qu’on lui dise comment attacher sa ceinture. » - Extrait du texte d’Alexandre Castonguay
Des témoignages touchants, des performances poignantes et des actions aux symboliques puissantes ont été déployés, accompagnés par la musique de Chloé Lacasse qui a interprété la chanson Va-t’en pas, de Richard Desjardins, juchée sur la scène installée devant la gigantesque usine.
Pour le tableau final, Ève Landry, Anaïs Barbeau-Lavalette, Steve Gagnon, Véronique Côté et Laure Waridel ont livré une performance bouleversante, dévoilant tour à tour les parties de leur corps symboliquement « malades » ou l’ayant été, peintes en noir pour en simuler la putréfaction. Le texte de Véronique Côté, diffusé en trame de fond pendant la performance, était troublant de vérité. Des mères au front se sont massées autour de la scène, arborant des photos des enfants qu’elles protègent. La mise en scène renvoyait à l’image de Rouyn-Noranda, zone sacrifiée du Québec, abandonnée par les gouvernements.
«Tu vis dans une ville que tu aimes, où tu as passé toute ta vie. Depuis peu, tu sais avec certitude qu’habiter ici t’empoisonne depuis le début de ton existence.» - Extrait du texte écrit par Véronique Côté.
Pendant que Chloé Lacasse entonnait la pièce de conclusion, Nataq, de Richard Desjardins, les artistes et certaines mères au front se sont couché·es sous les wagons arrivés sur les rails longeant la fonderie pendant la performance, pour symboliser l’extrême urgence de se faire entendre. C’est à cet endroit que les intrants venant des États-Unis, d’Europe et de certains pays d’Asie arrivent, composés de plusieurs milliers de tonnes de matériaux contaminés contenant entre autres de hauts pourcentages de plomb et d’arsenic.
Malgré l’intervention policière visant essentiellement à assurer la sécurité des personnes couchées sur les rails, toute l’action s’est déroulée de manière pacifique et sans esclandres.
Bien plus qu’une question environnementale, Rouyn est l’exemple flagrant d’un cas qui devrait sérieusement être considéré par la santé publique. En plus d’exposer les innombrables lacunes environnementales et humaines au sein de la vision globale du développement économique du Québec, elle démontre le laxisme inconsidéré du gouvernement. Celui-ci accepte, encore aujourd’hui, et non pas uniquement à Rouyn-Noranda, de sacrifier des populations à proximité d'usines, de mines, d'industries, prétextant le bien de l'économie québécoise.
La population de Rouyn-Noranda en a assez d’être une zone sacrifiée du Québec, de se voir exposée à des risques accrus de maladie du système nerveux, de cancers du poumon et des voies urinaires, à un plus grand nombre de naissances de bébé de faible poids, et des cas de grossesse défavorables. L’évidence est là. Les faits aussi. Il incombe maintenant au gouvernement d’agir de manière sensée et humaine.
« Nous reviendrons mettre la lumière sur votre lâcheté tant que vous ne ferez pas respecter ce droit. Nous continuerons de ramener ce débat dans l’espace public tant que ce ne sera pas réglé. Il faut que la vérité sorte de l’Abitibi. Il ne sera pas question de se fermer la gueule. » - Extrait du texte final écrit par Véronique Côté.
Rappelons que l’autorisation ministérielle entérinée en 2023 demeure largement insatisfaisante, permettant toujours à la Fonderie Horne de rejeter dans l’air de Rouyn-Noranda des quantités allant jusqu’à 15 fois la norme nationale sur l’arsenic, celle-ci étant établie à 3 ng/m3. Selon ladite entente, la Fonderie Horne est seulement tenue à graduellement diminuer les émissions à 15 ng/m3 (soit cinq fois la norme), avant de présenter un éventuel plan. Pour permettre l’obtention de métaux critiques, le gouvernement québécois accepte d’exposer la population à des taux d’arsenic qu’il sait lui-même être dangereux.
Depuis des années, la population de Rouyn-Noranda est exposée à de l’arsenic, du plomb, du cadmium, du nickel, du cuivre et du dioxyde de soufre à des taux beaucoup plus élevés que partout ailleurs au Québec. Au moins 25 contaminants sont mesurés dans l’air, l’eau, la neige ou les sols des environs. Plusieurs de ces contaminants sont des cancérigènes et des neurotoxiques sans seuil, ce qui signifie qu’ils entraînent des risques, quelle que soit la dose. Les normes sont déjà un compromis.