AVEC RÉJEAN, LES BOTTINES SUIVAIENT LES BABINES

Au milieu des années 1990, j’étais attablé avec Réjean Parent dans un restaurant de la rue du Parc à Montréal. Je ne me souviens plus du but précis de cette rencontre (soutien à L’aut’journal, peut-être), mais la discussion a vite bifurqué sur les nouveaux défis posés par la fusion des commissions scolaires à laquelle le gouvernement venait de procéder. Sur la Rive-Sud de Montréal, Réjean Parent et ses collègues étaient à la manœuvre pour regrouper les nouvelles entités syndicales au sein d’une même organisation, le Syndicat de Champlain.

Réjean me parlait de la nécessité de professionnaliser les communications syndicales et de mettre en place des publications qui devraient, à la fois, refléter la singularité de chaque section syndicale, mais également entrainer l’adhésion et l’identification à la nouvelle entité. J’acceptai avec enthousiasme de relever ce défi, lorsqu’il me le proposa. 

Au cours des années, j’ai pu apprécier les talents de visionnaire, de meneur, de rassembleur de Réjean à titre de président du Syndicat de Champlain. Il savait écouter pour « se faire une tête » –  comme il disait – et lorsqu’il était convaincu, il savait être convaincant. Il ne refusait jamais le débat avec les personnes d’avis contraire, comme pourrait en témoigner Jean-François Roberge, alors enseignant membre du syndicat, avant de devenir ministre de l’Éducation.

À la présidence de la CSQ, il a été l’initiateur en 2005 du Secrétariat intersyndical des services publics (SISP), qui regroupait les 270 000 membres de la CSQ, du SFPQ et de l’APTS. Le SISP a fait partie, comme entité, du Front commun de 2015. Malheureusement, il n’a pas réussi à pérenniser l’organisation avec des structures permanentes. 

Une vision commune

Au fil de nos innombrables discussions, nous avons, Réjean et moi, développer une vision commune de l’action politique. D’abord, sur l’objectif, l’indépendance du Québec. Puis, sur la nécessité de renforcer le flanc gauche de la grande coalition indépendantiste pour espérer la victoire. Comme nous nous le rappelions récemment dans une conversation téléphonique, nous avions identifié trois moyens essentiels pour ce faire : un journal, un centre de recherche de gauche, et une aile progressiste au sein du Parti Québécois.
La possibilité d’un centre de recherche s’est présentée avec la création de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM. Pendant deux ans, à mi-temps, j’ai épaulé le titulaire à titre de directeur général. Réjean a été membre du conseil d’administration et s’est investi pour recruter des bailleurs de fonds.

Au plan politique, son appui à la création du SPQ Libre, un club politique au sein du Parti Québécois, a été décisif. C’est, en effet, lors d’une rencontre à quatre avec Bernard Landry et le Dr Lazure que le chef du PQ a donné son accord. La caution syndicale qu’apportait Réjean a fait pencher la balance.

Encore une fois, les bottines suivaient les babines.

Maintenir une présence sur le flanc gauche

Quant à L’aut’journal, pierre d’assise des autres initiatives, il a toujours bénéficié de son soutien indéfectible. Mais il y a plus. Réjean s’est découvert, progressivement, une passion pour la rédaction de prises de position politique, d’abord par ses éditoriaux dans Le Champlain, le journal syndical, puis sur son blogue à titre de président de la CSQ.

Ses mandats terminés à la CSQ, il a hérité d’une chronique bihebdomadaire au Journal de Montréal et de Québec. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Pas question de sauter une chronique, même malade, même hospitalisé, même cloué à son lit. 

Depuis sa greffe pulmonaire, son épouse, Pauline, nous tenait, son cercle d’amiEs, informé régulièrement – 106 messages au cours des quatre dernières années – des hauts et des bas de son état de santé. Au cours des six derniers mois, avec sa réadmission au CHUM, c’était vraiment les montagnes russes. Mais alors que nous désespérions de son état, nous nous réveillions – à notre plus grand étonnement – les mercredis et samedis avec la chronique de Réjean dans le journal !

Pour faire pendant à une aile droite bien pourvue, l’ailier gauche se devait d’être sur la patinoire, beau temps mauvais temps. À preuve, sa dernière chronique, dictée à sa conjointe car il était trop faible pour la taper sur sa tablette, est parue le 10 juillet et il est décédé une semaine plus tard, le 17 juillet.

Mon cher Réjean, tu peux reposer en paix. Nous allons nous assurer de la présence d’une relève sur le flanc gauche avec le même engagement pour la justice sociale et l’amour du Québec qui ont été les tiens.

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MARC TENAIT LE MICRO

Pendant une dizaine d’années, j’ai fait équipe avec Marc à la tête du SPQ Libre. Marc avait inventé cette formule pour décrire la répartition de nos tâches : « Pierre tient le stylo, moi je tiens le micro. » Oui, Marc tenait le micro… le micro que lui tendaient généreusement les journalistes aux instances du Parti Québécois, assurés d’obtenir une déclaration franche, claire, honnête, loin du discours formaté des politiciens traditionnels.

Avec d’autres syndicalistes et progressistes, nous avions innové, avec l’accord de Bernard Landry, en faisant inscrire dans les statuts du PQ la reconnaissance de clubs politiques au congrès de 2005. Le plan prévoyait la création de plusieurs clubs politiques. Le SPQ Libre ouvrait la marche et d’autres étaient en gestation (gens d’affaires, écologistes, membres de minorités culturelles, etc.). Mais la malencontreuse démission de Bernard Landry a tout remis en question.

Le PQ s’est alors doté d’un nouveau chef, André Boisclair, opposé à l’existence des clubs politiques, hostile au programme progressiste adopté au congrès, et dont l’entourage s’inspirait du New Labour de Tony Blair, en mettant en évidence sa rupture avec le monde syndical. « Fini les soupers bien arrosés avec les chefs syndicaux », déclarait démagogiquement Boisclair.

Au SPQ Libre, nous nous sommes alors retrouvés en opposition carrée avec le chef, convaincus que cette voie était suicidaire, ce que la déroute électorale de Boisclair a confirmé. Marc a été le principal ténor de notre dissidence, cette fois aux micros des instances du parti. À plusieurs reprises, nous avons réussi à faire battre des résolutions à saveur néolibérale ou à faire adopter des politiques progressistes contre l’avis de la direction du parti.

Je me souviens plus particulièrement d’un conseil national où les délégués avaient défié le chef en adoptant aux deux tiers une résolution prônant la nationalisation de l’éolien, malgré des interventions contraires de Rita Dionne-Marsolais et d’un certain François Legault. Boisclair était en furie de s’être fait voler le show.

Cependant, nous étions conscients que les jours du SPQ Libre étaient comptés. L’expérience des clubs politiques ne pouvait reposer sur l’existence d’un seul et résister à la désapprobation de la direction du parti. Notre contribution a été le maintien pendant une décennie d’un discours social-démocrate au PQ, tout en maintenant le cap sur l’indépendance. Un discours dont Marc et moi, lors de nos derniers échanges, étions heureux de constater la résurgence sous la gouverne de Paul St-Pierre Plamondon.

Aujourd’hui, je revois Marc devant les journalistes qu’il aborde, avec pour chacun, son « Comment qui va? », son franc-parler, ses formules percutantes, son discours jamais démagogique. Jamais démagogique parce que toujours basé sur ses profondes convictions syndicales.

Car Marc était, avant tout, un syndicaliste. Il faut rappeler qu’après avoir subi la défaite à la présidence de sa centrale, il est retourné dans sa « shop », alors qu’il aurait pu se trouver une niche plus « prestigieuse ». Mais, à ses yeux, il n’y avait rien de plus prestigieux que de représenter ses confrères et consœurs de la classe ouvrière.

Dernièrement, il me faisait parvenir avec une grande fierté les textes de ce qui va constituer un petit livre sur l’histoire de son syndicat, le Syndicat national des produits chimiques de Valleyfield.

Nous avons, Marc et moi, signé de nombreux articles dans les journaux. Aujourd’hui, cher Marc, cher camarade, c’est avec une profonde tristesse, que je signe seul ce texte, d’autant plus affligé qu’il n’y aura pas de micro tendu pour y donner vie, comme tu savais, à nul autre pareil, le faire.